Canada-Tunisie - Notre ami Ben Ali

"Crise dans le monde arabe" - Tunisie 2010


Depuis l'essor de la révolution du jasmin en Tunisie, le gouvernement canadien et d'autres États occidentaux célèbrent le «mouvement démocratique» et la «défense des droits» dans un pays meurtri par des décennies de dictature. Ces déclarations de bonnes intentions doivent cependant être remises dans le contexte où le gouvernement canadien a été pendant longtemps le «bon ami» du dictateur Ben Ali. Encore aujourd'hui, des dictateurs demeurent nos «bons amis», dans cette logique perverse et inacceptable qui place les intérêts commerciaux en haut de la défense des droits.
Une dictature «efficace»

Dès son avènement, Ben Ali avait mis en place un anneau de fer autour de la société tunisienne. Des milliers de personnes ont été arrêtées et torturées sans accusation ni procès. À l'époque, la dissidence tunisienne était influencée par des mouvements islamistes et donc, cette répression était «acceptable» aux yeux du Canada, des États-Unis, de la France. La dictature de Ben Ali avait aussi l'énorme avantage de créer un bon climat pour les affaires.
À l'époque du gouvernement de Jean Chrétien, une commission mixte Tunisie-Canada avait été constituée pour approfondir les échanges, sous l'égide du ministre Jacques Saada. Ces échanges avaient pour but de favoriser la concertation politique entre la Tunisie et le Canada et de renforcer le partenariat dans les domaines commercial et économique. Ainsi, on a observé la croissance régulière de ces échanges pendant plusieurs années.
Une «stabilité» au service des dominants

Exportation et développement Canada (EDC), une institution fédérale dont le mandat est de favoriser les exportations canadiennes, «rassurait» les investisseurs canadiens potentiels en affirmant que le «régime du président Ben Ali maintient le cap et la stabilité politique de la Tunisie, notamment grâce à l'attention particulière que le gouvernement accorde au bien-être collectif et, parallèlement, par la vigueur et l'efficacité des actions des forces de sécurité nationales».
EDC ajoutait qu'heureusement, «la plupart des opposants islamistes ont quitté le pays ou ont été emprisonnés lors du renforcement des mesures de répression». Conclusion selon EDC, «la stabilité du régime avec le président en poste, Ben Ali, et le parti au pouvoir (RCD) devrait continuer à moyen et à long terme». (Aperçu de la Tunisie, Exportation et développement Canada, octobre 2010).
Le bon allié

Après les invasions de l'Afghanistan et de l'Irak, la politique canadienne s'est réalignée avec la «guerre sans fin» déclarée par le président George W. Bush. Lors de l'élection du Parti conservateur en 2006, le gouvernement Harper a accentué ce virage, faisant du Canada l'allié indéfectible des États-Unis. Par rapport à la Tunisie, Washington a renforcé ses liens avec Ben Ali, notamment en transférant dans des prisons secrètes tunisiennes des détenus qui ont par la suite été torturés par des policiers tunisiens et états-uniens.
Dans l'oeil des gouvernements occidentaux, Tunis était un partenaire fiable dans la guerre sans fin déclarée d'un bout à l'autre de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. En avril 2010, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Lawrence Cannon, rencontrait le ministre des Affaires étrangères de la Tunisie, Kamel Morjane, pour réaffirmer l'importance qu'ils attachent au renforcement des relations entre les deux pays.
Sans fin dans la «guerre sans fin»

En fin de compte, l'«allié» tunisien n'a été qu'un des maillons dans une politique canadienne destinée à soutenir les dictatures dont le principal «mérite» est d'appuyer les États-Unis et leurs alliés dans cette région. L'été dernier, Lawrence Cannon était de passage à Alger, où les relations commerciales sont beaucoup plus importantes. La visite avait pour but non seulement de renforcer le commerce, mais aussi de féliciter le gouvernement algérien de sa «bonne gouvernance».
L'État canadien ferme les yeux depuis longtemps sur les exactions commises par le gouvernement algérien, sous le couvert de la «lutte contre le terrorisme», ce qui permet les pires manipulations de l'espace politique et qui «justifie» la détention sans procès, la torture et la chasse aux dissidents, islamistes ou pas!
Cette même politique hypocrite est à l'oeuvre ailleurs dans cette région du monde, notamment en Égypte où sévit un autre grand «ami» d'Ottawa et de Washington, Mohammed Hosni Moubarak. Le président mal-aimé s'apprête à introniser son fils après plus de trente ans au pouvoir. Selon tous les organismes de défense des droits de la personne, ce gouvernement est le champion de la fraude électorale, de la répression des médias et des traitements inhumains infligés aux opposants de toutes tendances. Moubarak peut faire ce qu'il veut, c'est un autre «dictateur efficace».
Deux poids, deux mesures
Ottawa peut faire de belles déclarations sur la démocratie. Il peut aussi «sermonner» certains gouvernements «coupables» à ses yeux, pas tellement parce qu'ils répriment la démocratie, mais parce qu'ils osent affronter les États-Unis (l'Iran et la Syrie notamment). Il peut se faire le champion de l'occupation des territoires palestiniens et des agressions de l'État israélien contre tout le monde, encore une fois au nom de la démocratie et de la paix. Mais aujourd'hui, à l'heure de l'Internet, des réseaux comme Al-Jazeera, les populations ne sont plus dupes. Le Canada n'est plus l'allié et l'ami de personne en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
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Pierre Beaudet - Professeur à l'École de développement international et de mondialisation de l'Université d'Ottawa


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