Bellemare évoque les pressions de l'argentier libéral Franco Fava

Commission Bastarache


Martin Ouellet - Avec la bénédiction de Jean Charest, le collecteur de fonds libéral Franco Fava a imposé la nomination des juges Marc Bisson, Michel Simard et Line Gosselin-Després, a soutenu mardi l'ex-ministre de la Justice, Marc Bellemare.
Après avoir renoncé de guerre lasse à faire dérailler la commission d'enquête sur le processus de nomination des juges, l'ancien ministre a livré, devant le commissaire Michel Bastarache, un témoignage potentiellement dévastateur pour le premier ministre Charest.
Au cours d'une rencontre de 90 minutes en tête-à-tête avec M. Charest, le 2 septembre 2003 à Québec, le premier ministre aurait déclaré: «S'il (Franco) t'a dit de nommer Simard et Bisson, nomme-les», a raconté Me Bellemare, à l'occasion des audiences tenues à Québec.
Lors d'une seconde rencontre, cette fois le 8 janvier 2004 à Montréal, M. Charest aurait tenu les mêmes propos au sujet de Mme Gosselin-Després, une parente du ministre du Travail de l'époque, Michel Després.
«On a réglé ça la dernière fois, aurait répété le premier ministre. S'il (M. Fava) t'a dit de la nommer, nomme-la», s'est souvenu Me Bellemare.
Ministre de la Justice de 2003 jusqu'à sa démission en avril 2004, Marc Bellemare a dit avoir commencé à subir des pressions de la part de l'argentier Fava en juillet 2003, quelques mois après l'élection générale du 14 avril.
Entrepreneur de la région de Québec et collecteur de fonds libéral de première catégorie, M. Fava exerçait une «influence colossale» sur la nomination des magistrats, a allégué Me Bellemare.
Aux dires de l'ancien ministre, M. Fava insistait, parfois de vive voix, parfois dans des entretiens téléphoniques, pour «placer notre monde», c'est-à-dire des sympathisants libéraux aux postes clés de la magistrature.
Le financier en menait tellement large dans les cercles les plus influents du parti libéral qu'il savait «avant moi que je serais nommé ministre», a confié l'avocat de Québec pendant qu'il était interrogé par le procureur de la commission, Giuseppe Battista.
L'entrepreneur était aussi particulièrement «plogué» puisqu'il était au courant que le nom de Marc Bisson figurait sur la liste des candidats à la magistrature, a souligné Me Bellemare.
«C'était le roi et il ne s'en cachait pas», a dit l'ex-politicien de 53 ans pour illustrer l'autorité morale qu'exerçait M. Fava dans le parti et plus tard au sein du gouvernement.
Jugeant inacceptable qu'un tiers s'immisce dans son travail, l'ancien ministre de la Justice en avait appelé au premier ministre mais celui-ci se serait rangé aussitôt du côté du grand argentier libéral.
«M. Charest m'a dit: «Franco, c'est un ami personnel, c'est un collecteur influent du parti, on a besoin de ces gars-là, il faut les écouter, c'est un professionnel du financement»', a relaté M. Bellemare, dans son exposé comportant moult détails.
Nommé le 26 novembre 2003 à la Cour du Québec, Marc Bisson est le fils de Guy Bisson, un organisateur libéral de l'Outaouais.
Compte tenu des services rendus au parti par le père de M. Bisson - il avait contribué à l'élection du député de Papineau et ministre Norman MacMillan - M. Fava estimait qu'il fallait «nommer son fils», a indiqué Me Bellemare.
M. Fava aurait aussi réussi à imposer les nominations de Michel Simard, promu juge en chef adjoint à la Chambre civile de la Cour du Québec le 5 novembre 2003, et Line Gosselin-Després nommée à la Chambre de la jeunesse en mars 2004.
Outre M. Fava, le ministre Michel Després ne se gênait pas pour mousser la candidature de Mme Gosselin-Després, a dit Me Bellemare. Le député Norm MacMillan faisait de même pour M. Bisson, a-t-il ajouté.
Dans le cas du juge Simard, il était le choix de Charles Rondeau, un comptable au cabinet Malette et intime de M. Fava.
Pendant son témoignage, l'ex-ministre a également montré du doigt un ancien conseiller de M. Charest en matière de sécurité publique, Denis Roy, qui aurait tenté de s'ingérer dans un dossier de nature judiciaire.
M. Roy est aujourd'hui président de la Commission des services juridiques.
Mandatée par le premier ministre Charest, la commission Bastarache vise à faire la lumière sur les allégations de trafic d'influence dans la nomination des juges soulevées le printemps dernier par Me Bellemare.
Peu avant le témoignage de l'ex-ministre, le commissaire Bastarache a dit vouloir «établir les faits» et déterminer si le processus en vigueur permet l'influence de «tiers» dans la nomination des juges de la Cour du Québec et des tribunaux administratifs.
Une quarantaine de témoins devraient être entendus au cours des audiences à venir, d'ici au dépôt du rapport de la commission le 15 octobre.
La commission, a dit le juge Bastarache, aura à déterminer si le système actuel est adéquat ou s'il devrait être modifié de façon à «garantir son intégrité».
Les travaux de la commission ont été ajournés et reprendront mercredi avec la suite du témoignage de Me Bellemare.


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