Des enfants agressés dans leur famille d’accueil

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Catastrophe dans les communautés autochtones


Le ministre Lionel Carmant ne s’attendait pas à un rapport aussi accablant sur les services de la protection de l’enfance en Mauricie et au Centre-du-Québec ainsi que dans la communauté attikamek d’Opitciwan, qui donne un avant-goût de ce que la commission Laurent risque de découvrir.


« J’ai été scandalisé à la lecture du rapport, a affirmé le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux en entrevue au Devoir. Les chiffres qui ont été mentionnés m’ont vraiment mis à l’envers. C’est inacceptable. »


Le rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) dévoilé vendredi fait état de statistiques troublantes. Vingt-huit enfants, soit près du tiers des cas analysés en Mauricie et au Centre-du-Québec, ont vécu des abus sexuels ou des sévices physiques dans la famille d’accueil qui était censée les protéger.



Les intervenants sociaux ont peu souvent les conditions pour leur permettre de réaliser un travail de qualité et ça met la protection du public en danger




Dans la plupart des cas, des « notes d’écart » pour mauvais traitements psychologiques ou négligence « ont été inscrites au dossier de familles d’accueil choisies » par le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ). Cinq familles ont été accréditées par le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec alors qu’il connaissait le risque qu’elles pouvaient présenter pour les enfants. Près du tiers des enfants n’ont pas été rencontrés seuls par leur travailleur social, ce qui les a privés « de leur droit de contact confidentiel avec leur intervenant ». Ce ne sont que 4 des 16 constats de la CDPDJ sur l’état de la protection de l’enfance dans cette région.


L’organisme conclut à « des lacunes majeures » dans les services qui « ne respectent pas les critères minimaux requis » prévus par la loi. La Commission formule 64 recommandations.


« C’est une image de ce qui se passe au Québec, a reconnu M. Carmant. D’ailleurs, on entend partager ce rapport-là avec tous les DPJ du Québec. Les recommandations vont sûrement être valables dans d’autres régions. »


Ruptures de service


L’enquête de la CDPDJ, la plus vaste en matière de protection de la jeunesse, avait été lancée en 2017 à la suite d’un jugement de la Cour du Québec qui adressait un blâme sévère à la DPJ de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec pour avoir laissé deux enfants dans une famille où ils ont subi des mauvais traitements pendants huit ans.


La CDPDJ a analysé 88 dossiers d’enfants en famille d’accueil sur quatre ans, soit entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2016. Quinze de ces dossiers provenaient de la communauté attikamek d’Opitciwan. Soixante dossiers de familles d’accueil accréditées ont également été révisés, dont treize d’Opticiwan. La Commission a également recueilli les témoignages de plus de 150 personnes.


Le rapport fait état de ruptures de service pour les deux tiers de ces enfants autochtones visés, de l’absence de visite dans les familles d’accueil et de conditions d’hébergement et de vie inadéquates dans plus de la moitié des familles. En outre, près des deux tiers de ces enfants autochtones ont vécu dans au moins trois familles d’accueil différentes.


La soixantaine de recommandations sont adressées au président-directeur général et au DPJ du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, à la directrice de la protection sociale et au directeur des services sociaux du Conseil des Attikameks d’Opitciwan, au ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, ainsi qu’à la ministre de la Justice.


La CDPDJ recommande, entre autres, aux intervenants de rencontrer l’enfant seul au minimum six fois l’an, de prendre des moyens concrets pour s’assurer que les plans d’intervention des enfants hébergés jusqu’à majorité comprennent des mesures visant à prévenir la récurrence de traumatismes passés et d’évaluer les conditions de vie des enfants actuellement hébergés dans les familles d’accueil analysées dans le rapport et dont la Commission a fait part au DPJ et au président-directeur général du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, Carol Fillion, en cours d’enquête.


Un système mal en point


Le ministre Carmant compte nommer un accompagnateur externe pour soutenir le p.-d.g. du CIUSSS, Carol Fillion, afin qu’il puisse respecter les recommandations. « On veut que les recommandations soient remplies dans les délais demandés par la CDPDJ », a-t-il indiqué.


Une chercheuse qui a étudié les conditions de travail des intervenants durant la réforme de l’ex-ministre de la Santé, Gaétan Barrette, constate que le système manque de ressources.


« Est-ce qu’on donne les moyens aux travailleurs sociaux de rencontrer les familles assez régulièrement pour les soutenir et s’assurer que l’enfant évolue bien dans son milieu de vie ? » a demandé la professeure en travail social de l’Université du Québec en Outaouais, Josée Grenier, en entrevue au Devoir.


« Les intervenants sociaux ont peu souvent les conditions pour leur permettre de réaliser un travail de qualité et ça met la protection du public en danger », a déploré celle qui a été travailleuse sociale durant 20 ans.


Selon elle, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse présidée par Régine Laurent risque de mettre en lumière d’autres cas où le système a failli à la tâche. Cette commission non partisane et indépendante doit durer 18 mois et a un mandat très large pour examiner l’ensemble des services destinés aux jeunes en détresse. L’organisation et le financement des DPJ, la législation existante, les tribunaux, les services sociaux, le rôle de la sécurité publique, du milieu de l’éducation, des centres de la petite enfance et des garderies seront scrutés à la loupe. Le gouvernement a déjà injecté 18 millions de dollars pour améliorer l’encadrement et la supervision clinique des intervenants.



Avec La Presse canadienne









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