Une analyse à plusieurs niveaux de l’attaque de missiles américains sur la Syrie et ses conséquences

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Brillante analyse !

La dernière attaque de missiles de croisière américaine contre la base aérienne syrienne est un événement extrêmement important à tellement d’égards qu’il est important de l’examiner en détail. Je vais essayer de le faire aujourd’hui avec l’espoir que je serai capable d’éclairer une attaque plutôt bizarre et néanmoins lourde de conséquences profondes. Mais d’abord, commençons à regarder ce qui s’est effectivement passé.


Le prétexte


Je ne crois pas que quiconque croie sérieusement qu’Assad ou quelqu’un d’autre dans le gouvernement syrien a réellement ordonné une attaque chimique contre qui que ce soit. Pour le croire, il faudrait trouver une logique dans la séquence suivante : d’abord, Assad est quasiment en train de gagner la guerre contre Daech, qui est en pleine retraite. Puis les États-Unis déclarent que renverser Assad n’est plus une priorité (jusqu’ici, tout est factuel et vrai). Après quoi, Assad décide d’utiliser des armes qu’il n’a pas. Il choisit de bombarder un endroit sans valeur militaire, mais avec beaucoup d’enfants et de caméras. Ensuite, lorsque les Russes demandent une enquête approfondie, les Américains frappent aussi vite qu’ils peuvent avant que l’idée recueille le moindre soutien. Et maintenant, les Américains étudient la possibilité que les Russes aient joué un rôle dans cette soi-disant attaque. Franchement, si c’est ce que vous croyez, cessez immédiatement de me lire et retournez regarder la télé. Pour le reste d’entre nous, il y a trois options :



  1. Une intervention sous fausse bannière classique exécutée par les États-Unis.

  2. Une frappe syrienne sur un lieu où était stocké une sorte de gaz, éventuellement de la chlorine, mais certainement pas du sarin. Cette option nécessite que vous croyiez aux coïncidences. Je n’y crois pas. Sauf si…

  3. Les États-Unis ont fourni de mauvais renseignements aux Syriens et les ont amenés à bombarder un endroit où les Américains savaient que du gaz toxique était entreposé.


Ce qui est évident est que les Syriens n’ont pas largué des armes chimiques depuis leurs avions et qu’aucun gaz chimique n’était stocké dans la base d’al-Chayrat. Il n’y a pas de vidéo montrant des munitions ou des conteneurs qui auraient produit le gaz toxique. Quant aux enregistrements radars américains et autres, tout ce qu’ils peuvent montrer est qu’il y avait un avion dans le ciel, son cap, son altitude et sa vitesse. Il n’y a aucun moyen de distinguer une munition ou une attaque chimiques avec un radar.


Quelle que soit l’option que vous choisissez, le gouvernement syrien est évidemment innocent de l’accusation d’avoir utilisé des armes chimiques. C’est plus probablement une attaque sous fausse bannière.


En outre, et juste pour mémoire, les États-Unis avaient envisagé exactement une telle attaque sous fausse bannière dans le passé. Vous pouvez tout lire à propos de ce plan ici et .


L’attaque


Les sources américaines et russes s’accordent sur les faits suivants : deux navires de l’US Navy ont lancé 59 missiles de croisière Tomahawk sur l’aérodrome d’al-Chayrat en Syrie. Les États-Unis n’ont pas consulté les Russes sur le plan politique, mais ils les ont avertis deux heures avant par des canaux militaires. À ce stade, les récits commencent à diverger.


Les Américains disent que tous les missiles ont frappé leurs cibles. Les Russes disent que seuls 23 missiles de croisière ont frappé l’aérodrome. Les autres ont « disparu ». Ici, je pense qu’il est indiscutable que les Américains mentent et que les Russes disent la vérité : la piste principale est intacte (les journalistes russes ont produit des images qui le prouvent) et seule une voie de circulation a été atteinte. En outre, l’armée de l’air syrienne a repris ses activités dans les 24 heures. Trente-six missiles de croisière n’ont pas atteint l’objectif qu’ils visaient. C’est un fait.


Il est également incontestable qu’il n’y avait pas de munitions chimiques dans cette base, ni les journalistes syriens ni les journalistes russes n’ont dû porter des équipements de protection.


Les missiles lancés dans l’attaque, des Tomahawk, peuvent utiliser n’importe quelle combinaison de trois systèmes de guidage : GPS, navigation inertielle et cartographie du terrain. Il n’y a pas de preuve ni même de rapports que les Russes aient lancé même un seul missile de défense aérienne. En fait, les Russes avaient signé un mémorandum avec les États-Unis qui leur imposait spécifiquement de ne PAS interférer avec des vols américains, habités ou non, au-dessus de la Syrie (et vice versa). Alors que le missile de croisière Tomahawk a été développé dans les années 1980, il n’y a aucune raison de croire que les missiles utilisés avaient dépassé leur durée de vie et il y a même des preuves qu’ils avaient été construits en 2014. Le Tomahawk est connu pour être précis et fiable. Il n’y a absolument aucune base pour soupçonner que plus d’une moitié des missiles tirés ont spontanément dysfonctionné. Je ne vois par conséquent que deux explications possibles à ce qui est arrivé aux 36 missiles de croisière manquants.


Explication A : Trump n’a jamais eu l’intention de frapper les Syriens vraiment fort et toute son attaque n’était que « pour le spectacle », et la Marine américaine a délibérément détruit ces missiles au-dessus de la Méditerranée. Cela permettrait à Trump d’apparaître dur tout en n’infligeant pas le genre de dommages qui détruiraient vraiment ses projets de coopérer avec la Russie. Je ne crois PAS dans cette explication et j’expliquerai pourquoi dans l’analyse politique ci-dessous.


Explication B : Les Russes ne pouvaient pas, légalement, abattre les missiles américains. En plus, il est incorrect de supposer que ces missiles de croisière ont parcouru une course directe de la Méditerranée à leur cible (survolant ainsi à peu près les positions radar russes). Les Tomahawk ont été construits spécifiquement pour être en mesure de voler tangentiellement à ce genre de radars et ils ont également un RCS (visibilité radar) très faible, en particulier dans la partie frontale. Certains de ces missiles ont probablement volé assez bas pour ne pas être vus par les radars russes, à moins que les Russes n’aient eu un AWACS dans les airs (je ne sais pas s’ils en avaient). Toutefois, puisque les Russes étaient avertis de l’attaque, ils ont eu tout le temps de préparer leurs stations de guerre électronique pour « griller » et sinon désactiver au moins une partie des missiles. Je crois que c’est l’explication correcte. Je ne sais pas si les Russes étaient techniquement incapables de détruire et de perturber les 23 missiles ayant atteint la base ou si une décision politique a été prise pour laisser passer la moitié des missiles de croisière dans le but de masquer le rôle russe dans la destruction de 36 missiles. Ce dont je suis sûr, c’est que 36 missiles de croisière sophistiqués ne font pas que « disparaître ». Il y a deux raisons pour lesquelles les Russes auraient décidé d’utiliser leurs systèmes de guerre électronique et non leurs missiles : premièrement, cela leur offre une possibilité de « déni plausible » (au moins pour le grand public, il n’y a aucun doute que les unités américaines chargées des signaux ont détecté l’interférence électronique des Russes, à moins qu’elle ne se soit produite à très basse puissance et à très haute fréquence et loin dans l’arrière-pays) et parce qu’utiliser des systèmes de guerre électronique leur a permis de garder leurs missiles de défense aérienne pour protéger leurs propres forces. Les Russes peuvent-ils vraiment le faire ?



Regardez cette image, tirée d’un site internet russe, elle semble avoir été fabriquée par la société Kret qui produit certains des systèmes de guerre électronique russes. Remarquez-vous que sur la gauche, juste sous l’avion AWACS, vous pouvez voir clairement un missile du genre Tomahawk se retournant et finalement explosant en mer ?


Comment c’est fait reste ouvert à la discussion. Tout ce qu’on nous a dit est qu’on a donné une « fausse cible » au missile, mais pour ce qui nous concerne ce n’est pas vraiment important. Ce qui compte est que les Russes ont diffusé l’information qu’ils sont capables de se retourner contre des missiles de croisière. Il y a d’autres possibilités comme les faisceaux d’énergie dirigés qui essentiellement grillent, ou au moins perturbent les systèmes de navigation suivant le terrain ou par inertie. Certains ont suggéré un « coupe-circuit » qui stopperait tout le missile. Peut-être. De nouveau, cela ne compte pas vraiment pour nous. Ce qui importe est que les Russes ont les moyens d’imiter, de rediriger ou de détruire des missiles de croisière américains. Il semble certain que pour la première fois ces systèmes ont été utilisés dans un accès de colère.


Aparté

Pour ceux qui s’intéressent à voir à quoi ressemble un tel système, voici une courte vidéo réalisée par les Russes eux-mêmes montrant comment un tel système est déployé et manœuvré :


Pour les détails techniques, on nous a dit que ce système peut bloquer n’importe quel objet aérien à une distance de 200 km.

J’observerais que ceux qui disent que les systèmes de défense aérienne russes n’ont pas fonctionné ne savent pas de quoi ils parlent. Non seulement la Russie a signé avec les Américains un accord de non-interférence avec leurs opérations de vol, mais la défense aérienne russe en Syrie n’est PAS chargée de la protection de l’espace aérien syrien. C’est la tâche de la défense aérienne syrienne. Les défenses aériennes russes en Syrie ne sont là que pour protéger le personnel et l’équipement russes. C’est pourquoi les Russes n’ont jamais visé les avions de guerre israéliens. Et ce n’est guère surprenant puisque la force d’intervention russe en Syrie n’a jamais eu pour mission de fermer l’espace aérien ou, encore moins, d’entamer une guerre avec les États-Unis ou Israël.


Cela pourrait cependant changer. Maintenant, les Russes ont rompu leur accord avec les États-Unis et, encore plus important, ils ont déclaré que les Syriens ont besoin de capacités de défense aérienne plus avancées. Actuellement, les Syriens manient des systèmes de défense aérienne russes très peu avancés, la plupart de leur équipement est vieux.


Aspects légaux de l’attaque


L’attaque américaine a eu lieu en violation directe de la loi des États-Unis, du droit international et de la Charte des Nations unies. D’abord, je dirais qu’il y a une preuve juridique forte que l’attaque américaine a violé la Constitution des États-Unis, le Presidential War Powers Act [Loi sur les pouvoirs présidentiels de guerre] et la résolution de 2001 sur l’Autorisation à utiliser la force armée (AUMF dans son sigle anglais). Mais comme je ne me soucie pas vraiment de cet aspect du comportement criminel de Trump, je ne vous signalerai que deux assez bonnes analyses sur cette question (voir ici et ) et me contenterai simplement de résumer l’argument de ceux qui disent que ce que Trump a fait était légal. Cela se ramène à ceci : « Ouais, c’est illégal, mais tous les présidents des États-Unis le font depuis si longtemps qu’ils ont ainsi créé un précédent légal qui, euh, le rend légal après tout. » Je ne crois pas que ce genre de « défense » mérite une réponse ou une réfutation. Donc maintenant, revenons au droit international.


La plupart des gens pensent que les crimes contre l’humanité ou le génocide doivent être le crime ultime selon le droit international. Ils se trompent. Le crime ultime est l’agression. C’est la conclusion du procès de Nuremberg sur cette question :


Engager une guerre d’agression, par conséquent, n’est pas seulement un crime international ; c’est le crime international suprême, qui diffère de tous les autres crimes de guerre en ce qu’il contient le mal accumulé de l’ensemble.


Donc, après la longue et prestigieuse liste des présidents des États-Unis qui l’ont précédé, Donald Trump est maintenant un criminel de guerre.  En fait, il est un « criminel de guerre suprême ». Il ne lui a fallu que 77 jours pour atteindre ce statut, probablement une sorte de record.


En ce qui concerne la Charte des Nations unies, au moins quatre articles (1, 2, 33, 39) interdisent le genre d’agression que les États-Unis ont perpétrée contre la Syrie.


Je pense qu’il n’est pas nécessaire de s’attarder sur l’illégalité totale de cette attaque. Je me contenterai de souligner la suprême ironie d’un pays construit et dirigé essentiellement par des juristes (regardez combien d’entre eux siègent au Congrès), dont la population en général semble totalement indifférente au fait que ses représentants élus agissent de manière totalement illégale. Tout ce dont se soucient la plupart des Américains est de savoir si l’action illégale entraîne la victoire ou non. Mais si c’est le cas, absolument personne ne s’en soucie.  Vous n’êtes pas d’accord ? Dites-moi combien de manifestations pour la paix ont eu lieu aux États-Unis à propos de leur agression totalement illégale de la Yougoslavie ? Exactement. CQFD.


Conséquences politiques (internes)


Mon fils a parfaitement résumé ce à quoi les actions de Trump ont abouti : « Ceux qui le haïssaient le détestent toujours alors que ceux qui le soutenaient le haïssent maintenant aussi. » Ouah ! Comment Trump et ses conseillers n’ont-ils pas réussi à prédire cela ? Au lieu de respecter ses nombreuses promesses de campagne (et ses propres déclarations sur Twitter), Trump a décidé subitement de faire un virage à 180 degrés et de trahir complètement tout ce qu’il défendait. Je ne peux croire à une action plus idiote, je ne peux vraiment pas. Je dois dire que Trump semble faire maintenant paraître Dobelyou intelligent.  Mais il y a bien pire.


Le pire aspect de ce bordel est à quel point cela fait paraître Trump complètement immoral. Pensez-y – d’abord Trump a trahi Flynn de manière abjecte. Ensuite il a trahi Bannon.


Aparté

J’ai aimé surtout Flynn. Je n’avais pas du tout besoin de Bannon. Mais le fait est qu’ils n’étaient pas mes meilleurs amis, ils étaient les meilleurs amis de Trump. Et au lieu de les soutenir, il les a sacrifiés aux néocons toujours assoiffés de sang dans l’espoir de les apaiser. C’est ce que j’ai écrit à propos de cette trahison stupide et profondément immorale le jour où cela s’est produit :

Vous souvenez-vous comment Obama a montré son vrai visage lorsqu’il a hypocritement dénoncé son ami et pasteur le révérend Jeremiah Wright Jr.?  Aujourd’hui, Trump a montré son vrai visage. Au lieu de refuser la démission de Flynn et de licencier ceux qui ont osé concocter ces accusations ridicules contre lui, Trump a accepté sa démission. Ce n’est pas seulement un acte d’une lâcheté abjecte, c’est aussi une trahison extraordinairement stupide et auto-destructrice, parce que maintenant Trump sera seul, complètement seul, confronté à des personnages comme Mattis et Pence – des types enragés de la Guerre froide, des idéologues infectés jusqu’à la moelle, des gens qui veulent la guerre et ne se préoccupent tout simplement pas de la réalité.

L’aspect le pire là dedans est qu’en trahissant des gens à gauche et à droite, Trump a maintenant montré qu’on ne peut pas lui faire confiance, qu’il vous poignardera dans le dos sans hésitation de toute façon. Prendriez-vous un risque pour un type pareil ? Comparez cela avec Poutine qui est « célèbre » pour soutenir ses amis et ses alliés même lorsqu’ils font quelque chose de vraiment mauvais ! C’est une raison pour laquelle les Anglosionistes n’ont pas pu briser Poutine et pourquoi il ne leur a fallu qu’un mois pour neutraliser Trump : Poutine est en titane, Trump n’est qu’une nouille trop cuite !

Et maintenant Trump s’est trahi LUI-MÊME en se retournant contre tout ce qu’il soutenait, lui. C’est presque shakespearien dans ses aspects pathétiques et tragiques !


Pendant sa campagne, Trump a fait beaucoup d’excellentes promesses et il a incité des millions d’Américains à le soutenir. Je crois personnellement qu’il était sincère dans ses intentions et je n’adhère pas du tout à la théorie du « ce n’était qu’un numéro ».  Regardez seulement la panique totale des néocons à la perspective d’une victoire de Trump et dites-moi que tout cela était faux. Non, je pense que Trump était sincère. Mais confronté à l’opposition sans merci des néocons et à l’État profond américain, il a cédé et s’est instantanément brisé parce qu’il est à l’évidence sans aucune colonne vertébrale et qu’il a l’éthique et la morale d’une prostituée d’un parking de routiers.


Donc ce que nous avons en réalité, c’est une version triste et pathétique d’Obama. Une sorte d’Obama 2.0, si vous voulez. L’homme a inspiré des millions de gens, il a promis un changement auquel on pouvait croire et il n’a absolument rien donné sinon une soumission abjecte aux vrais maîtres et propriétaires des États-Unis : les néocons et l’État profond.


Trump a apparemment obtenu ce qu’il voulait, cependant : que les mêmes médias commerciaux qu’il affirmait mépriser fassent désormais son éloge. Et personne ne le traite plus d’« agent de Poutine ». Rien de tout cela n’empêchera les néocons de le destituer, cela dit. Il a choisi une solution facile qui cessera d’opérer dans quelques jours. Quelle stupidité. Il a apparemment aussi choisi l’option d’une « attaque pour le spectacle » pour commencer, qui s’est transformée en l’une des attaques les plus pathétiques de l’Histoire, probablement grâce à la parade électronique russe ; et maintenant que les États-Unis ont gaspillé quelque chose comme 100 millions de dollars, qu’est-ce que Trump a à montrer ? Quelques articles flatteurs dans les médias qu’il a toujours haïs et qui recommenceront à le haïr bientôt, comme leurs maîtres néocons leur en ont donné l’ordre. Pathétique, si vous me posez la question.


Depuis qu’il est entré à la Maison Blanche, Trump a agi comme le prototype du pacificateur (cela me fait penser que son père était alcoolique). Comment un type comme lui a pu faire des affaires est un mystère pour moi, mais ce qui est clair maintenant est que les néocons l’ont totalement soumis et qu’ils veulent maintenant le transformer en une victime de collision routière.


J’ai peur que les quatre prochaines années (ou moins !) ne se transforment en une célébration sans fin de Pourim


Conséquence politiques (externes)


Trump a détruit tout seul tout espoir d’une coopération quelle qu’elle soit avec la Russie. Pire, il a également détruit tout espoir d’être capable de vaincre Daech. Pourquoi ? Parce que si vous croyez vraiment que Daech peut être vaincu sans le soutien des Russes et des Iraniens, je suis prêt à vous vendre des ponts partout dans le monde. Cela n’arrivera pas. Ce qui est bien pire c’est que maintenant nous sommes de nouveau dans une situation de pré-guerre, exactement comme nous l’étions avec Obama et que nous l’aurions été avec Clinton. Laissez-moi vous expliquer.


Voici les mesures que la Russie a prises après l’attaque américaine contre la Syrie :



  1. Dénonciation à l’ONU (prévue, pas important) ;

  2. Décision de renforcer les défenses aériennes syriennes (grosse affaire qui donnera aux Syriens les moyens de verrouiller leur espace aérien) ;

  3. Décision d’annuler le mémorandum avec les États-Unis (maintenant, les Russes en Syrie auront le droit de décider de tirer ou non) ;

  4. Décision de fermer la ligne téléphonique avec l’armée américaine (maintenant les Américains ne pourront plus appeler les Russes pour leur demander de faire ou de ne pas faire quelque chose).


La combinaison des décisions 2, 3 et 4 ne signifie pas que les Russes tireront la prochaine fois, pas en soi. Les Russes resteront limités par leurs propres règles d’engagement et par des décisions politiques. Mais cela affectera gravement les décisions des États-Unis puisque, à partir de maintenant, il n’y aura pas de garantie que les Russes ne tireront pas non plus. Les Russes contrôlent déjà l’essentiel de l’espace aérien syrien. Ce qu’ils veulent faire ensuite est de donner la même capacité aux Syriens. Non seulement cela permettra aux Syriens de se défendre contre toute attaque américaine ou israélienne future, mais cela offrira aux Russes une possibilité de « déni plausible » le jour où ils décideront d’abattre un avion ou un drone américain. Enfin, les Russes envoient précipitamment quelques-uns de leurs navires les plus avancés vers la côte syrienne. Ainsi, après avoir donné à Trump le bénéfice du doute, les Russes reviennent aujourd’hui à leur position en Syrie comme sous Obama. Bravo Trump, bien joué !


Oui, je sais, Tillerson devrait rencontrer Lavrov cette semaine.  Cela a été discuté ad nauseam à la télévision russe et le consensus est que la seule raison pour laquelle les Russes n’ont pas annulé cette réunion est qu’ils ne veulent pas, par principe, être ceux qui refusent de parler à l’autre partie. Bien. Partant de l’idée que nous parlons d’une potentielle guerre thermonucléaire internationale, je peux comprendre. Pourtant, j’aurais préféré que Lavrov dise à Tillerson d’aller se faire voir ailleurs. Pourquoi ? Parce que je suis arrivé à la conclusion que tous les genres de dialogues avec les États-Unis sont tout simplement une perte de temps dénuée de sens et inutile. Pour une raison, il n’y a aucune politique américaine sur quoi que ce soit. La semaine dernière, nous avons vu Nikki Haley et Rex Tillerson se contredire totalement, encore et encore : « Non, nous ne voulons pas renverser Assad. Oui, nous voulons renverser Assad. Nous, nous voulons pas. » C’est presque pénible et embarrassant à regarder. Cela montre simplement qu’exactement comme l’administration Obama, les gens de Trump sont « недоговороспособны » ou « incapables de conclure un accord ». J’explique ce terme dans cette analyse (écrite à propos d’Obama ! Pas de Trump) :


Les Russes ont exprimé leur profond dégoût et leur indignation à propos de cette attaque et commencé à dire ouvertement que les Étasuniens étaient «недоговороспособны». Ce mot signifie littéralement « incapables de passer un accord » ou incapables d’en faire un, et puis de s’y conformer. Bien que cette expression soit polie, elle est extrêmement forte car elle n’implique pas tant une tromperie délibérée que l’impuissance même à établir une entente et ensuite à s’y tenir. Par exemple, les Russes ont souvent dit que le régime de Kiev est « incapable de passer un accord », et cela a du sens étant donné que l’Ukraine occupée par des nazis est essentiellement un État failli. Mais de dire qu’une superpuissance nucléaire est « incapable de passer un accord » est un diagnostic terrible et extrême.


C’est mauvais. Vraiment mauvais, Cela signifie que les Russes ont fondamentalement renoncé à l’idée d’avoir un partenaire de dialogue adulte, sobre et sain d’esprit.  Ce que cela signifie également est que tout en restant très polis et extérieurement impassibles, les Russes ont maintenant conclu qu’ils doivent partir de l’idée qu’ils doivent agir seuls ou avec d’autres partenaires, et renoncer fondamentalement aux États-Unis.


Cela ne s’applique qu’au Kremlin officiel. Des analystes russes indépendants n’hésitent pas à exprimer leur total mépris et leur dégoût pour Trump. Certains suggèrent que Trump a décidé de montrer combien il est « dur » dans la préparation du déplacement de Tillerson à Moscou. Si c’est le cas, il fait un mauvais calcul.  Pour une raison, beaucoup d’entre eux disent que ce que Trump a engagé est « показухa » – une démonstration de force totalement bidon qui ne montre en réalité rien du tout. Ce qui est certain, c’est que ces démonstrations de force sont très mal vues dans la culture russe qui croit fermement qu’un type vraiment dur n’a pas à en avoir l’apparence.


Aparté

Si John Wayne est le prototype du héros américain, Danilo Bagrov, dans les films Le Frère et sa suite Le Frère 2, est le prototype du héros russe : plutôt timide, parlant doucement, de manières modestes, parfois maladroitement charmant et naïf, mais en réalité « le plus dur de nous tous » – comme l’appelle un autre personnage de la série (si vous n’avez pas vu ces deux films, je vous les recommande chaudement, bien que j’ignore s’ils existent sous-titrés en anglais – les doubler serait un crime).

Un héros américain et un héros russe

Ce qui est sûr, c’est que les types à la John Wayne ne survivraient jamais dans la rue russe, ils seraient immédiatement perçus comme faux, faibles et frimant pour essayer de cacher leur manque de force et ils seraient écrasés et humiliés. Aujourd’hui, lorsque les Américains adoptent ce que j’appelle le « style Delta Force/Blackwater » (barbe taillée en pointe, cheveux longs, lunettes de soleil sombres et une tonne de muscles, etc .), ils paraissent comiques selon les normes russes, les forces spéciales russes (et j’en ai rencontré beaucoup) ne ressemblent jamais à ça, ne serait-ce que parce qu’elles essaient vraiment de ne pas y ressembler.

Personnellement, je ne crois pas que le plan de Trump était d’impressionner les Russes. Je ne crois pas non plus, comme certains, que lancer l’attaque pendant la visite du Premier ministre chinois Xi était un affront délibéré ou une sorte de « message ». En fait, je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup de plan à part montrer que Trump est « dur » et qu’il n’est pas l’ami de Poutine. C’est tout. Je pense que les soi-disant « élites » qui dirigent les États-Unis sont infiniment arrogantes, stupides, incultes, incompétentes et irresponsables. Je ne crois pas à la théorie du « chaos organisé » ni à l’idée selon laquelle si, auparavant, les Anglosionistes imposaient leur ordre aux autres, maintenant ils imposent leur désordre. Oui, c’est la conséquence de leurs actes, mais cela ne participe pas d’un plan diabolique, c’est plutôt un signe de la dégénérescence terminale d’un Empire désemparé, effrayé, fâché et arrogant.


J’ai déjà expliqué dans ma précédente analyse pourquoi le plan de Trump pour vaincre Daech ne vaut rien et je ne me fatiguerai pas à tout répéter ici. Ce que je dirai, c’est que l’approbation par Erdogan de l’attaque de Trump est tout aussi stupide et auto-destructrice. Je me demande vraiment à quoi Erdogan espère parvenir. Non seulement les Américains l’ont presque tué dans une tentative de coup d’État, mais ils travaillent maintenant à créer un Kurdistan semi-indépendant juste à la frontière de la Turquie. Oui, je sais, Erdogan veut se débarrasser d’Assad, d’accord, mais croit-il vraiment que Trump sera en mesure de l’éliminer du pouvoir ? Et si Assad est destitué, la Turquie s’en sortira-t-elle mieux une fois que l’Émirat du Takfiristan sera déclaré en Syrie ? J’espère vraiment qu’après le référendum Erdogan recouvrera un peu de sens des réalités.


Et les Israéliens ? Croient-ils vraiment qu’avoir affaire à Assad est pire que d’affronter ce Califat du Takfiristan ? Mais alors nous ne pouvons rien attendre de gens qui ont pris depuis si longtemps de mauvaises décisions.


Pourtant, il semble vraiment qu’ils soient tous devenus complètement fous !


Ensuite, il y a l’ovation de l’Europe et de l’Ukraine. Je suis vraiment embarrassé pour elles. Elles sont heureuses de la tentative de faire tomber l’un des derniers régimes sains d’esprit et laïcs du Moyen-Orient. Ces « leaders » européens ne réalisent-ils pas que si la Syrie est remplacée par un Califat du Takfiristan, tout l’enfer va alors se déchaîner sur l’Europe ? Je suis étonné de voir à quel point ces gens sont aveugles…


La « subtile allusion » des États-Unis à la Chine et à la Corée du Nord

Regardons maintenant ce qui s’est passé du point de vue de la Chine et de la RPDC. D’abord, comme je l’ai mentionné, je ne pense pas que Xi ait ressenti l’attaque, pendant sa visite aux États-Unis, comme une gifle ou un affront. De la part d’un autre pays civilisé, peut-être. Mais pas de la part des États-Unis. Les Chinois ne se font absolument aucune illusion sur le manque total de raffinement et même de bonnes manières des présidents américains. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas été indignés et très préoccupés. Il va sans dire qu’ils ont aussi noté la « coïncidence » que l’US Navy ait annulé les escales prévues en Australie pour le USS Carl Vinson et envoie en lieu et place le porte-avion et le groupe qui lui est attaché en péninsule de Corée. Ils ont aussi remarqué que ce mouvement a bénéficié de la visibilité maximale dans la machine de propagande américaine. Une « démonstration de force » en Syrie est suivie maintenant d’une autre, en Asie de l’Est.


Typique, n’est-ce pas ?


En tout cas, ce geste ne fera que renforcer le partenariat informel mais très fort et profond entre la Chine et la Russie. Exactement comme les Russes, les Chinois continueront à sourire et à faire de très gentilles déclarations sur la paix et la sécurité internationales, les négociations, etc. Mais tout le monde qui compte en Chine comprendra que le véritable message de Washington DC est simple : « Maintenant, c’est Assad, mais vous pourriez être le prochain. »


Reste la RPDC.  Je ne lis pas dans les pensées et ne suis pas psychologue, mais je me pose la question suivante : qu’est-ce qui est pire ? Que les Américains échouent à faire vraiment peur à Kim Jong-un ou qu’ils réussissent ? Je n’ai pas la réponse, mais à considérer le comportement passé des dirigeants de la RPDC, je suggérerais fortement que tant leur faire peur qu’échouer à les effrayer sont des options très dangereuses. L’idée de « peur » ne devrait faire partie d’aucune politique traitant avec la RPDC. Mais au lieu de cela, les imbéciles à DC font maintenant fuiter une histoire (vraie ou non) selon laquelle les agences de renseignement américaines ont mis au point des plans pour – je ne plaisante pas – « éliminer Kim Jong-un ». Et afin de s’assurer que le message passe, la dernière harpie étasunienne au Conseil de sécurité de l’ONU menace la Corée du Nord de guerre.


Est-ce qu’ils sont vraiment tous devenus complètement fous à Washington DC ?


Dois-je vraiment expliquer pourquoi une guerre avec la RPDC est une idée effroyable, même si elle n’avait pas d’armes nucléaires ?


Conclusion : que va-t-il se passer ensuite ?


Je réponds simplement : je ne sais pas. Mais permettez-moi d’expliquer pourquoi je ne sais pas. Au cours de toutes mes années de formation et de travail comme analyste militaire, j’ai toujours dû supposer que tout le monde était ce que nous appelions un « acteur rationnel ». Les Soviétiques l’étaient, assurément. Comme l’étaient les Américains. Ensuite, en commençant par Obama et de plus en plus souvent, j’ai dû remettre en question cette supposition alors que les États-Unis s’engageaient dans ce qui semblait être des actes fous et auto-destructeurs. Vous me direz : comment la dissuasion agit-elle sur une personne sans instinct de conservation (résultat d’une hubris impériale infinie, d’une variété locale d’arrogance mesquine, de l’ignorance crasse ou de la parfaite stupidité) ? Je ne sais pas. Pour répondre à cette question, il ne faut pas un analyste militaire mais une sorte de psy spécialisé dans les psychotiques et les suicidaires.


Certains lecteurs pourraient penser que c’est exagéré. Je vous assure que ce ne l’est pas. Non seulement, je crois l’administration Trump « incapable de conclure un accord », mais je la trouve totalement déconnectée de la réalité. Autrement dit psychotique. Vous pensez que Kim Jong-un soit beaucoup plus effrayant ?


Donc que peut faire le monde ?


D’abord, la réponse facile : les Européens. Ils ne peuvent rien faire. Ils sont insignifiants. Ils n’existent même pas. Du moins pas politiquement.


Certains pays, cependant, montrent un courage absolument étonnant. Regardez ce que le représentant de la Bolivie au Conseil de sécurité de l’ONU a osé faire :


Une preuve de courage

Quelle honte pour l’Europe : un pays petit et pauvre comme la Bolivie a montré plus de dignité que le continent européen tout entier. Pas étonnant que les Russes n’éprouvent aucun respect pour l’UE.


Ce qu’a fait la Bolivie est à la fois beau et noble. Mais les deux pays qui doivent vraiment s’imposer sont la Russie et la Chine. Jusqu’ici, c’est la Russie qui a été l’objet du manque de reconnaissance le plus imbécile et le plus ingrat (en particulier de la part des guerriers en chambre). Il faut que ça change. La Chine a beaucoup plus de moyens que la Russie de faire pression sur les États-Unis pour les faire revenir à un état à peu près sain. Tout ce que la Russie possède sont des capacités militaires superbes. La Chine, en revanche, a les moyens de frapper les États-Unis là où ça compte vraiment : l’argent. La Russie est prise entre deux feux : elle ne peut pas abandonner la Syrie aux cinglés takfiris, mais elle ne peut pas non plus entrer en guerre nucléaire avec les États-Unis en Syrie. Le problème n’est pas Assad. Le problème est qu’il est la seule personne capable, du moins en ce moment, de protéger la Syrie contre Daech. Si Assad est chassé, la Syrie tombe et l’Iran sera le prochain. La Russie ne peut absolument pas se permettre que l’Iran soit détruit par les Anglosionistes parce qu’après l’Iran, elle sera la suivante. Mais, comme je l’ai dit, le problème avec les réponses militaires est qu’elles peuvent conduire à des escalades qui mènent ensuite à des guerres qui pourraient très rapidement se transformer en guerres nucléaires. Donc voici ma thèse centrale :


Vous ne voulez pas que la Russie arrête les États-Unis par des moyens purement militaires, car cela met en péril la survie de l’humanité.


Je me rends compte que pour certains cela peut paraître paradoxal, mais souvenez-vous que les dissuasions ne fonctionnent qu’avec des acteurs rationnels. La Russie a déjà fait beaucoup, plus que tout le monde à part l’Iran. Et si la Russie n’est pas le gendarme du monde, elle n’est pas non plus son sauveur. Le reste de l’humanité doit aussi cesser d’être un spectateur silencieux et faire quelque chose !


La Russie et la Chine peuvent arrêter les États-Unis, mais elles doivent le faire ensemble. Et pour cela, Xi doit cesser d’agir comme une petite statue de Bouddha indifférente et souriante et se mettre à parler haut et clair. C’est particulièrement vrai puisque les Américains manifestent encore moins de peur à l’égard de la Chine que de la Russie.


Aparté

L’armée chinoise est encore loin du genre de moyens qu’a la Russie, mais les Chinois rattrapent leur retard vraiment très vite. Il y a 30 ans, l’armée chinoise était obsolète et primitive. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les Chinois ont fait d’énormes progrès en un temps record et leur armée est maintenant un animal totalement différent de ce qu’il était autrefois. Je n’ai absolument aucun doute sur le fait que les États-Unis ne peuvent pas gagner une guerre contre la Chine, encore moins n’importe où près de la Chine continentale. En plus, je m’attends à ce que les Chinois avancent à fond dans un programme de modernisation de leur armée très énergique qui leur permettra de combler le fossé avec les États-Unis et la Russie en un temps record. Donc toute idée des États-Unis recourant à la force contre la Chine, que ce soit sur Taïwan ou la RPDC, est une idée absolument effroyable, une folie pure. Pourtant, et peut-être parce que les Américains croient à leur propre propagande, il me semble que les gens à DC pensent que nous en sommes aux années 1950 et 1960 et qu’ils peuvent terrifier les « paysans communistes chinois » avec leurs groupes aéronavals. Ce qu’ils n’arrivent pas à comprendre est qu'à chaque mile marin que les porte-avions américains font en direction de la Chine, la cible devient plus grande et plus facile pour une armée qui s’est spécialisée dans les opérations de destruction des navires de guerre. Les Américains devraient se poser une question simple : que feront-ils si les Chinois coulent ou endommagent gravement un (ou plusieurs) transporteurs de l’US Navy ? Entrer en guerre avec une Chine nucléaire bien capable de transformer de nombreuses villes des États-Unis en déserts ? Vraiment ? Vous négocieriez New York ou San Francisco pour le Carl Vinson Strike Group?  Réfléchissez bien.

Jusqu’à présent, la Chine a soutenu la Russie, mais seulement en restant en retrait. C’est très gentil et très prudent, mais la Russie arrive rapidement au bout de ses ressources. S’il y avait un homme sain d’esprit à la Maison Blanche, il ne ferait jamais rien qui puisse déboucher sur une guerre contre la Russie et ce ne serait pas un problème. Hélas, exactement comme Obama avant lui, Trump semble penser qu’il peut gagner au jeu de la poule mouillée nucléaire contre la Russie. Mais il ne peut pas. Permettez-moi d’être clair ici : s’ils sont acculés, les Russes combattront, même si cela signifie une guerre nucléaire. Je l’ai dit de très nombreuses fois, il y a deux différences entre les Américains et les Russes :



  1. Les Russes ont peur de la guerre. Pas les Américains.

  2. Les Russes sont prêts à la guerre. Pas les Américains.


Le problème est que tout signe de prudence des Russes et toute tentative russe de calmer la situation (que ce soit en Ukraine, avec la Turquie ou en Syrie) ont toujours été interprétés par l’Occident comme un signe de faiblesse. C’est ce qui arrive lorsqu’il y a un conflit entre une culture qui met la vanité et la menace au premier plan et une autre qui croit à la diplomatie et aux négociations.


Aparté

Les profondes antinomies culturelles entre les États-Unis et la Russie sont parfaitement illustrées par la différence polaire que les deux pays ont à l’égard de leurs systèmes d’armes les plus avancés. Dès que les Américains déclassifient l’un de leurs systèmes d’armement, ils s’engagent dans une immense campagne de marketing pour le décrire comme « le meilleur des meilleurs » « au monde » (toujours « au monde » comme si quelqu’un prenait la peine de faire des recherches ou même de comparer). Ils expliquent en long et en large combien leur technologie est géniale et à quel point elle les rend invincibles. La parfaite illustration de ceci est toute la propagande (aujourd’hui, rétrospectivement, plutôt ridicule) sur la furtivité et les avions furtifs. Les Russes font exactement le contraire. Premièrement, ils essaient de tout classifier. Mais ensuite, lorsqu’ils déclassifient finalement un système d’armes, ils sous-estiment énergiquement ses capacités réelles, même lorsqu’il est tout à fait clair que la planète tout entière connaît déjà la vérité ! Il y a eu des exemples où les négociateurs soviétiques du désarmement en savaient moins sur les capacités réelles de l’URSS que leurs homologues américains ! Enfin, lorsque les Russes exportent leurs systèmes d’armement, ils dégradent toujours fortement le modèle destiné à l’exportation, du moins cela été la norme jusqu’à ce que les Russes vendent à l'Inde le SU-30MKI, qui comprenait la poussée vectorielle, alors que le SU-30 russe ne l’a eue que plus tard avec le modèle SU-30SM. Donc cela pourrait changer. Posez-vous la question : avez-vous entendu parler des missiles de croisière russe Kalibr avant leur première utilisation en Syrie ? Ou saviez-vous que la Russie avait des missiles nucléaires sous-marins depuis la fin des années 1970, capables de « voler sous l’eau » à une vitesses supérieure à 230 miles à l’heure ?

La Russie est dans une situation très difficile et très mauvaise. Et elle est très seule. Les Européens sont des lâches. Les Américains du Sud ont plus de courage, mais aucun moyen de faire pression sur les États-Unis. L’Inde espère jouer des deux côtés. Le Japon et la Corée du Sud sont des colonies américaines. L’Australie et la Nouvelle-Zélande font partie de la bande ECHELON/FIVE EYES.  La Russie a beaucoup d’amis en Afrique, mais ils vivent tous plus ou moins sous la botte américaine/française. L’Iran a déjà sacrifié plus que tout autre pays et a pris les plus grands risques. Ce serait totalement injuste de demander aux Iraniens de faire davantage. Le seul acteur qui peut faire quelque chose est la Chine. S’il y a un espoir d’éviter quatre ans supplémentaires de « cauchemar de style Obama », c’est à la Chine de s’avancer et de dire aux États-Unis de se calmer.


Pendant ce temps, la Russie suivra une très étroite ligne de crête entre diverses mauvaises options. Son meilleur espoir, et le plus grand espoir pour le reste de l’humanité, est que les élites étasuniennes soient tellement occupées à se battre les unes contre les autres que cela leur laissera très peu de temps pour une quelconque politique étrangère. Hélas, il semble que Trump ait « découvert » qu’une manière d’être intelligent (enfin c’est ce qu’il pense) en politique intérieure est de faire quelque chose d’idiot en politique extérieure (comme attaquer la Syrie). Ça ne marche pas.


Peut-être une destitution de Trump pourrait-elle être une bénédiction déguisée. Si Mike Pence devient président, lui et ses néocons jouiront de nouveau d’un pouvoir total et ils n’auront pas à prouver qu’ils sont durs en faisant des choses stupides et dangereuses ? Le président Pence pourrait-il être meilleur que le président Trump ? Je crains que cela ne soit le cas. En particulier si cela provoque une crise interne profonde aux États-Unis.


Est-elle le dernier espoir pour les États-Unis?

Les quatre prochaines années seront terribles, je suis désolé de le dire. Notre prochain espoir – quoique mince – de voir quelqu’un de sensé à la Maison Blanche pourrait être en 2020. Peut-être que Tulsi Gabbard fera campagne sur une promesse de paix et drainera vraiment le marais ? Peut-être que « l’Amérique d’abord » signifiera quelque chose si Gabbard le dit ? Actuellement, elle semble être à peu près la seule à refuser d’accepter l’absurdité du « c’est Assad qui l’a fait ». Peut-être pourrait-elle offrir le mélange de paix et de politiques sociales progressistes auquel tant d’Américains aspirent vraiment ? Peut-être pourrait-elle devenir la première femme présidente pour de bonnes raisons plutôt que pour des mauvaises. Je ne sais pas. 2020 est encore très, très loin, espérons seulement que nous arriverons tous à cette date avant que quelque imbécile à DC décide que la guerre avec la Russie est une bonne idée.


Ce qui est certain, c’est que la dichotomie Démocrate contre Républicain et conservateur contre progressiste ne sert qu’à perpétuer un système qui se débrouille pour trahir À LA FOIS les valeurs de la Gauche et de la Droite. C’est paradoxal parce qu’il est tout à fait clair que la plupart des Américains veulent que leur pays soit en paix, cesse d’être perpétuellement en guerre et ait des normes sociales et professionnelles civilisées. Bien sûr, les libertariens inconditionnels croient encore que le laisser-faire est une excellente solution, même si cela remet tout le pouvoir aux grandes entreprises et même si cela laisse les citoyens individuels sans défense contre l’oligarchie. Mais soyez sûrs que même les libertariens purs et durs préféreraient l’« étatisme » (comme ils diraient) avec la paix que l’« étatisme » avec la guerre. De même, beaucoup de progressistes inconditionnels veulent limiter sérieusement les libertés de nombreux Américains (petits entrepreneurs, détenteurs d’armes à feu), mais ils préféreraient aussi la paix sans règles et réglementations que la guerre sans règles ni réglementations. Donc je pense que l’éventuelle plateforme unificatrice pourrait être exprimée dans l’idée de « paix et droits civils ». C’est quelque chose sur quoi l’immense majorité des Américains peut se mettre d’accord.  Même les gens de Black Lives Matter devraient accepter cette sorte de « plateforme pour la paix et les droits civils ». Je crois que cela devrait être la priorité du gouvernement fédéral – démanteler la machine de guerre et la machine répressive de l’État : un retrait total des forces américaines déployées dans le monde entier associé à une pleine restauration des droits civils et humains, comme ils l’étaient avant l’attentat sous fausse bannière du 9/11. Et laisser les États traiter toutes les autres questions.


Hélas, j’ai peur que la ploutocratie au pouvoir ne l’autorise jamais. La façon dont ils ont écrasé Trump en un mois me dit qu’ils feront la même chose à quiconque n’est pas de leur bord. Donc, alors que l’espoir est toujours une bonne chose et que j’aime rêver à un avenir meilleur, je ne retiens pas mon souffle. Je pense qu’un effondrement subit et brutal de l’Empire anglosioniste suivi par un éclatement des États-Unis d’Amérique (décrit ici) est beaucoup plus probable.


Nous devrions nous préparer à des temps très difficiles.


Notre seule consolation est que tous les événements dramatiques qui se produisent maintenant aux États-Unis sont des signes de faiblesse. Les élites étasuniennes se dressent les unes contre les autres et, alors que les néocons ont brisé Trump, cela n’arrêtera pas la guerre fratricide au sein de la ploutocratie américaine. Regardez le tableau d’ensemble, comment l’Empire craque sous toutes ses coutures et souvenez-vous que tout cela se produit parce que nous sommes en train de gagner.


L’impérialisme mourra, discrédité et haï par tous ceux qui devront vivre l’effondrement à venir de l’Empire anglosioniste situé aux États-Unis. Avec un peu de chance, cette fois, ce sera le dernier empire dans l’Histoire et l’humanité aura appris sa leçon (il serait temps !).


The Saker


Traduit par Diane, vérifié par Julie, relu par Hervé pour le Saker francophone



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