Les salons du livre: un petit bateau sur la mer

Un salon du livre québécois

je trouve absolument scandaleux d’avoir, comme d’autres, écrit plus de 50 ouvrages de fiction et de constater avec tristesse que personne ne me connaît dans mon pays

Tribune libre


Je fréquente les salons du livre québécois à tour de rôle, depuis 1991.
J’écris professionnellement depuis vingt ans. Et je tiens à partager mes réflexions au sujet de ces foires du livre dont s’enorgueillissent certaines municipalités qui sont branchées au reste du pays grâce à cet événement nécessitant un mouvement social de grande envergure, des bénévoles, des libraires pauvres, des visionnaires.
J’ai été présidente d’honneur du salon du livre de l’Outaouais en 2001 et je comprenais que ce coin de pays, séparé d’Ottawa par une seule petite rivière, ait besoin d’un salon du livre francophone. Mais je crois que le Québec a besoin d’un salon des livres québécois et de manière urgente. Parce que les écrivains québécois sont bien plus nombreux que cette poignée de chanceux dont on entend parler dans les médias. Biz, Louise Portal, Janette Bertrand ou Anne-Marie Losique. Des artistes, bien sûr. D’eux, on entend parler. Parce qu’ils sont déjà sous les lampadaires. Des autres? C’est pas dans un salon du livre où une grosse partie des livres sont étrangers - je veux dire par là que leurs éditeurs ne sont pas subventionnés par nos gouvernements - que nous entendrons parler des écrivains québécois. Encore moins en Europe. Moi, je prône un méga salon du livre québécois, avec des invités des autres provinces qui écrivent en français.
Parce que si vous voyagez un brin du côté de Saint-Germain, vous constaterez qu’en France, en Belgique ou en Suisse, vous devrez chercher les livres québécois comme une aiguille dans une botte de foin! Jamais entendu parler. Pas disponible ici, vous dira avec bonhommie la libraire.
Quand vous écoutez le pendant de l’émission de Christiane Charette dans un pays francophone d’Europe, exceptionnellement, vous n’entendrez jamais un écrivain francophone du Canada. Tandis que chez Christiane Charette...
L’Union des écrivaines et des écrivains québécois n’adoptera pas ma position. Depuis la commission Bouchard-Taylor, durant laquelle on a tenté de nous faire passer pour racistes, il est certes malvenu de parler d’exclusion des éditeurs étrangers dans un salon du livre, créé, subventionné, payé par nous. C’est très mal vu chez nous de demeurer la tête engoncée dans notre patrimoine. Il faut s’ouvrir sur le monde. Les médias ont compris ça depuis longtemps. Alors, mis à part VOIR, les autres médias écrits nous entretiennent une fois par semaine de livres français ou de traductions; les magazines, qui proposent les lectures préférées des artistes populaires, étalent avec superbe des éventails de titres étrangers. Il est mieux considéré de suggérer un roman d’Amélie Nothomb qu’un d'Andrée A. Michaud made in Québec!
C’est la littérature étrangère qui m’a formée. La liste serait trop longue des ouvrages que j’ai parcourus avec un immense plaisir. Mais quand les salons du livre parlent affaires, ils parlent de l’industrie du livre. Et moi, si on me parle de l’industrie du livre, je réponds qu’il est urgent de développer les oeuvres de nos écrivains. Parce qu’on est entrain de se noyer.
Et que fait un peuple qui va se noyer? Il cesse de parler, il cesse de rêver, et il coule.
Je vous le dis tout de suite. Mes prochaines années, je vais les consacrer à trouver un endroit pour créer un salon du livre qui ne présentera que les auteurs, que les éditeurs de chez nous, avec quelques écrivains qui, du fond de leur solitude canadienne, écrivent en français.
Traitez-moi de vieille peau, de conservatrice à la Harper (ouf, ça c’est douloureux!), mais j’ai vingt ans de salons du livre derrière moi et je trouve absolument scandaleux d’avoir, comme d’autres, écrit plus de 50 ouvrages de fiction et de constater avec tristesse que personne ne me connaît dans mon pays.
On peut me joindre au 450 479 8156 si l’on veut participer à l’élaboration de ce salon.


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6 commentaires

  • Gaston Deschênes Répondre

    5 mars 2013

    Je suis deux ans en retard mais comme vous avez (encore) raison.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 octobre 2010

    Vous dire jusqu’à quel point je suis de votre avis !
    La première fois que vous vous rendez au Salon de Montréal pour y présenter votre premier livre, vous êtes ému-e, le cœur qui bat dans les oreilles : vous allez défaillir ! C’est tout votre être qui s’est engagé, corps et âme dans cette grave aventure. Vous voulez qu’on vous lise, bien sûr, mais, pour un peu vous retourneriez chez vous, loin du jugement de toute cette foule. Ce qui importe c’est votre livre et non pas votre petite personne qui, finalement, restera plantée debout pendant des heures à regarder circuler les gens, à distance « respectueuse » de votre kiosque : ils ne vous connaissent pas, vous n’êtes pas l’élu-e de Christiane Charrette ou Stanley Péan ou le Machin Chouette de Tout le Monde en parle. Ou quelqu’un-e qu’une maison d’Édition reconnue a reconnu-e, et qui vous a fixé le sourire sur une si grande affiche que tout le monde, tout le monde en entrant voit votre gueule souriante et racoleuse. Certain que ce que vous écrivez est bon, bon, bon. La preuve est là, plastifiée ! Vous cartonnez ! (On fait la file, on vous achète, votre plume ronronne et s’étourdit à autographier. Assez que vous en êtes rendu-e à écrire n’importe quoi…votre signature même est méconnaissable. Vous êtes désormais la proie consentante des marchands du livre. Vous répondez aux critères de vente, vous contentez la masse avec vos romans insipides, cucu la praline, avec juste assez de drame pour émouvoir Germaine et Natachâ. Parce qu’elles, elles n’aiment pas la violence, elles ne veulent rien savoir des souffrances abyssales de l’âme humaine.
    Votre « Brigadier » , Caroline – que j’ai beaucoup aimé - est « trop dur », « trop violent » pour la majorité des lecteurs adultes. On veut le triomphe de l’amour. La mélodie du bonheur. Le jeune public, lui, préfère l’horrible, l’horrifiant, l’épouvantable : une entité prend possession de votre corps, vous fait des bosses partout et vous dégueulez des crapauds, ça, c’est « full tripant ». Peut-être que ça veut dire quecque chose mais rien à foutre ! Les bébites qui volent cela signifie peut-être que l’humain n’en peut plus de se voir ramper et qu’il aspire à…ben non, chose, c’est juste « full crampant ».
    J’espère que ce n’est pas la majorité. Mais j’en doute.
    Le monde va tellement vite, les gens si occupés qu’ils comptent sur les médias pour conseiller leur lecture : lecture de vacances, lectures du temps des fêtes (livres de recettes) lectures seulement pour se divertir. Et les marchands du livre comptent sur ces lecteurs.
    Mais où est la littérature ? D’abord dans notre propre pays du Québec?
    Madame Francine Allard, votre projet d’un salon du livre québécois me semble très approprié, premièrement pour nous éviter d’être submergés par le livre étranger. Non pas pour nous exclure mais pour nous connaître et pour que ceux qui viennent chez nous sachent que nous existons et en grand nombre. Peut-être qu’il y aura des Éditeurs passionnés par cette idée. Mais attention aux marchands. Ils se déguisent si facilement.
    Un jour, je devais passer à Christiane Charrette. Son « conseiller » me téléphone et essaie de me délier la langue. Je me réveille, je n’ai aucune envie de faire semblant de faire une entrevue, alors à sa question : « Vous êtes le porte-étendard de votre région ? », j’ai répondu : « Non. Je ne suis le porte-étendard de personne. » Et j’ai gardé le silence. Je n’ai jamais rencontré Charrette. On a dit à l’attachée de presse que je n’étais pas prête. Ah ! J’en rigole encore !
    Mon opinion c’est qu’il faut écrire malgré tout. Sans se presser. Malgré les vents contraires. La preuve, c’est que votre projet est là.Félicitations pour y avoir pensé.

  • Élie Presseault Répondre

    6 octobre 2010

    Madame Allard,
    Un salon du livre québécois - et qui valorise nos oeuvres, avant tout - est en plein de dont nous avons besoin. Nous devons le faire rayonner chez nous et au temps du Web 2.0, il faut bien utiliser les atouts que nous avons à notre disposition. Je vous encourage d'ailleurs vivement à faire la promotion de l'idée et de l'organiser conjointement avec des personnes de grande valeur. Plus cette idée sera répercutée et plus les argentiers verront l'intérêt d'une telle opportunité. Cela dit, je valorise toujours cette idée de faire rayonner les gagne-petit et les aspirants écrivains de notre contrée. Nous avons besoin de toutes les initiatives pour relever la nécessité de contribuer à la spécificité de notre culture nationale.

  • Jean-Paul Gilson Répondre

    6 octobre 2010

    Vive le Québec Livre!
    Chère Madame quelle bonne idée!
    Je ne saurais que soutenir votre projet et même contribuer à lui donner le coup de pouce nécessaire.
    Voyez les correspondances d'Eastman, petit projet devenu incontournable de nos étés maintenant. Parti de rien et sans cesse grandissant, unissant jeunes et vieux, hommes et femmes dans l'acte décrire!
    Je rêve mais je vois bien un salon essayant de suppléer à la carence chronique de nos écoles et redonner le goût de lire à nos enfants, ados et adultes rivés à l'écran qui les aliène au capitalisme culturel!
    Allons de l'avant, notre pays est à naître. Le livre n'a-t-il pas la même étymologie que "libre"?
    JP GILSON

  • Marie-Hélène Morot-Sir Répondre

    6 octobre 2010

    Bonjour Madame Allard, je soutiens tous vos propos et vous encourage du fond du coeur, dans votre projet ..
    Le monde de l'édition est absolument court circuité, que ce soit chez vous ou chez nous en France, par les quelques grands éditeurs qui ont "pignon sur rue" , ils font la pluie et le beau temps et hors ceux-là vous ne pouvez atteindre à la notoriété nationale ou internationale .. A tout le moins une petite notoriété régionale ..et encore soyons contents !!
    Pour qu'un livre puisse avoir la chance de passer dans tous les médias littéraires, télévisuels et radiophoniques.. Il faut qu'il ait été sélectionné par un de ces grands éditeurs et jugé... rapporteur d'argent ! .. Si on pense qu'il est susceptible d'attirer un lectorat important donc de bon rapport financier, la promotion et la publicité ne lui seront pas mesquinement comptées, au contraire elles l'entoureront de toutes part et évidemment il sera connu de tout un chacun, et cela jusque dans les moindres recoins du pays, nul ne pourra ignorer sa sortie .. quelque soit d'ailleurs sa qualité littéraire ..la profondeur de son texte ou son intérêt intrinséque.. Même si un an ou deux plus tard, plus personne ne se souvient de cet ouvrage .. Des centaines d'excellents auteurs et donc de livres sont édités chaque année chez de petits éditeurs, mais ils n'arrivent pas à percer faute de publicité et de promotion, tous ces frais importants ne peuvent être engagés et assumés par ces petits éditeurs..
    Il faut avoir le désir de l'écriture chevillée au corps dans ces conditions... mais n'est-ce pas la passion justement, qui fait écrire l'écrivain?..

  • Caroline Moreno Répondre

    6 octobre 2010

    Chère Francine,
    Vos frustrations sont les miennes.
    Ainsi, Le Brigadier de Gosley, que j’ai mis deux ans à construire, m’a rapporté la rondelette somme de 480 $ ! Les livres qui se vendent sont ceux dont on fait la promotion. Je n’ai été invitée à aucune émission de télé ni de radio. Je n’ai fait l’objet d’aucune entrevue.
    Je n’arrive pas non plus à obtenir que mes textes à caractère politique soient publiés ailleurs que sur Vigile.net (merci à M. Frappier) ou qu’ils soient lus lors d’événements.
    France Bonneau qui est une poète de grand talent, rencontre le même problème. À une certaine époque, nous avions conçu le projet d’un recueil qui n’a soulevé aucun enthousiasme chez les éditeurs qui privilégient (comment les en blâmer) les valeurs sûres. C’est ainsi que, d’une tribune à l’autre, on se retrouve avec les mêmes individus qui monopolisent toute l’attention et qui, pour la plupart, n’ont rien à dire.
    Malheureusement, ce phénomène ne se limite pas à la littérature. Il s’étend dans toutes les sphères d’activités où l’on privilégie, semble-t-il, la politique du vase clos, des chasses gardées, des plates-bandes.
    Je me permets de terminer ce compte-rendu par une invitation à venir voir Le Brigadier de Gosley au théâtre (merci à Luc Senay) :
    Permission spéciale du NTE
    Le brigadier de Gosley
    Adaptation de l’œuvre littéraire de Caroline Moreno
    Mise en scène de Stéphan Allard
    Avec Luc Senay
    Permission spéciale est un programme original du NTE qui donne la liberté à des créateurs d’expérimenter dans de petites formes, des recherches spécifiques, non seulement formellement inédites, mais aussi sur des sujets rares.
    Ici, il s’agit de rendre théâtral, d’« amener » au théâtre, le témoignage romancé d’un homme accusé d’un crime. Quel crime ? Le récit se déploie sinueusement, et nous tient en haleine. À travers le témoignage morcelé de cet homme banal, c’est toute la vie d’une petite ville ordinaire qui est illustrée, dans une cruauté implacable.
    Mais comment le théâtre peut-il rendre la puissance d’évocation de l’écrivain de roman ? Éternel problème, mais toujours actuel, du passage d’un support à l’autre. Pour tenter de reproduire l’énergie intime de l’interrogation, le comédien Senay se met entre les spectateurs, les invite autour d’une table, les projette dans une proximité rare au théâtre : comment être plus proche, abolir la dernière distance entre le spectateur et l’acteur ? Rejoindre dans la proximité extrême la voix intime du roman, faire entrer presque physiquement le spectateur dans la chambre intérieur du personnage…
    Un défi de jeu pour l’acteur, une expérience d’adaptation pour le metteur en scène, dans un dépouillement qui favorise la vérité du détail intime, du souffle secret, de ces voix qui chuchotent entre vérité et mensonge.
    Les 10 et 17 janvier 2011 à 20h
    Dans la salle de répétition du NTE
    à Espace Libre
    Entrée libre
    Réservations au NTE :
    514-521-4199