Chaoui : combattre la démocratie par la démocratie

Chronique de Djemila Benhabib


Il n’y a là rien de surprenant qu’un islamiste bourru tel l’imam montréalais Hamza Chaoui vocifère contre la démocratie. Pourtant certains analystes s’en inquiètent. Très bien. A y regarder attentivement, la nouvelle se trouve ailleurs.
Mais avant de poursuivre la réflexion, reconnaissons au prédicateur d’origine marocaine la « clarté » de son propos. Il n’y a nulle ambiguïté dans ses déclarations quant à la démocratie. C’est la preuve même que cet homme n’a rien du religieux qu’il prétend être mais tout du politique. Plus encore, du fanatique. Et l’imam ne s’en cache pas, il exprime ouvertement sa détestation de notre système de gouvernance basé sur la séparation des pouvoirs politique et religieux.
Je devine à travers vos réactions, ses propos vous choquent. Mais pensez-y, combien sont-ils à partager exactement la même vision que lui et à rester muets sur leurs véritables intentions?
Au moins avec Chaoui, on a l’heure juste. Il est contre la démocratie. Point. En ces temps de grande confusion politique, il nous éclaire sur ses véritables motivations, ici même au Québec, combattre la démocratie sur son propre terrain. Cependant, nul ne sait exactement où commence et surtout où se termine le combat des islamistes. Ils ont à leur disposition au Québec et au Canada un très large réseau organisé de mosquées, d’œuvres de charité, de banques, d’écoles, de maisons d’édition et une multitude d’autres organisations islamiques, aussi diverses et redoutables les unes que les autres.

Cette idée de faire échec à la démocratie par la démocratie peut paraître folle, insensée et démesurée. Pourtant elle n’est pas nouvelle. Elle est au cœur même du projet islamiste.
L’islam politique, cette idéologie d’extrême, d’extrême droite, prône la fusion entre l’islam et l’État. Son programme se résume en peu de mots: l’islam est religion et État à la fois et la charia est la constitution de cet État. Or, la charia se fonde sur la supériorité du musulman sur le non-musulman et sur la supériorité de l’homme sur la femme. Dans cet esprit, il n’est guère étonnant de constater que les droits des femmes répugnent aux islamistes. Les homosexuels les effraient tout autant. La laïcité leur fait horreur.
Ce bras de fer en dit long sur la nature même de la confrontation à laquelle nous assistons entre deux projets de sociétés antagoniques.
Cette posture assumée de Chaoui se transforme en arrogance lorsqu’il menace de poursuivre le maire Denis Coderre et réclame, du même souffle, des excuses publiques de sa part. On croit rêver. Se présenter comme la victime d’un système occidental injuste et brutal est une avenue prometteuse.
Les islamistes sont les champions dans le retournement des situations ; l’inversement des paradigmes et des rôles. Vous vouliez assister au procès de Chaoui? Ben, voilà, c’est le procès de la démocratie qu’on vous promet. Euh.
Leur stratégie repose sur i) l’instrumentalisation de l’islam ii) l’instrumentalisation de la démocratie iii) la transposition du combat idéologique sur le terrain juridique. En ce sens la liberté d’expression et les droits de la personne sont soigneusement détournés de leur nature pour servir les ennemis de la démocratie.

Dans les années 1990, le numéro 2 du Front islamique du salut (FIS), parti islamiste algérien, Ali Belhadj, profitait de toutes les tribunes qui lui étaient offertes pour répéter encore et encore que la démocratie est kofr (impie). Il ajoutait aussi que les musulmans avaient l’obligation de combattre ce système par tous les moyens.
Dans une main, le Coran, dans l’autre, la kalachnikov, la porte du djihad était grande ouverte. Les jeunes affluaient. Il fallait comprendre à travers cette stratégie que la prise du pouvoir se faisait sur deux niveaux : l’insurrection armée d’une part, et les élections, par ailleurs.
Il n’y a là aucune contradiction mais plutôt un simple paradoxe. En effet, réaliser que la démocratie puisse, aussi, profiter à ses ennemis les plus virulents, pour nous amener tout droit vers la tyrannie fait froid dans le dos. L’exemple de l’Algérie n’est pas un cas unique dans le monde. L’Iran a vécu aussi un tel revirement de situation avec la Révolution islamique en 1979. Et bien avant, l’Europe des années 30, a permis à des partis totalitaires de tordre le cou à la démocratie par la voie des urnes.
Oui, la démocratie peut mener, quelquefois, tout droit vers la barbarie. Il importe de retenir les leçons de l’histoire. Et surtout, ne pas les répéter.


Laissez un commentaire



3 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    8 avril 2015

    " Or, la charia se fonde sur la supériorité du musulman sur le non-musulman et sur la supériorité de l’homme sur la femme. "
    N'était-il pas choquant de voir l'amorce d'entrevue d'Azeb Voldegorghis avec Chaoui?
    Pour bien montrer son dédain de la femme, il s'est présenté à elle les deux mains bien enfoncées dans ses poches jusqu'au moment de se protéger derrière son bureau...

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2015

    La démocratie est un moindre mal disait Winston Chuchill.
    « La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes. »
    http://evene.lefigaro.fr/citations/winston-churchill?page=2

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2015

    Bonjour Mme Benhabib,
    Vous écrivez: « Son programme se résume en peu de mots : l’islam est religion et État à la fois et la charia est la constitution de cet État.»
    Ne serait-il pas plus juste de dire que le Coran est la constitution, et que la charia serait le code civil/criminel?