Repenser l'émancipation

Tribune libre

Ceux qui prédisaient la « fin de l’histoire » et le « triomphe définitif » du capitalisme lorsque le mur de Berlin est tombé ont aujourd’hui perdu leur arrogance. Après tout, c’est le capitalisme qui se « dévore » lui-même. Les plus gros mangent les plus petits et les ultra-gros mangent les gros dans une foire d’empoigne sans fin. En attendant, la facture salée est refilée aux populations, en commençant par les plus vulnérables, notamment les jeunes, pendant que les nouveaux seigneurs du monde à Wall Street et à Bay Street accumulent des richesses sans fin. Et dire qu’après cela, on nous fait croire que le problème vient seulement de quelques pommes pourries.
En réalité, le mensonge porte de moins en moins. Une majorité de gens pense qu’effectivement, le problème, c’est le 1 %. Avec l’essor des mouvements populaires et des communications sociales, le roi est nu. Des mobilisations inédites prennent forme sous diverses appellations : les indignados, les occupy Wall Street, le printemps arabe et plus près de chez nous, les carrés rouges. Certains intellectuels et les médias-poubelles ricanent, ce sont des mouvements « éphémères », sans « objectif », des « cris de désespoir ».
Sur la question de l’éphémèrité, il faut être aveugle pour ne pas voir que les mouvements actuels s’inscrivent dans la durée. Au Québec en tout cas, il y a une continuité évidente entre les Carrés rouges avec la Marche des femmes contre la pauvreté (1995), le Sommet des peuples des Amériques (2001), les grèves contre Charest (2003), la grève étudiante de 2005, pour ne nommer que les épisodes les plus connus. Et là-dessus, il n’y a ni conspiration ni secret. La population est de plus en plus consciente de ce qui se passe et régulièrement, elle trouve l’énergie pour dire basta.
Sur un autre registre, il ne faut rien comprendre pour ne pas voir que les luttes ont des objectifs à la fois précis et amples. Les étudiants, les femmes, les syndiqués, les écologistes arrivent à chaque fois avec des revendications concrètes, la plupart du temps chiffrées. Ils prennent la peine de démontrer que ces revendications n’ont rien de « délirantes », qu’elles s’inscrivent dans un contexte où la société peut faire des choix et n’a pas à se résigner devant les politiques dominantes, comme si celles-ci étaient « naturelles ». On voit aujourd’hui par exemple que les politiques d’austérité, de déficit zéro et d’autres agressions contre les acquis sociaux, non seulement ne sont pas « naturelles », mais elles contribuent à aggraver la crise. Maintenant que c’est le FMI qui le dit et non le Forum social mondial, peut-être que les dominants vont finir par écouter. Je serais surpris, mais sait-on jamais …
Enfin, loin d’être un cri de désespoir, les mouvements actuels portent une grande utopie, au sens noble du terme. La reconstruction de notre monde s’avère non seulement un espoir, mais une nécessité. La transformation des personnes en « ressources » marchandisables, le pillage des ressources, l’idéologie agressive du tout-le-monde-contre-tout-le-monde prenant la forme du racisme, de l’islamophobie et du colonialisme, sont contestées d’une manière créative et constructive, pour promouvoir l’égalité, le bien commun, la solidarité. Certains diront que ce n’est pas clair, mais il est facile d’observer l’essor d’un nouveau paradigme de l’émancipation, beaucoup plus riche et généreux que celui qu’on a connu avec le socialisme du vingtième siècle. Cette émancipation se vit à la très petite échelle, dans les quartiers et les lieux de travail, dans la création d’espaces de vie fonctionnant avec d’autres valeurs que ce que les dominants veulent imposer. Il se vit à plus grande échelle avec des nations qui se reconstruisent dans la dignité, comme on le constate en Bolivie par exemple où les autochtones ont fini par convaincre tout le monde qu’on doit vivre ensemble dans la Pachamama.
Le nouveau chemin de l’émancipation s’ouvre à toutes sortes d’initiatives. Il est par définition pluraliste, flexible, à géométrie variable, car les peuples ont des histoires, des cultures, des valeurs qui les distinguent. Ainsi à gauche, il n’y a plus de pensée « unique », d’ « avant-garde éclairée ». Paul Freire, ce grand champion brésilien de l’éducation populaire disait, « il n’y a pas de chemin. Le chemin, on le construit en marchant ».
Les 15-17 août se tient à l’UQAM à Montréal l’Université populaire organisée par les Nouveaux cahiers du socialisme. La conférence inaugurale sera prononcée par le sociologue Immanuel Wallerstein, un jeune de cœur qui parcourt la planète des mouvements populaires depuis 50 ans. (www


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4 commentaires

  • Jean-Pierre Bélisle Répondre

    12 août 2013

    Je me souviens, il y a maintenant pas loin de 45 ans, de la remontrance d’un homonyme à vous, disons.
    Me présentant d’un mouvement autoritaire son « petit livre rouge », m’avait-il rétorqué sur un ton pontifiant : « (…) alors trouve-moi là-dedans une seule citation qui ne s’applique pas au Québec ».
    C’est que dans certaines chapelles politiques de la fin des années ’60, financées et investies de l’extérieur, la « pensée du Grand Timonier » était alors le paradigme universel de l’émancipation des peuples, et plus particulièrement, à l’époque, de l’émancipation du « peuple canadien » dans son ensemble, i.e. de Vancouver à Saint-John’s.
    Pour ceux-ci, notre histoire, notre langue et notre culture spécifiques ne pesaient pas lourd dans la grande balance prolétarienne de la lutte des classes. Lutter pour notre culture et notre indépendance nationale était la pire des hérésies. Du nationalisme bourgeois, une duperie corruptrice. Au mieux, au Québec, la langue française n’était qu’un moyen de communication avec les classes laborieuses. Et la soi-disant culture nationale Québécoise, celle de sa bourgeoisie.
    À cet égard, quel est donc ce trajet vraiment parcouru depuis l’époque de la « pensée unique et de l’avant-garde éclairée »? De quels principes s’alimente maintenant le nouveau paradigme ? Et sur la question de l’éphémèrité, en quoi le mouvement indépendantiste Québécois ne peut-il pas s’inscrire dans la durée, dans la « continuité évidente » de ce « nouveau chemin d’émancipation » ?
    Je ne suis pas aveugle; je constate aussi qu’avec l’essor des mouvements populaires et des communications sociales, des mobilisations inédites ont pris forme; que des nations se construisent dans la dignité. Mais il m’arrive également de croire qu’à l’égard de ma propre nation, le message socialiste occulte toujours fondamentalement notre « indépendance qui reste à faire ». Et je n’y trouve toujours pas mon compte.
    Mais je suis aussi d'accord, comme le dit Madame Ferretti: "Excellent texte, monsieur Beaudet".
    JPB

  • Alain Maronani Répondre

    11 août 2013

    @Beaudet
    Vous etes récompensé, un désir sincère de partager une information différente, une autre perspective, par les diatribes habituelles de l'un des neo-nazis, révisionniste de l'histoire récente, amalgame entre la finance juive (un terme qu'ils n'osent pas utiliser trop souvent...), proposant son agenda sur la Syrie comme la vérité universelle, bref, ils sont quelques uns ici, je suis persuadé de voir rapidement leurs noms, toujours les memes, s'ajouter ici...
    M.Wallerstein, est coupable, il a commis des crimes, il fait partie du 1 %, ou il y a beaucoup de juifs, etc...
    Coupable par association d'origine...
    Marxiste..., influencé par Franz Fanon
    De plus il a l'idée de penser que les conflits et leurs solutions puissent échapper aux états et etre trans-nationaux...pensée impardonnable..
    Cela me rappelle quelque chose a propos du 'fucking frog...'
    Une analyse de la situation en Syrie par Wallerstein, bien loin des diatribes de Perron...
    http://www.iwallerstein.com/syrian-impasse/
    Un commentaire de ses idées par les tenants de l'ultra-libéralisme...
    http://mondesfrancophones.com/chroniques/les-humeurs-de-marius-letellier/les-contreverites-et-derapages-d%E2%80%99immanuel-wallerstein/
    Vivement que revienne le temps ou l'on puisse de nouveau séparer le bon grain de l'ivraie...les purs et les méchants...les méchants banquiers levantins et les autres...ah l'épuration ca c'était sympa...

  • Archives de Vigile Répondre

    11 août 2013

    Excellent texte, monsieur Beaudet.
    Il résume bien l'actuelle erre d'aller du monde, autant la rapacité des puissants que "la force peuple"(Armand Vaillancourt)
    Et, qualité première, il communique le désir de continuer la lutte, en s'engageant dans l'un ou l'autre et même dans plusieurs des multiples combats en cours.
    Merci,
    Andrée Ferretti.

  • Martin Perron Répondre

    10 août 2013

    M.Wallerstein est un universitaire d'origine juive, né à New-York en 1930. Il côtoie donc depuis plus de 80 ans le 1% des "nouveaux seigneurs du monde à Wall Street". Je mentionne l'origine ethnique de M. Wallerstein parce que cela détermine en grande partie son milieu, sa pensée politique et philosophique. Il déclare sur sa page facebook qu'on discutait beaucoup politique dans sa famille et qu'ils étaient en quelque sorte "communistes" ce qui est très loin de la position politique de l'Américain moyen en 1940. M. Wallwerstein se spécialise, je crois, dans l'analyse des mouvements sociaux sur la base d'une hypothèse personnelle très discutable. Il parle d'un centre et d'une périphérie plutôt que d'intérêts nationaux pour expliquer le monde. Il réussit l'exploit de commenter la guerre civile meurtrière en Syrie sans mentionner une seule fois l'implication de l'État hébreu voisin, Israël. Est-ce que M. Wallerstein pourrait expliquer les liens invisibles qui ont uni communistes et capitalistes dans la révolution de 1917 en Russie qui a fait 20 millions de victimes (?) et qui n'aurait jamais réussi sans l'aide de ces banquiers new-yorkais, le 1% dont vous parlez M. Beaudet?
    Je me pose ces questions M. Beaudet parce que moi aussi j'ai à coeur le 99% et ne peux plus supporter les crimes du 1%. Il va bien falloir séparer le bon grain et l'ivraie et parler des vraies choses en commençant par un passé récent, les crimes commis et leurs auteurs.