Ancien professeur au Québec, je soutiens les manifestations étudiantes

En portant un carré rouge à Cannes, Nathalie Baye a semblé dire : tenez bon ! Cela nous ne laisse pas indifférents ! Il est urgent de réagir car de nombreux étudiants deviennent des victimes de la répression policière

Conflit étudiant - Désobéissance civile - 22 mai - un tonnerre d’espoir


(nombreux liens dans le texte original)
LE PLUS. Au Québec, la colère gronde parmi les étudiants, qui refusent massivement de se voir imposer une augmentation faramineuse des frais de scolarité en cinq ans. Plus cher qu'en France, mais bien moins que dans le reste de l'Amérique : le professeur Charles-Pierre Halary revient sur les particularités de ce système qu'il connaît bien pour y avoir enseigné.
Édité par Maxime Bellec Auteur parrainé par Pierre Laurent


Xavier Dolan, Nathalie Baye et Melvil Poupaud au Festival de Cannes, le 18 mai 2012 (NIVIERE/VILLARD/SIPA)


Cannes est un festival où les opinions s’affichent avec discrétion. Nathalie Baye, vedette de "Laurence Anyways" du talentueux Xavier Dolan, a décidé de partager avec lui un petit carré d’étoffe rouge. C’est au Québec le symbole d’appui au mouvement des étudiants en lutte contre la brutale hausse de leurs frais de scolarité. L'esprit de Victor Hugo anime la séance de pose : "Ceux qui vivent sont ceux qui luttent."

Un carré rouge qui vient du froid

Depuis le mois de février, les étudiants des universités et des collèges du Québec se sont lancés dans une vaste contestation de la hausse brutale des frais de scolarité exigés par les universités.

Entre 2007 et 2017, cela donnerait une hausse de près de 130% en dix ans, soit de 1.300 à 3.000 euros par an. C'était une dose de "piastres" (dollars en vieux québécois) de trop. Alors se déclenche le printemps érable dans les rues de Montréal. Des dizaines de milliers de jeunes étudiants, tous les jours. C'est comme cela qu'ils sont sortis des neiges de l'hiver pour sentir les premiers rayons de soleil du printemps érable.

À juste raison. Une telle somme paraît hallucinante en France, dans un secteur où la moindre augmentation des frais d’inscription, qui se situent à 10% de ces sommes, provoque une levée de boucliers de l’UNEF. Pourtant, en Amérique du Nord, de telles sommes sont modestes, surtout en regard des universités états-uniennes les plus recherchées (Harvard, Princeton, Stanford) où il faut multiplier par 10 les frais de scolarité québécois. De nombreuses universités américaines sont aujourd'hui au bord du gouffre, car elles ne sont plus fréquentées. Le client étudiant n'a plus d'argent.

Le Québec francophone dans un rêve "améropéen"

Le Québec se situe culturellement presque en Amérique tout en rêvant au monde européen dans le domaine éducatif. L’idée française qui préside à la République, celle de l’éducation matrice de la nation, est tout à fait éloignée des mœurs américaines en général, et de celles du Québec en particulier.

De nombreux jeunes Québécois sont attirés par le modèle français, même si certains déchantent une fois sur place. Avec de bonnes raisons : les jeunes étudiants français doivent subir deux années d'enfer dans des conditions inacceptables, dans des amphis bondés, avec des contacts pédagogiques absents. Les professeurs ne disposent pas de bureaux personnels. Les conditions matérielles de leur enseignement sont pathétiques.

La filière des prépas et des "grandes écoles" permet la survie bancale de ce système sans avenir en Europe. Le taux d'échec dans les deux premières années de parcours universitaire en France est peu acceptable. Il est le résultat direct de la paupérisation entretenue par des jeux corporatistes où gauche et droite se réunissent.

Alors que le Québec a réussi à former en en demi-siècle des cohortes de jeunes francophones qui sont de niveau mondial, la France a stagné malgré les efforts financiers méritoires de la période Jospin et de Valérie Pécresse.

Si les universités des États-Unis dominent encore leurs rivales à l’échelle mondiale, elles le doivent surtout à un recrutement d’étrangers qui constituent souvent plus de 50% des effectifs dans les filières scientifiques d’élite. Leur réseau primaire et secondaire est nettement inférieur à celui de la France, ou de l’Europe en général.

Le Québec est une exception éducative

Le Québec fait bande à part. Entièrement contrôlé par l’Église catholique du primaire à l’Université jusqu’aux années 60, le système éducatif francophone actuel n’en est qu’à sa deuxième génération d’enseignants débarrassés de cette tutelle religieuse. L’éducation publique, gratuite et obligatoire (pas laïque) au primaire n’a été instaurée qu’en 1964.

En un demi-siècle, le retard a été comblé. Au début du XXIe siècle, les Universités de langue française se situent au-dessus de la moyenne mondiale. C’est tout un exploit. De plus, le Québec dispose d’un réseau de langue anglaise dans la région de Montréal dont les performances se situent nettement au-dessus de cette moyenne avec l'université McGill, dans les premiers rangs.

La gestion de tous ces réseaux éducatifs jusqu’au niveau universitaire relève de la compétence unique de l’État provincial du Québec. La Confédération du Canada intervient uniquement dans la recherche. Or, à Ottawa comme à Québec, le modèle états-unien reste dominant, avec en plus le délaissement des activités industrielles au profit de l’exploitation des ressources naturelles.

Et d'achat massif d'armements états-uniens comme les avions F35, qui sont au centre d'un scandale majeur pour le Premier ministre Stephen Harper, ces avions mal conçus étant cloués au sol pour défauts multiples.


Des manifestants à Montréal, le 20 mai 2012 (Graham Hughes/AP/SIPA)


Alors pourquoi cette augmentation, malgré la réussite du système ? Tout simplement pour faire face à une montée considérable des dépenses de gestion et de recherche dans les universités. Les salaires des professeurs et surtout des cadres se situent entre deux et cinq fois ceux de leurs homologues en France sauf dans les disciplines de gestion, de finance et de commerce qui sont en mesure de rivaliser, avec HEC, par exemple.

La rectrice de McGill, Heather Munroe-Blum, va plus loin encore puisqu'elle gagne un demi-million d’euros par an. Le modèle états-unien a toujours été partagé par les étudiants anglophones du Québec, dans leur vaste majorité. Ceci ne fait pas scandale. Pas encore.

Ce transfert des fonds vers les professeurs, les cadres et la recherche correspond au modèle états-unien dominant. Mais, de cela, les étudiants francophones n’en veulent pas, car cela signifie la transformation de leurs aspirations sociales et signale la fin d’un récent réseau régional d’établissements francophones, né dans les années 70-90. À terme, cela signifie le retour à une société paupérisée, celle dont le Québec était sorti avec une "Révolution tranquille" dans les années 60.

Un gouvernement du Québec en fin de course

Usé par le pouvoir et menacé par diverses enquêtes, le gouvernement libéral/conservateur de Jean Charest, grand ami de Nicolas Sarkozy, n’a pas vu venir la colère massive des étudiants. Il a laissé les choses pourrir sans négocier dans l’espoir de gagner une réélection sur une posture d’ordre et de fermeté. Calcul douteux car cette augmentation aurait pu être absorbée avec une négociation réelle. Les étudiants aiment étudier.

Contrairement au niveau fédéral canadien à Ottawa, où une gauche (Nouveau Parti Démocratique) affronte une droite (Parti conservateur) avec comme arbitre un centre (Parti libéral), il n’y a pas de débat gauche-droite au niveau provincial du Québec, mais seulement un choix entre indépendantiste et fédéraliste.

Le mouvement des étudiants, aujourd’hui exténué, n’aura servi que de masse de manœuvre entre le Parti libéral de Jean Charest et le Parti Québécois de Pauline Marois. Un seul député, le médecin Amir Khadir, de Québec solidaire, a tenu un discours inspiré d'une social-démocratie normale. C'est peu. Même si son discours rejoint celui des centrales syndicales et celui du Barreau du Québec qui regroupe les avocats.


Le discours d'Amir Khadir du 18 mai 2012

S'il remporte les prochaines élections provinciales, le Parti québécois, très francophile, a promis de supprimer l'augmentation des frais de scolarité et la loi qui interdit de la contester jusqu'en juillet 2013. C'est une position de sagesse tardive.

Les médias, qui renvoient en France les images de la confrontation entre étudiants et gouvernement, induisent un sentiment d'incompréhension mais de sympathie pour des jeunes gens qui défilent tous les jours avec des carrés de couleur rouge.

"Être dans le rouge" : ne plus avoir d'argent, est une situation largement vécue par la génération actuelle qui doit, là-bas, comme ici, affronter une dégradation des conditions générales d'existence.


Les étudiants manifestent à Montréal, le 20 mai 2012 (AP Photo/The Canadian Press, G. Hughes)


Des mesures qui menacent les échanges entre la France et le Québec

L'esprit républicain souffle sur les têtes de ces jeunes qui n'ont pas eu la chance d'avoir eu un combattant décidé comme Jules Ferry pour imposer à l'Église catholique une éducation de qualité dès la fin du XIXe siècle. Par contre, aujourd'hui, ils font preuve d'un sens de l'initiative qui engendre l'admiration chez leurs aînés.

Aujourd'hui, la politique du gouvernement libéral-conservateur de Jean Charest remet de facto en question les accords entre la France et le Québec en matière d'échanges d'étudiants. Plusieurs milliers d'étudiants français présents au Québec sont actuellement victimes de cette incurie. Ils reviendront plus avertis en France. De ceci en particulier :

Tout d'abord que les universités autonomes du Québec sont supérieures au centralisme que le Corse Napoléon a édicté pour étouffer la créativité intellectuelle critique en France. L'Université de l'Empire napoléonien a largement contribué à effacer notre capacité créative en France. Prenons Pasteur, par exemple : il s'est réfugié dans une entreprise privée, un Institut, qui porte toujours son nom.

Le système universitaire napoléonien a sauté en 1968. Il a peu à peu été rétabli dans sa hiérarchie par la droite corporatiste et le parti communiste, les deux bêtes noires des étudiants de 68. L'expérience réussie qui en est issue, l'Université Paris VIII Vincennes/Saint-Denis, a servi de modèle à la mise en place du grand réseau d'État des universités au Québec. Or, c'est ce réseau qui est gravement menacé par le gouvernement de Jean Charest aujourd'hui.

Valérie Pécresse a eu raison de faire des universités des entités autonomes, en prenant comme modèle universitaire le Québec. Elle ne savait probablement pas quelle était sa source d'inspiration soixante-huitarde. Ni Jospin, ni Mitterrand n'ont eu le courage de procéder à cette réforme cruciale, saluée dans le "Nouvel Observateur" par Jacques Julliard. Pour la jeunesse, cette réforme rejoint la suppression du service militaire obligatoire, promise par Mitterrand, réalisée par Chirac.

Avec 35 ans de vie quotidienne dans les universités du Québec et une édifiante pratique de celles de France, il n'y a pas pour moi aucun doute. Pour tous les étudiants français (plusieurs dizaines de milliers depuis les années 80) qui ont eu le bonheur de vivre une expérience québécoise, non plus. Ensuite, qu'au Québec comme en France, les étudiants sont l'objet de manœuvres politiques, en général pour les sauver de périls inexistants.

Enfin, et Daniel Cohn-Bendit en est un exemple, ceux qui surnagent au sommet des turbulences estudiantines finissent par comprendre les bienfaits de la démocratie parlementaire, quand les lois d'exception en sont écartées. Or, aujourd'hui, une loi d'exception vient d'être promulguée contre les étudiants du Québec dont la principale composante "étrangère" vient de France.

En portant un carré rouge à Cannes, Nathalie Baye a semblé dire : tenez bon ! Cela nous ne laisse pas indifférents ! Il est urgent de réagir car de nombreux étudiants deviennent des victimes de la répression policière.


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