Le gouvernement pro-austérité au Portugal devrait tomber sous la pression de la gauche, majoritaire au Parlement. En quoi cette situation rappelle-t-elle le scénario grec ? L’économiste Jacques Sapir s’explique pour RT France.
RT France : Qu’est-ce que la chute du gouvernement au Portugal pourrait changer pour le pays ?
Jacques Sapir : La chute du gouvernement du centre-droit était prévisible parce que le centre droit n’a plus de majorité au Parlement. Cette chute va entraîner une constitution du gouvernement de gauche qui va normalement commencer immédiatement le processus de renégociation sur sa dette. Il est clair que ce gouvernement de centre-gauche va se heurter aux institutions européennes et on voit qu’il y a désormais le risque d’un scénario à la grecque se produise au Portugal.
RT France : Est-ce que le nouveau gouvernement portugais pourrait faire face à l’UE et insister sur sa politique anti-austérité ?
Jacques Sapir : A l’évidence il y a un très gros problème dans la mesure où une partie du parti de gauche n’est pas en réalité disposé à aller jusqu’à une rupture avec les institutions européennes. Donc on ne peut pas exclure qu’il y ait aussi dans ce scénario à la grecque la même issue et que le gouvernement portugais finisse par capituler devant les exigences de l’Europe. Il faut comprendre que cette capitulation prendra un certain temps et de toutes les manières on voit en Grèce aujourd’hui que cette capitulation n’a rien réglé. Aujourd’hui, il y a à nouveau des problèmes importants entre le gouvernement grec et les institutions européennes, car ces dernières demandent au gouvernement de mettre en place des réformes que le gouvernement grec n’est simplement pas capable de réaliser. On comprend bien qu’il y a là un problème politique important, que ce problème politique venant s’ajouter au problème politique grec, puis au problème politique potentiel de l’Espagne et aux problèmes de la Grande Bretagne qui va tenir en 2016 un référendum sur son appartenance au sein de l’UE. L’ensemble de ces problèmes politiques créent un contexte très défavorable tant pour la zone euro que pour l’Union européenne.
RT France : Quelles similitudes pouvez-vous évoquer entre la situation en Grèce et au Portugal ?
Jacques Sapir : La principale ressemblance c’est que le Portugal comme la Grèce est un pays qui a terriblement souffert des politiques d’austérité qui ont été imposées au nom de l’euro par les institutions européennes. Mais les problèmes politiques ou sociaux qui sont soulevés au Portugal ne sont pas différents aux problèmes grecs. La seule véritable différence, c’est que la situation portugaise est peut-être non-désespérée, à la différence de la situation grecque. En effet, la dette portugaise reste sensiblement inférieure à celle de la Grèce. Mais si on regarde la situation politique, économique et sociale dans le pays, il est clair qu’on est en présence de cas de figure qui sont très similaires.
RT France : Le changement du gouvernement au Portugal peut-il changer quelque chose au niveau européen ? Est-ce que le pays peut sortir de la zone euro ?
Jacques Sapir : Ce n’est pas la possibilité la plus probable. Cependant, c’est toujours une possibilité ouverte dans la mesure où le pays rentre en conflit avec la Commission européenne et l’Eurogroupe. A partir de ce moment-là, il est clair que l’Eurogroupe refera le chantage qu’il a fait vis-à-vis de la Grèce jusqu’à la possible sortie de la zone euro. Même si les partis portugais ne souhaitent pas – ils l’ont dit – la sortie de la zone euro, on ne peut pas exclure néanmoins qu’il y ait une accumulation à la fois des maladresses et des conflits des deux côtés, on ne peut pas exclure qu’on aboutisse à la sortie de la zone euro. De toutes les manières, si on a cette situation de conflit entre le gouvernement portugais et l’Eurogroupe, il est évident qu’il y aura des conséquences importantes sur l’Espagne parce qu’on voit bien aujourd’hui que l’économie portugaise est largement intégrée dans l’économie espagnole et sauf s’il y a des troubles importants sur l’économie portugaise, cela aura nécessairement des conséquences sur l’économie espagnole.
RT France : Avec les déclarations du Premier ministre britannique David Cameron sur le référendum concernant sa sortie de l’UE, les crises que traverse l’UE avec la Grèce et le Portugal, est-ce que l’Union se trouve toujours dans une position de force ou risque-t-elle d’être déstabilisée ?
Jacques Sapir : La situation dans l’UE s’apparente en fait à la situation d’un bâtiment affecté par toute une série de petits tremblements de terre. Aucun de ces tremblements ne prend une allure catastrophique mais chacun de ces tremblements – la crise grecque, la crise portugaise, la possibilité d’une crise espagnole et l’éventuelle sortie de la Grande-Bretagne de l’UE – chacun de ces événements affaiblit un peu plus sa structure. Par ailleurs, on voit très bien qu’aujourd’hui l’UE n’est pas capable de gérer la question des migrants et des réfugiés, cela a aussi des conséquences sur la structure même de l’Union. On voit bien qu’il n’y a pas une crise qui pourrait emporter l’Union européenne, mais c’est bien l’addition globale de ces crises qui risque de provoquer une crise terminale ou une implosion de l’UE.
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