Coronavirus : après la crise, le gouvernement devra s'effacer et rendre des comptes

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Pas de tests à grande échelle en France

Le gouvernement français, initialement adepte comme Boris Johnson de la théorie de "l'immunité collective" - laquelle consiste, derrière la langue de bois, ni plus ni moins qu'à laisser mourir les personnes âgées, les diabétiques, les hypertendus, les cardiaques, les asthmatiques et les obèses, tout cela pour que plus de la moitié de la population soit finalement immunisée – a fini par ne plus l'invoquer, comprenant, mais un peu tard, qu'un tel cynisme était difficilement acceptable par la population. Mais l'a-t-il pour autant abandonnée ?


Bien malin, en effet, qui pourrait comprendre la stratégie par laquelle il l'aurait remplacée. Dans le monde, il n'y en a pas cinquante qui aient fonctionné. Pour ne considérer que les pays démocratiques, deux exemples s'imposent. Le premier, salué par le très pro-business Institut Montaigne, est celui de Taïwan, qui, contrôlant très fermement en amont, puis fermant ses frontières (de quoi faire dresser les cheveux sur la tête aux grands sans-frontiéristes qui nous gouvernent) aux personnes venant des zones à risque, a dépisté sans compter pour isoler l'intégralité des sujets infectés, ne totalisant aujourd'hui qu'un seul décès par Covid-19. Combien de morts auraient-ils pu être évités en France – pour un coût économique finalement très faible en comparaison avec celui que va devoir payer la France – si celle-ci n'avait pas, dans un grand moment d'aveuglement idéologique, refusé de voir que si "les virus n'ont pas de passeports", pour reprendre les mots d'Olivier Véran, les hommes qui les portent en ont ? Personne ne le sait.


Le second exemple, plus adapté à la situation actuelle de la France même si beaucoup plus coûteuse que la taïwanaise, est celui de la Corée du Sud. Touchée gravement au début de l'épidémie, celle-ci a su réussi à juguler l'épidémie grâce à un dépistage massif et au même isolement drastique des porteurs du virus qu'à Taïwan, sans fermeture des frontières cependant ni confinement de masse, comptabilisant malgré tout moins de cent décès. La stratégie sud-coréenne n'est pourtant pas très originale : elle applique simplement les consignes habituelles concernant les maladies infectieuses ; dépister et traiter. Pourquoi la France ne s'inspire-t-elle pas de cet exemple, comme le font pourtant ses voisins européens, et que l'OMS incite à suivre, par la voix de son directeur général, qui s'écriait dès le 16 mars : "testez, testez, testez !" ?


Il est difficile de savoir combien de tests la France pratique. Si le JDD indique le 22 mars qu'elle en effectue 4.000 par jours, le professeur Delfraissy, président du comité scientifique censé inspirer les décisions du Gouvernement, prétend le 21 mars dans Le Monde qu'elle en fait le double. Qui croire ?


Un des éléments du problème est sans doute à rechercher dans le type de dépistage qui a été développé par l'Institut Pasteur dès avant l'arrivée de l'épidémie en France.


De toute manière, on est loin des 20.000 tests pratiqués par l'Allemagne ou l'Espagne, par exemple. Pourquoi ? Parce que c'est inutile, prétendaient jusqu'à présent le gouvernement et les autorités sanitaires à leurs ordres. On reconnaît bien là la rhétorique désastreuse utilisée concernant les masques, consistant à nier l'utilité de tous les outils que l'incurie gouvernementale l'empêche de mettre à disposition des soignants et des citoyens – et à prendre ces derniers pour des imbéciles...


Un des éléments du problème est sans doute à rechercher dans le type de dépistage qui a été développé par l'Institut Pasteur dès avant l'arrivée de l'épidémie en France. Au lieu d'utiliser un test existant et ayant prouvé son efficacité en Asie, ou de choisir une technique tout-terrains analogue permettant de dupliquer au maximum le nombre de dépistages, des chercheurs français ont fait preuve de leur génie particulier, celui qui a conduit les glorieux ingénieurs de notre pays à inventer l'aérotrain ou le Secam, ce codage vidéo certes supérieur au codage standard, mais utilisé uniquement en France et donc inexportable... Ce test doit sans doute avoir beaucoup de qualités, mais il ne peut être analysé que dans un nombre restreint d'hôpitaux, ce qui empêche naturellement de le dupliquer à grande échelle. Quant à savoir qui, du scientifique, du politique ou du politico-scientifique, est responsable de ce choix désastreux, l'avenir le dira sans doute.


Mais sous la pression de l'OMS et de soignants de plus en plus nombreux, notamment par la voix de deux médecins et un scientifique dans Le Figaro, la parole officielle a changé. Voici ce qu'en dit le professeur Delfraissy dans l'article cité plus haut : "De fait, il ne s’agit pas tellement de moyens financiers que d’enjeux d’approvisionnement, explique l’immunologiste". “Les laboratoires privés vont s’y ajouter mais nous avons un énorme problème avec les réactifs utilisés dans les tests. Ces réactifs de base proviennent de Chine et des États-Unis. La machine de production s’est arrêtée en Chine et les États-Unis les gardent pour eux”, détaille Jean-Claude Delfraissy. Selon lui, des “moyens industriels” sont mis en œuvre pour se les procurer et pouvoir tester massivement les malades."


On est ravi de l'apprendre, mais dans ce cas, comment expliquer que le gouvernement espagnol puisse, quant à lui, commencer à distribuer le même 21 mars les 640.000 kits de dépistage rapide (donnant leur résultat en 15 à 20 minutes) disponibles immédiatement qu'il a acheté sur son sol, en attendant 360.000 autres disponibles rapidement, plus quatre robots capables de traiter 80.000 tests en même temps, et une importation annoncée de pas moins de six millions de kits ? L'exemple de l'Espagne, aux finances publiques pourtant plus à la peine que la France, montre bien qu'il ne s'agit pas de capacité, mais bien uniquement de volonté politique.


Autre raison pour ne pas suivre l'exemple sud-coréen selon le professeur Delfraissy, le "suivi des personnes testées positives en ayant recours à une application numérique permettant de tracer les individus, ce qui représente une atteinte aux libertés." Parce que confiner tout le monde pendant plus d'un mois et plus, comme cela semble de plus en plus sûr, ce n'est pas une atteinte aux libertés ? On croit rêver ! Là encore, lorsque l'on n'a pas eu l'intelligence de dupliquer des mesures efficaces, il faut les dénigrer en dehors de toute rationalité. Sans parler maintenant des interdictions exprès faites aux personnels soignant de s’exprimer publiquement sur le nombre de décès du COVID19.


Il est étonnant par ailleurs de constater que de nombreux industriels français peuvent dès aujourd'hui fournir des tests rapides.


Ce choix politique, on peut le préciser en écoutant le même jour Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, lors de son point presse, dire qu'il veut se donner les moyens "d'évoluer rapidement sur la stratégie de dépistage" du coronavirus pour pouvoir "multiplier les tests au moment où nous lèverons le confinement. Nous travaillons avec l'ensemble des industriels pour augmenter ces capacités dans les plus brefs délais". Outre que tout le monde n'a pas la même notion des "plus brefs délais", on apprend que le dépistage, qui manque terriblement aux soignants, mais aussi à tous les travailleurs en contact avec des personnes vulnérables – aides à domicile des personnes âgées, personnes travaillant dans les Ehpad, mais aussi conjoints ou enfants cohabitants des personnes âgées, diabétiques, hypertendus, cardiaques, asthmatiques et obèses... ne sera massif qu'à la fin d'un confinement annoncé au plus tôt pour la fin du mois d'avril. Un tel délai ne saurait en aucun cas s'expliquer par une pénurie du réactif, qui ne frappe étonnamment pas l'Espagne.


Il est étonnant par ailleurs de constater que de nombreux industriels français peuvent dès aujourd'hui fournir des tests rapides. BFMTV nous informe ainsi dès le 19 mars qu'Eurofins peut produire 15.000 tests par jour à partir du lundi 23 mars, que Primerdesign en produit, et qu'Eurobio Scientific commercialise la solution de la société sud-coréenne Seegene. Le même article annonce qu'un autre laboratoire, Biomérieux, filiale de la holding familiale Institut Mérieux, laquelle est associée par des liens croisés d'une grande complexité avec l'Institut Pasteur (tiens donc !) pourra en fournir à grande échelle fin mars. Doit-on attendre un changement de rhétorique à cette date ? Le test rapide deviendra-t-il miraculeusement utile avant même la fin du confinement ? On peut s'attendre à tout avec ce Gouvernement...


Quoiqu'il en soit, à l'heure où j'écris ces lignes, l'absence de test de masse, sans même parler du choix de limiter l'usage de la chloroquine sur les malades très sévèrement atteints alors que ses promoteurs la recommandent dès le dépistage pour réduire la période de contagiosité, empêchent la France de passer véritablement à la stratégie "dépister et traiter". Elle en reste donc à une stratégie "d'immunité collective" qui ne dit pas son nom, dans laquelle un confinement de la population est censé "aplanir la courbe". Mais comme la courbe du chômage, dont la fonction principale est de cacher le nombre de chômeurs réels, les courbes des infectés par le COVID-19 et des décès qui lui sont dus sont largement sous estimées, comme le déclarent de plus en plus clairement nombre de médecins et experts, sans que cela ne provoque aucun changement de stratégie – là encore, regardons les informations qui nous viennent d’Italie.


Que cette mesure moyen-âgeuse qu'est le confinement coûte plus à l'économie nationale et aux libertés individuelles que n'auraient coûté les stratégies taïwanaise et sud-coréenne n'a pas l'air de déranger le gouvernement qui semble inapte à apprendre de ses erreurs et de celles des autres.


Ce gouvernement, qui court derrière les évènements sans jamais rien anticiper, semble surtout préoccupé à contenir le feu de la colère publique en appliquant les mêmes méthodes que lors de l’affaire Benalla-Macron – toujours en suspens juridique – à savoir, masquer médiatiquement son incurie et ses erreurs, fuir et ne pas assumer.


Après la crise, rien ne sera comme avant, le gouvernement devra s'effacer alors et rendre des comptes.


Ce que de plus en plus de citoyens n’acceptent pas. La crise terrible que nous traversons agit comme un catalyseur de prise de conscience populaire : chez eux, confinés, de plus en plus de citoyens réfléchissent à la manière dont doivent s’appliquer les politiques publiques. Cette fronde et ce ras-le-bol s’exprime par exemple par l’initiative du docteur Emmanuel Sarrazin, exerçant en tant que SOS Médecins Tours, qui a lancé la plainte déposée par plus de 600 praticiens à l’encontre d’Edouard Philippe et d’Agnès Buzyn pour "Mensonge d’État". Dans tous les cas, après la crise, rien ne sera comme avant, le gouvernement devra s'effacer alors et rendre des comptes.



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