Hydro-Québec doit se soumettre, depuis des années, à des décrets gouvernementaux que la société d'État doit intégrer dans ses plans et ses projets. Ces décrets visent à développer l'économie de certaines régions et à mettre en place les projets importants et prioritaires du gouvernement, mais sont-ils dans l'intérêt financier d'Hydro-Québec et de l'ensemble des Québécois?
Une analyse de Gérald Fillion
Cette question n’est pas nouvelle et elle surgit, de nouveau, alors que le gouvernement Couillard et le PDG d’Hydro-Québec, Éric Martel, s’opposent publiquement sur le bien-fondé du projet éolien Apuiat sur la Côte-Nord, projet développé avec la Nation innue.
D’un côté, le gouvernement veut stimuler l’économie, créer des emplois et établir un meilleur partenariat avec la Nation innue. De l’autre, Hydro-Québec s’attend à perdre de l’argent avec ce projet et on se demande toujours pourquoi on continue d’ajouter de la capacité de production d’électricité dans un contexte de surplus d’énergie.
Dans un communiqué publié en fin de journée lundi par les communautés de la Nation Innue, il est écrit que « le but premier du projet [Apuiat] reste de créer des retombées économiques structurantes pour les communautés innues, et ce, à un prix compétitif ». Les signataires du communiqué ne comprennent pas comment Hydro-Québec peut arriver à une perte estimée entre 1,5 et 2 milliards de dollars sur 25 ans avec ce projet.
Stimuler l’économie, mais à quel prix?
Il y a là d’excellentes raisons d’aller de l’avant avec ce projet, considérant le rôle de l’État dans le développement de l’économie de toutes les régions du Québec. Mais, sur le fond, le Québec a-t-il besoin de ce projet? Si Hydro-Québec prenait ses décisions en ne s’appuyant que sur une approche comptable, irait-on de l’avant avec ce parc éolien?
S’il y a des raisons fondamentales pour développer cette filière et pour le faire en partenariat avec la Nation innue, il est aussi important d’expliquer aux Québécois qu’ils doivent payer pour ce développement et que de tels projets viendront gonfler les surplus énergétiques du Québec pour les prochaines années.
Dans un rapport publié en mai dernier, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, affirmait que les décrets gouvernementaux avaient entraîné un coût d'approvisionnement supplémentaire de 2,5 milliards de dollars de 2009 à 2016, un montant que les Québécois ont dû absorber dans leurs tarifs d'électricité.
Le coût moyen d'approvisionnement en électricité est de 10 ¢ le kilowattheure (kWh) pour l’énergie éolienne, selon Hydro-Québec, bien que certains projets, plus récents, coûtent moins cher. L’électricité patrimoniale est à 2,9 ¢/kWh, affirme la société d’État, même si l’évaluation des nouveaux projets est de 6 à 12 ¢/kWh.
Des surplus abondants
De plus, d'ici 2026, Hydro-Québec aura de 9 à 13 térawattheures (9 à 13 milliards de kWh) de surplus par année alors que l’éolien représente, pour 2018, 11,4 TWh. La commission sur les enjeux énergétiques du Québec concluait d’ailleurs en 2014 qu'il était urgent, dans ces circonstances, de revoir les stratégies d’approvisionnement en électricité et qu'il fallait suspendre les investissements dans La Romaine et dans l’éolien, notamment. Cette proposition a été rejetée du revers de la main.
Aujourd’hui, la question demeure entière : a-t-on besoin de cette énergie supplémentaire? A-t-on besoin de développer l’éolien comme on le fait depuis plusieurs années? Combien vont nous rapporter les nouveaux projets sur les marchés d’exportation? À quel moment allons-nous réduire l’écart entre les besoins et l’approvisionnement? Et ouvrons un nouveau front de discussion : le gouvernement du Québec devrait-il moins intervenir dans les choix de développement d’Hydro-Québec?