Des valeurs québécoises comme héritage et comme projet

Marilyse Lapierre

L'exigence de débattre sereinement de la question

Une fuite dans les journaux du 19 août 2013 sur le port de signes religieux pour les employés de l’État, et le débat reprend de plus belle sur la laïcité. Il ne faut cependant pas mettre de côté une réflexion collective sur nos valeurs communes qui serve de fondement et situe les positions divergentes sur la laïcité. La proposition du Parti Québécois d’élaborer une Charte des valeurs québécoises constitue un projet majeur susceptible de faire progresser le Québec car cette Charte pourra inspirer des décisions dans plusieurs domaines, entre autres : laïcité, intégration des immigrants, démocratie participative, cohésion sociale, démarche vers une constitution québécoise, éducation.
Déjà en 2007, l’Institut du Nouveau Monde (INM) concluait son rendez-vous stratégique par la proposition suivante : «Nous proposons de tenir des États généraux pour définir les valeurs fondamentales communes du Québec. Que ces États généraux favorisent la participation du plus grand nombre de Québécoises et de Québécois de tous les horizons. Ces valeurs communes pourraient être regroupées dans une charte, un code ou une éventuelle constitution de l’État québécois ou prendre la forme d’un éventuel projet social, politique, économique ou culturel pour le Québec.» 1500 personnes de 11 régions du Québec avaient contribué à la réflexion de ce Rendez-vous stratégique. Pourquoi identifier des valeurs communes? Et pourquoi une démarche participative?
La question des valeurs communes se pose dans toutes les sociétés pluralistes car ces valeurs n’y sont pas d’emblée évidentes comme c’est le cas dans les sociétés homogènes. Depuis la Révolution tranquille, le Québec est passé d’une société relativement homogène à une société de plus en plus diversifiée. Le rejet de l’autorité de l’Église catholique, la valorisation de la liberté individuelle, une immigration plus nombreuse et plus diversifiée, l’ouverture sur le monde ont engendré une diversité aux multiples facettes : ethnoculturelle, générationnelle, régionale, socio-économique et idéologique.
Sommes-nous alors devenus une mosaïque d’identités ou plutôt une nation pluraliste rassemblée autour d’une culture commune? Qu’est-ce qui nous réunit par-delà nos différences et fonde notre appartenance à un monde commun forgé par l’histoire et à la recherche de projets communs pour un avenir meilleur? Unique en Amérique, la nation québécoise porte un espoir et une responsabilité de durer, de se développer et de parler au monde de sa propre voix.
Dans une société pluraliste, l’affirmation de valeurs communes est essentielle pour affermir l’identité collective, assurer une cohésion et une solidarité entre ses membres et fournir des repères qui guident les choix de la collectivité au présent et pour l’avenir. Il est exigeant de se mobiliser en vue du Bien commun malgré les intérêts divergents. Pour réussir, la conscience d’une identité partagée est fondamentale. Au Québec en 2013, y a-t-il des valeurs communes susceptibles d’orienter les choix de la nation québécoise? La question est cruciale et exige qu’on s’y arrête.
Plusieurs s’opposent à cette démarche en objectant qu’il n’existe pas de valeurs québécoises mais seulement des valeurs universelles. C’est ignorer que nos valeurs communes puissent être à la fois universelles et québécoises. En effet, si des valeurs telles la liberté, l’égalité et la fraternité, ou encore celles qui sous-tendent les Chartes des droits et libertés, sont partagées par la plupart des sociétés démocratiques, elles se déclinent différemment selon les pays.
En effet, selon son histoire et son actualité, un pays accordera une priorité à telle valeur plutôt qu’à telle autre. Aux États-Unis, par exemple, c’est la liberté individuelle qui prime sur les autres valeurs. Elle s’enracine dans la volonté de ses fondateurs de créer un pays du Nouveau Monde libéré de l’emprise des autorités religieuses et politiques de l’Ancien Monde. Aujourd’hui, cette primauté de la liberté individuelle est renforcée par le capitalisme dont les États-Unis sont un des chefs de file. De plus, toute valeur universelle et abstraite acquiert une signification plus précise selon les lois et les institutions qui lui donnent une forme concrète et font varier sa portée. Prenons l’exemple de l’idée de démocratie; sa portée sera grandement modifiée selon qu’elle est balisée ou non par une loi limitant le financement des partis politiques et réduisant ainsi le contrôle de lobbys puissants et riches sur les décisions politiques.
Pour identifier des valeurs québécoises communes, le processus de réflexion et de prise de décision sera aussi important que le résultat. Le projet ne doit donc pas se limiter au dépôt d’un projet de loi gouvernemental. Car c’est en faisant appel à la participation la plus large possible que l’on construira un consensus fort et fécond pour la suite. Le gouvernement devrait mettre sur la table une proposition de départ ainsi qu’un cadre pour une démarche large et citoyenne. Je suggère à titre d’exemple que pour identifier et retenir une valeur comme québécoise, on mène une réflexion en trois volets : 1- Où cette valeur s’inscrit-elle présentement (dans quelle loi, quelle institution, quel débat) ? 2- Comment est-elle apparue et s’est-elle affirmée dans le passé plus ou moins récent? 3- Quels choix peut-elle inspirer pour l’avenir?
Identifier ensemble les valeurs québécoises nous rassemblera et stimulera des échanges entre Québécoises et Québécois aux origines multiples, jeunes et moins jeunes de toutes les régions du Québec. Ainsi pourrons-nous assumer nos valeurs québécoises comme héritage et comme projet ou, selon une expression consacrée, «nos racines et de nos ailes».
Marilyse Lapierre,
Professeur de philosophie à la retraite


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