Semaine 2

Élection québécoise 2012 (14)

Le cadre financier

Tribune libre

Patience, mon prochain texte concernera la semaine 3.
* Le cadre financier
L'adage veut que l'on attrape plus de mouches avec du miel qu'avec du vinaigre. Et, rares sont les politiciens qui osent le défier. En fait, à peu près tous l'appliquent avec une admirable constance d'élection en élection. Mais, ce faisant, ils mettent tout autant d'ardeur à paraître vouloir épandre le miel sur la tartine avec une saine modération. Tous verront donc à enrober leurs promesses d'un cadre financier destiné à convaincre l'électorat que leur parti carbure à la rationalité plutôt qu'à la prodigalité. Une fois l'élection passée, cependant, il arrive bien souvent que l'on doive rétrécir la tartine promise quelques semaines auparavant. Même les politiciens ne peuvent prendre indéfiniment congé de la réalité. Celle-ci finit toujours,...enfin presque, par prévaloir, ne fût-ce que pour s'abattre sur ceux qui suivent ceux qui l'avaient par trop bafouée. Si elle est souveraine, la réalité ne connaît pas nécessairement la justice...Dans ce contexte, alors, qu'en est-il de l'élection 2012?
Le PLQ: Le PLQ ne déteste pas projeter l'image du parti modestement aristocratique qui est capable de prendre les décisions difficiles qui s'imposent lorsque les intérêts supérieurs du peuple l'exigent. Bien souvent, cependant, ce sera le peuple plutôt que l'aristocratie qui fera les frais de ces déchirantes décisions. Mais, ne sont-elles pas, après tout, prises dans son intérêt...? Quoiqu'il en soit, c'est revêtu de la toge de la rigueur budgétaire que le premier ministre Charest déposera le cadre financier libéral une quinzaine de jours après le début de la campagne. Articulé autour des prévisions budgétaires 2012-2013, donc, le plan du PLQ vise l'atteinte de l'équilibre des comptes publics dès 2013-2014. Mais, rigueur ne signifie pas pingrerie. Alors, le programme libéral fait de la place pour un volet Promesses. Celles-ci toucheront donc approximativement 245 millions $ annuellement, pour un total de 3,7 milliards $ après cinq ans. Mais, gardons-nous de penser que la rigueur libérale prend des allures de dogme absolu. Les membres du cabinet ont en effet passé les mois précédant le début de la campagne à distribuer les bienfaits à la grandeur de la province (D-01-08-12, p., A-3). Il y a un temps et un lieu pour chaque chose...
Et, ce qu'il faut comprendre, c'est que la rigueur a droit à un peu plus de temps que les largesses. Dès 2014-2015, donc, il deviendra impérieux de réduire le taux de croissance des dépenses publiques à 2 % annuellement. Faut-il, alors, redouter une diminution notable de la valeur nutritive de la tartine du peuple? Oui et non. Là aussi, il y a un lieu pour chaque chose. La parcimonie libérale ne devrait en effet affecter «que l'administratif et les frais de gestion». En fait, M. Charest est formel, les services à la population ne seront pas touchés. Alors, rigueur obligeant, devrait-on craindre des hausses d'impôt? Il n'y en a pas au programme au cours d'un mandat libéral. Bon, et si un autre parti devait se montrer plus généreux que le PLQ, M. Charest? Gare aux charlatans! Le contexte économique étant ce qu'il est, mieux vaut se fier à des gens qui ont fait leurs preuves:
«L'Europe est en crise, elle va connaître des records de chômage; l'économie américaine ne décolle pas; les économies émergentes sont au ralenti. La menace est réelle, elle n'est pas inventée, elle n'est pas exagérée.» (D-18-08-12, p., A-7)
Ne vous y trompez surtout pas, le passé est garant de l'avenir. Et, c'est le PLQ qui a permis au Québec d'obtenir «l'un des meilleurs scores» au Canada depuis 2008, fera remarquer M. charest, l'ait inquiet. Oui, s'il est un parti sur lequel on peut se fier pour guider le Québec à travers la tempête qui se pointe à l'horizon, «c'est le Parti libéral du Québec», ajoutera le premier ministre, espérant réaliser un copier-coller de la campagne de 2008. Ce qu'il ne dira pas, cependant, c'est que le Québec doit son «score» à la taille de son secteur public, ainsi qu'au programme de réfection des infrastructures lancé dans la foulée de l'effondrement du viaduc de la Concorde. Mais, toute vérité n'est pas bonne à dire, surtout en campagne électorale...
La CAQ: François Legault n'est pas revenu en politique pour faire de la gestion à la petite semaine. Après avoir entrepris la campagne au battement des tambours de la Révolution tranquille, il déposera une plate-forme comptant 94 propositions, sur 111 pages. En fait, le programme caquiste arrive porteur d'un avertissement: «Il va venter fort.» Comme tout le monde, ce qui inclut QS, le chef caquiste vise l'équilibre budgétaire, mais il le promet au terme du premier exercice de son arrivée au pouvoir (D-11-08-12, p., A-5). Heureusement, cependant, la version caquiste de la rigueur n'est pas nécessairement incompatible avec la notion d'abondance. Alors, les contribuables de la classe moyenne auront droit à une diminution d'impôt de 1 000 $, ce qui signifie une addition de 1,8 milliard $ une fois au comptoir-caisse. Toujours au rayon des promesses dispendieuses, chaque Québécois aura accès à un médecin de famille. Les omnipraticiens, eux, se partageront un magot de 300 millions $ additionnels en honoraires. Pourquoi y aller de petites promesses lorsqu'on peut en faire des grandes? Alors, est-ce qu'on ne nous remet pas là une carte routière vers le précipice? Absolument pas.
Après cinq ans, les finances du Québec seront en situation de surplus, quoique modérément. En prime, 13,2 milliards $ auront été remboursés sur la dette provinciale. Harry Potter aurait-il par hasard rejoint messieurs Duchesneau et Barrette dans les rangs de la CAQ? Pas du tout. Il faut tout simplement savoir trouver l'argent là où il se cache. Alors, où est-il l'argent? D'abord, les gens fortunés en ont un peu trop. La partie imposable de leurs gains en capital sera donc haussée de 50 %, ce qui devrait les délester de 416 millions $ annuellement. Dans la même veine, leur crédit fiscal pour dividendes sera légèrement réduit, pour une ponction annuelle de 127 millions $. Les entreprises seront elles aussi mises à contribution, alors qu'elles verront leurs crédits d'impôt grandement diminués. Le compteur de M. Legault connaîtrait-il des ratés ? N'avait-on pas, quelques jours plus tôt, promis de rediriger ces montants vers Investissement Québec afin de lui permettre de générer des emplois à 20 $, 30 $ et 40 $ l'heure (D-11-08-12, p., A-3)? Quoiqu'il en soit, à l'heure actuelle, les sociétés reçoivent plus de l'État québécois que ce qu'elles lui versent en impôts, à 4,3 milliards $ contre 4 milliards $ (D-11-08-12, p., B-4).
Il y aurait, semble-t-il, également de l'argent disponible du côté d'Hydro-Québec. En fait, il y en aurait beaucoup. Dès la première année d'un mandat caquiste, la société d'État serait tenue de procéder à des compressions touchant 110 millions $ . Après trois ans, ce sont 600 millions $ additionnels que le Trésor québécois pourrait encaisser grâce au régime minceur imposé à Hydro-Québec. D'ailleurs, la minceur deviendrait plus ou moins la norme sous un gouvernement caquiste. Les agences de santé seraient abolies. On fermerait le siège social de Téluq dans la Basse-Ville de Québec. Et, les jours des commissions scolaires seraient eux aussi comptés. Au total, la CAQ supprimerait plus de 7 000 postes dans la fonction publique. Dans ces circonstances, les vents ne risquent-ils pas de se faire très forts plutôt que simplement forts? Non, non, vous n'y êtes pas. Dans les faits, «personne ne va perdre son emploi», précisera M. Legault. Tout cela se fera par attrition.
Mais, dans le secteur pharmaceutique, il pourrait bien y avoir passablement plus de tristesse que d'attrition. La CAQ entend en effet diminuer l'utilisation des médicaments et réduire les honoraires des pharmaciens. «Je ne m'attends pas à me faire des amis chez Jean Coutu», plaisantera M. Legault lors de la présentation de son cadre financier. Chez Jean Coutu, apparemment, on riait jaune. Mais, comme ils disent en anglais, «misery seeks company». Alors, des économies seraient également réalisées dans la gestion des achats et des immobilisations dans les secteurs de l'éducation et de la santé. Parions que les amis de la CAQ seraient plutôt rares de ce côté également...
Des promesses, des promesses...Non,non. Avec la CAQ, chose promise, chose due. Un gouvernement caquiste tiendrait donc ses promesses indépendamment des «surprises» auxquelles il pourrait être confronté le lendemain de son arrivée au pouvoir. «Ce qu'on propose, c'est ce qui va être réalisé», assurera M. Legault, pour confondre...les sceptiques. (D-18-08-12, p., A-7). Le chef caquiste prenait le risque de devoir...marcher sur la peinture.
PQ: Mme Marois, au PQ, est plus méthodique que ses collègues du PLQ et de la CAQ. Elle ne fait donc qu'une chose à la fois. Et, semaine 2 de la campagne, elle n'en était toujours qu'au stade des promesses. Alors, le cadre financier du parti viendra plus tard, une fois que tous ses engagements auront été pris. Les journalistes, eux, ne veulent malheureusement pas rentrer à la salle de rédaction avec un calepin à moitié vide ou à moitié plein, c'est selon. Alors, on insiste. Ils auront finalement droit à un exercice passablement plus fort en opacité qu'en transparence. Les promesses péquistes, donc, feront approximativement un milliard $ au total. Plus précisément, cela sera d'abord dû aux engagements pris au titre des centres de la petite enfance et des soins à domicile. Consciente du fait que l'électorat veut «une approche responsable», la chef péquiste s'empressera de préciser qu'elle entend financer ses promesses à même d'éventuelles recettes tirées des bienfaits de la croissance économique et de redevances augmentées sur les ressources naturelles. Cette fois, on a réellement l'impression qu'Harry est débarqué au PQ accompagné d'Hermione. Pourtant, Mme Marois le nie formellement: «Il n'y a pas de pensée magique dans nos propositions. Je ne promets pas de miracles, de coups de baguette magique, mais je promets de l'action concrète» (D18-08-12, p., A-7). En toute équité pour Mme Marois, il faut bien admettre qu'elle avait été plus spécifique sur ses sources de financement quelques jours plus tôt, en rapport avec l'abolition de la taxe santé. Lors de cette annonce, elle avait expressément fait état du fait qu'elle entendait en éponger les coûts à même un impôt sur les gains en capital et les dividendes:
«Cette contribution est "injuste", selon Pauline Marois, car elle s'applique également à tous les contribuables, quel que soit leur salaire.
La taxe sera abolie dans la première année d'un mandat du PQ et cela se fera à coût nul, a soutenu le parti...
Cette mesure sera financée en augmentant de quatre points de pourcentage l'impôt des particuliers qui gagnent plus de 130 000 $ par année et de sept points de pourcentage pour ceux qui gagnent plus de 250 000 $.
Ce sont plus de 144 000 Québécois qui verront leur barème d'imposition augmenter.
De plus, les déductions fiscales pour les gains en dividendes et certains gains en capital seront réduites de moitié.» (J-11-08-12,p., 6)
À première vue, donc, il était implicite de ce qui précède que l'abolition de la taxe santé donnerait lieu à des mesures fiscales comportant un élément de rétroactivité. Il est difficile, en effet, d'imaginer l'abrogation de cette taxe avec effet budgétaire nul dans l'année de l'arrivée au pouvoir du PQ sans que certaines mesures fiscales ne soient adoptées de façon concomitante. Normalement, deux et deux font quatre...quoiqu'en politique, bien souvent...
À tout événement, on aura noté que le PQ et la CAQ entendaient tous deux diluer le traitement fiscal privilégié attribué aux dividendes et aux gains en capital. Alors, qui plagiait qui? Difficile à dire. Il faudra supputer. L'adage, donc, veut que l'imitation soit la forme la plus sublime de l'admiration. Donc, qui admirait qui? François Legault, la chef péquiste ou cette dernière, le chef caquiste? On ne pourra certainement pas accuser Pauline Marois d'être entichée de la plate-forme financière de la CAQ. Dépouillant François Legault de son titre de comptable pour lui attribuer celui de «girouette olympique», la chef péquiste poursuit en qualifiant les promesses de la CAQ d'engagements «broche à foin» et de belles «paroles en l'air» (D-11-08-12, p., A-3). Peu encline aux éloges, elle ne verra dans le cadre financier caquiste qu'un plan «irréaliste» préparé «sur un coin de table» (D-18-08-12, p., A-7). On sent chez Mme Marois l'amertume de l'auteure plagiée. M. Charest se montrera en effet beaucoup moins émotif. Alors, il veut bien laisser à M. Legault son titre de comptable, mais il se sentira néanmoins obligé de le réduire à celui de «comptable qui ne sait pas compter» et qui promet de «faire le ménage» en remettant «des chèques à tout le monde». (D-11-08-12, p., A-3). Imperturbable face à cet orage de sarcasmes politiciens, M. Legault y verra la preuve irréfragable du fait que les affaires de la CAQ se portaient merveilleusement bien.
Après deux semaines de campagne, le désaccord des trois chefs était donc irréconciliable, surtout en rapport avec le montant total de leurs promesses respectives. Les libéraux accusaient la CAQ d'avoir accumulé les engagements à la hauteur de 5 milliards $. Au PQ, on parlait plutôt de 4,3 milliards $. À la CAQ, cependant, on refusait d'admettre quoique ce soit au-delà de 2,8 milliards $. Et, à combien les libéraux chiffraient-ils leurs propres promesses? À 412 millions $ seulement,...sans tenir compte, évidemment, de la tournée générale qui avait précédé le début de la campagne. Avec ses promesses autoévaluées à 382 millions $, le PQ faisait presque figure d'avare. Le PLQ n'était cependant pas dupe de la frugalité officielle des péquistes. Il évaluait leurs promesses à 2,6 milliards $ (D-11-08-12, p., A-3; D-11-08-12, p., B-1). Qui disait vrai? difficile à dire. Mais, une chose était certaine. On tentait de soudoyer l'électorat avec son propre argent.
Dans les salles de rédaction de la Nation, les claviers se faisaient de plus en plus réprobateurs. Après à peine dix jours de campagne, donc, le montant total des promesses toucherait les 23 milliards $, dont 12 milliards $ de prodigalité péquiste, 11 milliards $ de largesses caquistes et 412 millions $ de pingrerie libérale, s'indignait-on chez les commentateurs. Pour Claude Montmarquette du groupe CIRANO, cela laissait entrevoir des budgets à l'encre rouge pour les années à venir, d'autant plus que le gouvernement serait déjà à court de 875 millions annuellement pour 2014, 2015 et 2016. Personne ne paraît comprendre que le taux de croissance de l'économie semble figé à 1,5 %, ajoutera le chercheur. Autrement dit, poursuit-t-il, on ne peut augmenter les dépenses à un taux supérieur sans creuser le déficit et gonfler la dette. Alors, oui, préviendra-t-il enfin, le prochain ministre des Finances pourrait être confronté à une tâche «colossale» (J-11-08-12, p., 41; S-15-08-12, p., 6).
Au Devoir, Bernard Descôteaux rame dans le même sens. Il trouve en effet la plate-forme caquiste beaucoup plus loquace côté promesses que côté financement des promesses. Son collègue Jean-Robert Sansfaçon, lui, rame encore plus fort. Où trouvera-t-on l'argent pour réduire la dépendance au pétrole de 30 % en huit ans? C'est bien de parler de transports en commun, mais ce serait encore mieux d'expliquer comment on va les financer. Vous verrez, le 5 septembre, les moulins à promesses se taieront. Et, là, on recommencera à nous parler de déficit, de dette et de sacrifices. Quelle hypocrisie, se scandalise l'éditorialiste (D-14-08-12, p., A-6; D-17-08-12, p., A8).
À l'Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux, on anticipe la découverte prochaine d'un «trou santé» jouxtant la pandémie. On l'évalue à 1,2 milliard $ pour 2014-2015. Et, il aurait été en bonne partie creusé par des économies «d'optimisation» qui n'ont pas été réalisées (432,9 millions $), l'abolition du «ticket orienteur» (430 millions $), une croissance budgétaire en repli (180,8 millions $) et des transferts fédéraux amputés de 118,6 millions $ (D-17-08-12, p., A-5). Au fédéral, on ne semble pas vraiment être traumatisé à l'idée d'un «trou santé». On a unilatéralement arrimé la contribution du gouvernement central aux programmes de santé au taux de croissance de l'économie à compter de 2017. Certes, un plancher de 3 % a été fixé, mais il faut comprendre que le taux de croissance de la contribution fédérale faisait 6 % depuis 2004. Selon certaines évaluations, les provinces pourraient y perdre 24 milliards $ entre 2017 et 2024. (D-28-07-12, p., A-1; D-03-10-12, p., A3). S'ajoutent à cela les coupures au titre de la Sécurité de la vieillesse et de l'assurance-emploi. Pour le Directeur parlementaire du budget, tout cela pointe vers un retour du déséquilibre fiscal au sommet des manchettes à plus ou moins brève échéance. M. Harper, lui, estime l'avoir réglé avec les 700 millions versés au Québec en 2007. Et, dire que des chanceux les ont empochés en diminutions d'impôt.
Alors dans la foulée des précédents de 1994 et de 2003, plusieurs commentateurs s'entendaient pour dire que le gouvernement découvrirait vraisemblablement un «abîme» fiscal indicible le matin du 5 septembre, ce qui lui permettrait de déclarer un «moratoire» sur les promesses des semaines précédentes. Pourquoi établir des précédents si on ne les suit pas?
On peut encore en rire, mais pourrait bien venir un temps où il faudra faire attention à ce que font les politiciens. Indépendamment, en effet, de la situation fiscale réelle de la province, une chose est certaine au-delà de tout doute raisonnable: on ne pourra pas continuer à accumuler les déficits, cachés ou non, impunément. Alors qu'en est-il?
Le PIB du Québec fait approximativement 320 milliards $ annuellement, ce qui signifie environ 32 050 $ par habitant. En comparaison, le PIB canadien, lui, touche 1,6 billion $, un peu plus, un peu moins. La production québécoise représente donc à peu près 20 % de la production canadienne.
Au plan budgétaire (2012-2013) --certaines décimales ont été omises--, les revenus du gouvernement provincial totalisent 69,3 milliards $, contre 70,8 milliards $ en dépenses. Au titre des revenus, 53 milliards $ proviennent de sources autonomes, alors que 15,7 milliards $ arrivent d'Ottawa sous forme de transferts fédéraux. Ceux-ci incluent 7,3 milliards $ en paiements de péréquation. Il ne faut cependant pas tirer trop de conclusions négatives à propos de l'importance apparente de la contribution fédérale aux revenus du gouvernement québécois. Dans une certaine mesure, il ne s'agit-là que du retour des impôts versés au gouvernement fédéral par les québécois. Et, bien souvent, cet argent nous est retourné grevé de conditions. Évidemment, une partie des impôts payés au gouvernement fédéral par les Québécois contribue à défrayer les coûts des dépenses fédérales dans la province. Mais, il faut également prendre en compte le fait que les politiques économiques fédérales sont généralement défavorables au Québec. Quoiqu'il en soit, un fait demeure vrai: le budget provincial est en situation de déficit et cela n'est pas un phénomène récent.
Il y a donc une dette qui pèse sur les finances du Québec. Étrangement, il est difficile d'en connaître le montant exact. Elle prend en effet des allures de monstre à plusieurs tête. Il y aurait donc la dette brute et la dette issue des déficits accumulés. La dette brute ferait 191 milliards $, ou 55, 3 % du PIB. Elle inclurait les engagements pris sur les marchés financiers, les obligations au titre des fonds de pension et et les responsabilités futures en lien avec les avantages sociaux des employés de l'État. La dette issue des déficits accumulés, elle, serait égale à la différence entre les engagements du gouvernement et la somme de ses actifs nets, financiers et non-financiers. Elle ferait 119 milliards $, ou 34,5 % du PIB.
En principe, donc, il y a ailleurs dans le monde des débiteurs en plus piteux état que le Québec. Le gouvernement fédéral américain, par exemple, est confronté à une dette beaucoup plus accablante de 16 billions $, ou 103 % du PIB national (D-12-09-12, p., B-3). Si l'on ajoutait à cela les engagements du gouvernement américain au titre des programmes sociaux, sa dette ferait apparemment 700 % du PIB national. Du côté de l'Union européenne, l'endettement moyen atteint 83,4 % du PIB collectif. À l'échelle de la zone euro, on parle de 88,2 %. Plus spécifiquement, la dette de la Grèce toucherait 132 % du PIB national. L'Italie, à 123,3 %, le Portugal, à 111,7 %, l'Irlande, à 108,5 %, et la Belgique, à 101,8 %, ne sont pas piqués des vers non plus (D-24-07-12, p., B-4). Autrement dit, s'il faut se fier aux données des documents budgétaires 2012-2013, le Québec bénéficierait encore d'une bonne marge de manoeuvre.
L'Agence Moody's le reconnaissait d'ailleurs l'été dernier, alors qu'elle maintenait la cote du Québec à Aa2. Apparemment, la province devrait sa bonne note à l'importance et à la diversification de son économie. L'Agence soulignait également la qualité intrinsèque du crédit du gouvernement québécois, lequel bénéficierait d'une marge de manoeuvre «considérable» au plan fiscal en raison du «large éventail de taxes» dont il dispose pour s'ajuster aux circonstances. On ne manquait cependant pas d'ajouter que le Québec compte parmi les provinces les plus endettées du Canada, situation qui lui imposerait un cadre de rigueur budgétaire inévitable. Mais, le gouvernement donnait l'impression de le comprendre et l'Agence saluait les efforts entrepris pour retrouver l'équilibre des comptes publics (D-13-07-12, p., A-6).
Récemment, une étude de l'Institut Macdonald-Laurier d'Ottawa arrivait à la conclusion que le Québec montrait le plus faible risque de défaillance sur sa dette parmi les provinces canadiennes. Selon l'auteur de l'analyse en question, Marc Joffe, une province ne représente pas véritablement un risque de défaillance avant que le service de sa dette ne touche les 25 % de ses entrées fiscales. Or, les frais d'intérêts sur la dette québécoise ne font toujours que 10 % de ses recettes fiscales. Dans les années 90, les frais d'intérêts sur la dette fédérale représentaient 35 % des revenus du gouvernement. À première vue, donc, le Québec est encore loin du précipice. Mais, il faut lire les petits caractères. Pour arriver à ses conclusions, M. Joffe a étudié la dette québecoise purgée de la dette d'Hydro-Québec. Et, cela n'est pas nécessairement sans incidence sur la solidité de ses conclusions (Presse Affaires, 19-10-12, p., 6). D'abord, il y a lieu de noter que les commentateurs ne manquent pas pour affirmer que la société d'État serait en inquiétante situation de surcapacité. Dans une certaine mesure, elle en est rendue à exporter son électricité à des prix avoisinant ses coûts de production. Pis encore, on parle de la mettre à contribution à la hauteur de 47 milliards $ dans le cadre du Plan Nord. Malheureusement, il est loin d'être certain que cette aventure deviendra l'Eldorado que l'on veut bien nous décrire dans les bureaux de la Colline parlementaire. Aux HEC, le professeur Jacques Fortin ne donne certainement pas l'impression de le penser:
«On voit difficilement un gouvernement sérieux procéder autrement qu'au cas par cas dans l'accueil des entreprises. Les enjeux financiers sont trop lourds dans le budget du Québec pour qu'on puisse raisonnablement se lancer dans la construction d'infrastructures qui présument d'un grand enthousiasme du secteur minier.» (D-18-08-12, p., B-3)
Alexandre Shields, au Devoir, partage manifestement cette opinion:
«Bref, il est difficile de voir en quoi le Québec sortira pleinement gagnant de ce Plan Nord présenté depuis plus d'un an comme un formidable véhicule créateur de richesse, et ce, pour des générations.» (Idem.)
En toute équité pour les promoteurs du Plan Nord, il faut bien admettre qu'il y aura probablement «création de richesse» dans le cadre de sa mise en oeuvre. Mais, s'il faut se fier aux premiers pas de ce long voyage vers l'abîme fiscal, il semble bien qu'il s'agira d'un processus hautement sélectif. Il y a peu de doute, en effet, que certains s'enrichiront avec le prolongement de la route 167 vers le gisement Stornoway, projet dont les coûts sont désormais évalués à 470 millions $ après avoir été initialement budgétés à 230 millions $ (D-31-10-12, p., B-1). En fait, si la tendance se maintient, il y a tout lieu de penser également que la SOQUEM ne fera pas partie, non plus, des gagnants du gros lot Stornoway. Pour abréger une longue histoire, disons que les travaux de la société d'État sont en bonne partie à l'origine de la découverte du gisement Stornoway. Au fil du temps, la SOQUEM et la minière vancouvéroise se sont retrouvées en partenariat à parts égales dans le cadre du projet en cause. Par la suite, la participation de la société d'État fut échangée contre un bloc d'actions dans le capital de Stornoway au taux de 2,40 $ l'action. Récemment, vers la mi-octobre, celles-ci ne faisaient plus que 0,63 $ et la participation de la SOQUEM 34 %. Également désireuse de «s'enrichir», la Caisse de dépôt détiendrait une participation de 7,5 % dans le capital de Stornoway. Alors, le Québec va-t-il récupérer sa mise lors de l'entrée en production ? Peut-être, mais «on ne contrôle pas ce qui se passe en Europe, ni l'endettement du Québec», expliquera Patrick Godin, vice-président à l'exploitation chez Stornoway (D-15-10-12, p., B-3). Imaginez, «on ne contrôle pas l'endettement du Québec» après que la province ait assumé une grande partie des frais de la découverte du gisement de la compagnie et qu'elle se soit engagée à supporter par emprunt la majeure partie des coûts de construction de la route nécessaire au développement de son gisement. Renversés? Dites-vous, maintenant, que le script du Plan Nord attribue un rôle de 47 milliards $ à Hydro-Québec dans ce film d'horreur mal odorant. À l'échelle de la Baie James, cela veut dire 150 milliards $. N'oubliez pas, non plus, que le contrat plaqué or entre Hydro-Québec et Terre-Neuve finira bien un jour par prendre fin. Et, à Terre-Neuve, on ne donne pas l'impression de vouloir en signer un semblable de sitôt. Alors, non, la dette d'Hydro-Québec n'existera pas nécessairement éternellement en situation d'apesanteur.
À tout événement, il ne faut surtout pas sous-estimer l'importance du Plan Nord dans une étude du cadre financier soumis pas les trois grands partis lors de la campagne de 2012, particulièrement dans la cas du PQ et de la CAQ. L'un et l'autre comptaient lourdement sur les redevances minières pour l'atteinte de l'équilibre budgétaire. Il ne faudrait certainement pas, en effet, que l'on équilibre les comptes avec de l'argent emprunté que les minières retourneraient en partie au fisc québécois déguisé sous forme de «redevances». Pareille mascarade ne durerait qu'un temps. Et, il serait humiliant que les multinationales étrangères arrivent à nous passer une arnaque de cette espèce.
Alors, quel est l'endettenment réel du Québec? Fait-il 119 milliards $, 191 milliards $ ou 250 milliards $, comme certains semblent le penser (S-15-08-12, p., 26) ? Difficile de le dire. Mais, il ne pourra pas augmenter indéfiniment. Avant d'atteindre 132 % du PIB national, la dette grecque est passée par 55 %. On a prêté avec «bienveillance» à la Grèce pendant des années. On l'a même aidée à trafiquer ses comptes. Mais, aujourd'hui, on l'oblige à vendre ses meilleures sociétés d'État. Et, le Plan Nord pourrait bien faire avancer le Québec dans cette direction.
D'ailleurs, il ne faudrait peut-être pas se montrer trop encouragé par l'apparente marge de manoeuvre du Québec au plan budgétaire. A-t-on sorti certains éléments...«du périmètre comptable» de la province? Il faut parfois regarder au-delà des pourcentages officiels. Au même effet, il ne faudrait pas, non plus, négliger les conséqences possibles sur les fonds de pension de la situation qui prévaut présentement sur les marchés financiers. En fait, il y aurait certainement lieu, aussi, de garder un oeil sur les politiques économiques du gouvernement fédéral. Alors, commençons par le Plan Nord...


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    26 novembre 2012

    All things cnoisedred, this is a first class post

  • Archives de Vigile Répondre

    19 novembre 2012

    Les médias «mainstream» ont été beaucoup plus prompts à s'occuper de l'indépendance des tribunaux administratifs québécois que de celle des tribunaux administratifs fédéraux et de la Cour suprême du Canada, situation que j'ai pourtant essayé de porter à leur attention pendant des années. Au ministère de la Justice, à Ottawa, le gouvernement fédéral a menacé de ne pas passer la loi sur les langues officielles (1988) si le Commissaire aux langues donnait suite à une plainte que j'avais déposée concernant les divergences entre les deux versions des lois fédérales. Le commissaire a compris. Il a décliné sa juridiction. Ensuite, le ministère a pu me congédier au vu et au su du Commissariat. Pour la menace de ne pas passer la loi sur les langues officielles, on pourra consulter la première page du Devoir du 8 ou du 10 mars 1988, dans un article de Michel Vastel. Je travaille de mémoire. Je ne me souviens plus si c'était le 8 ou le 10. Quant à la Cour suprême, j'ai placé des articles sur Vigile à ce sujet pendant plus de quatre mois. Silence total des médias «mainstream». Je les ai retirés après que l'on ait commis une effraction sur ma boîte postale la nuit de la parution d'un de mes articles sur la Cour suprême, dans lequel je suggérais à Gilles Duceppe de soulever la question lors du débat des chefs en 2011. De la manière dont l'effraction a été commise, cela ne pouvait être le fait d'un simple délinquant. Le loquet a été sectionné de l'intérieur de la boîte. Il fallait que l'auteur du délit ait la clé.
    Alors, pourquoi les péquistes et le Bloc ne diraient pas :« OK, correct, on va en parler d'indépendance judiciaire. C'est vous autres qui l'avez demandé.» Et, là déballer mon cas puis celui des années Laskin à la Cour suprême...Les années suivantes n'étaient pas piquées des vers non plus...L'Affaire des Conventions de travail, Vapor, le Renvoi anti-inflation...Tiens, puis pourquoi pas le scandale de la Somalie...Pas pire, ça, comme exemple d'indépendance judiciaire. Puis, si vous êtes pas capables de faire ça, péquistes et bloquistes, démissionnez, puis reprenez vos jobs de fonctionnaire tranquilles. Je peux me permettre de parler comme ça parce que je me suis mis debout, moi. Puis quand aux médias «mainstream», vous pourriez peut-être regarder du côté d'Ottawa, de temps en temps, pour déterrer des cas de corruption. Fertile, prenez ma parole. Ouais, mais, ça, c'est un problème. Les banques pourraient commencer à vendre de l'assurance. Puis, le CRTC pourrait commencer à être tannant. Bell...Astral...Licences de télédiffusion...Ah, c'est un pensez-y bien...Mieux vaut en rire qu'en brailler.
    L. Côté