Des pinardises indigestes

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Trop con

L'émission du 6 décembre dernier de Tout le monde en parle a atteint, avec l'entrevue donnée par Daniel Pinard, un sommet de bêtise humaine.

L'invité Pinard a été présenté comme «sociologue et animateur». En fait, s'il a poursuivi des études en sociologie, il n'a jamais vraiment travaillé dans ce domaine. Il s'est plutôt fait connaître d'abord comme chroniqueur culturel, puis comme animateur d'émissions culinaires.

M. Pinard s'est prononcé sur une foule de sujets, avec la fatuité et le bagou de celui qui en sait plus que les autres et que l'âge autorise à tout dire, même n'importe quoi. Je ne commenterai ici que deux des thèmes qu'il a abordés lors de son entrevue : l'abolition du droit de vote pour les personnes âgées et la cessation des traitements aux cancéreux.

Septuagénaire, Daniel Pinard n'aime pas vieillir; l'âge l'a même rendu amer. Dans l'extrait du documentaire réalisé sur lui par Francis Legault, dont on faisait la promotion, il se plaint de ne pouvoir supporter dans son miroir la vue de son visage décrépi sous le poids des ans. Son dépit face au vieillissement, il le transpose à l'ensemble des personnes âgées qu'il semble considérer comme des êtres inutiles et inférieurs. Il va même jusqu'à affirmer qu'on devrait leur enlever le droit de vote, car «il est complètement ridicule de demander aux gens plus âgés de décider du futur des jeunes». En guise de contrat intergénérationnel, il décrète que «les vieux doivent se mettre au service des jeunes et non l'inverse».

Ma mère a 91 ans. Tous les jours, elle multiplie les efforts pour conserver sa dignité et son autonomie. Elle habite encore seule dans sa maison. Elle fait elle-même sa cuisine et son ménage. Elle suit l'actualité, lit beaucoup, écoute la radio et regarde la télévision. Elle est aussi intelligente et aussi renseignée que n'importe quel autre citoyen. Elle a un jugement qui fait cruellement défaut dans les médias d'aujourd'hui. Mais, selon M. Pinard, elle ne devrait plus avoir le droit de vote et elle devrait vivre uniquement en fonction des desiderata de la jeunesse actuelle.

Par souci humanitaire, une bonne partie de l'émission soutenait la venue de réfugiés syriens. Prêchant avec ses invités l'entraide internationale, l'animateur Guy A. Lepage a exhorté les gens à lutter contre ce qu'il a appelé «le racisme et l'ignorance». En revanche, l'odieuse discrimination à l'endroit des personnes âgées exprimée par M. Pinard a été présentée, sur le site de l'émission, comme un «regard tranchant et lucide sur la société», comme si l'âgisme était devenu une ségrégation de bon ton! Quel affront infligé à nos personnes âgées, elles qui ont construit notre pays et qui méritent tout notre respect et tout notre soutien!

Daniel Pinard n'en a pas eu seulement contre les vieillards. Les malades se sont aussi attiré ses foudres. Selon lui, les soins prodigués aux cancéreux seraient largement inefficaces et trop coûteux. L'argent dépensé pour soigner le cancer devrait servir plutôt à améliorer la qualité des écoles des milieux défavorisés. Faut-il rappeler à notre sociologue de cuisine que, grâce aux progrès constants de la médecine moderne, la majorité des enfants de moins de 19 ans atteints d'une leucémie sont toujours en vie cinq ans après le diagnostic de la maladie? Quel mépris pour toutes les personnes aux prises avec le cancer qui, malgré leur souffrance, déploient un courage admirable pour continuer à vivre! Quel mépris aussi pour le personnel soignant, notamment pour les médecins qui, de l'avis sans nuances de M. Pinard, «se seraient accaparés du pouvoir comme les curés d'autrefois» en promettant la victoire sur la mort!

Plus désolante encore a été l'attitude béate de l'ensemble des personnes présentes sur le plateau. L'ineffable animateur, Guy A. Lepage, et son «fou du roi», Dany Turcotte, au lieu de s'offusquer devant les énormités proférées par Daniel Pinard, sont restés en général pantois, se contentant d'afficher un sourire niais. Les autres invités, quant à eux, ont souvent opiné de la tête, comme impressionnés par les propos débridés de l'outrecuidant sociologue. À quelques reprises, ils ont même entraîné les moutons de l'assistance à applaudir. Aucune contestation, que de la condescendance aveugle! Malgré ses propos blessants, l'ancien pourvoyeur de recettes a réussi à s'attirer une approbation facile en fustigeant une classe de citoyens à l'avantage d'une autre victimisée : il a condamné les vieillards pour encenser les jeunes, il a suggéré de priver de soins les cancéreux au profit des élèves des milieux pauvres. Au lieu de promouvoir l'entraide entre tous les groupes de citoyens, il a cherché à les liguer les uns contre les autres.

La Société Radio-Canada devrait mettre fin à Tout le monde en parle. Cette émission qui prétend mêler le rire, l'émotion et la réflexion apparaît comme la pire tribune des bobos qui ont envahi aujourd'hui les médias et dont la suffisance et la vertu factice deviennent de plus en plus insupportables.

Claude Simard, professeur retraité de l'Université Laval, Québec


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