Du carré vert au rouge

"Mon cheminement a pris du temps, comme s'il fallait que la masse fasse ses preuves."

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012


Garance Philippe - L'auteure est étudiante à l'École supérieure de théâtre de l'UQAM.

J'ai voté non. J'avais voté non. Certains m'ont dit que j'avais perdu foi. D'autres m'ont dit que j'étais enfin devenue réaliste.
Non pas parce que je croyais que la hausse des droits de scolarité était juste ou appropriée. J'avais voté non, car, à mon sens, le fait de descendre dans les rues et gueuler à s'en époumoner n'était pas la bonne façon de revendiquer. Avant aujourd'hui, jamais je n'aurais pu concevoir le pouvoir d'une foule, l'impact d'un rassemblement.
Récemment, le jour d'une manifestation populaire, dans le métro, une fillette discutait avec ses parents de l'acte qu'elle allait poser en participant au regroupement. Elle s'est mise à chanter, comme par réflexe, La manifestation, des Cowboys Fringants. J'ai ri, de connivence avec ses parents. J'ai ri, car longtemps, chaque fois que j'entendais parler de manifestations, je me rappelais les paroles des Cowboys: «J'en suis v'nu à' conclusion que ça va prendre ben du soleil, sinon c'est pas d'main la veille qu'on va faire la révolution.»
J'ai toujours cru que les manifestants étaient faits en chocolat. J'ai toujours cru que les instances plus grandes que nous, sur lesquelles nous n'avons aucun contrôle, allaient à jamais déterminer nos actions ou du moins, influer la motivation entraînant la persévérance à mener ces dernières à terme.
Mon cheminement a pris du temps, comme s'il fallait que la masse fasse ses preuves. Je levais le nez sur les fervents de la grève parce que j'avais une profonde certitude que tout ce qu'ils feraient serait de freiner une entente future, qu'ils feraient mal paraître la population étudiante.
Petit à petit, je me suis fait contredire. À ma plus grande surprise, voire à mon plus grand bonheur, ma hantise de la honte s'est transformée en l'émancipation d'une fierté. La coalition évolue, grandit, et surtout, bâtit sa lutte autour d'une volonté pacifiste impressionnante.
J'ai donc changé mon fusil d'épaule.
L'usage de cette expression n'est pas simple. La résonnance de cette analogie est étrangement à propos. L'addition quotidienne des jours de désertion se meut en un climat de guerre. On parle de conflit, on parle de lutte, mais personnellement, j'ai l'impression qu'on peut aussi parler de guerre. Ce n'est pas pour rien que le mouvement fait écho à celui du Printemps arabe.
Au lendemain de ma conversion, je suis descendue dans les rues, m'époumonant. À un moment, il s'est mis à pleuvoir. Apeurée de la réminiscence du passage chanté des Cowboys Fringants, j'attendais. J'attendais, pleine d'angoisse, que les gens du mouvement se dissipent, que les gens mouillés soient découragés par la chute des gouttes. En tant que récente partisane, j'avais peur d'être déçue de mes troupes, d'en vouloir aux idéaux m'ayant fait passer d'un camp à l'autre.
En changeant mon fusil d'épaule, je me suis armée de convictions et d'endurcissement. Je suis devenue soldate. Malgré tout, à mes yeux, et à ceux de plusieurs de mes pairs, il peut être épeurant d'être au front d'un terrain miné. Toutefois, et c'est ici où je regagne ma foi, mes alliés combattants et moi n'avons pas peur, ni du gouvernement, ni de la pluie.


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