Les grandes centrales syndicales ont récemment accusé le gouvernement du Québec d'agiter sans raison «l'épouvantail» de la dette pour justifier les hausses de taxes et les compressions annoncées dans le budget Bachand. Elles affirment que la dette du Québec n'est pas si lourde que ça, et elles jugent prématurée l'élimination du déficit budgétaire prévue pour 2014.
Ont-elles raison? Pour s'en faire une idée, il faut utiliser la méthode de calcul de l'OCDE, qui permet les comparaisons d'endettement entre provinces et pays. Cette méthode chiffre la dette de notre secteur public provincial (gouvernement du Québec, municipalités et réseaux) à 173 milliards de dollars au 31 mars 2010. Cela équivaut à 57% du PIB du Québec. C'est le pourcentage le plus élevé de toutes les provinces canadiennes. Pour le reste du Canada, la méthode de l'OCDE donne un endettement provincial moyen plus faible: 40% du PIB.
Est-ce qu'une dette provinciale évaluée à 57% du PIB représente un fardeau supportable pour le Québec? Pour en juger, il faut connaître la base de revenu sur laquelle le secteur public provincial lève ses impôts et taxes. Dans les faits, depuis 30 ans, la taxation du revenu intérieur du Québec a été partagée comme suit: 58% pour Revenu Québec et 42% pour Revenu Canada. Autrement dit, la base de revenu à laquelle le secteur public provincial a en moyenne accès n'est pas le PIB entier du Québec, mais bien 58% du PIB. Or, comme la dette du secteur public provincial équivaut, elle, à 57% du PIB, il faut en conclure que cette dette est égale à tout près de 100% de la base de revenu à laquelle il a effectivement accès.
Est-ce qu'une dette égale à 100% de sa base de revenu est un fardeau important pour un État? Aucun doute. Les données que l'OCDE publie sur l'endettement public de ses 30 pays membres en font foi. Dans le classement des pays selon le poids de l'endettement, le Québec, avec un poids égal à presque 100% de sa base de revenu, occupe en fait le cinquième rang mondial avec la Belgique, derrière le Japon, l'Italie, la Grèce et l'Islande, tous des pays dont la fragilité financière est particulièrement inquiétante à l'heure actuelle.
Le Québec n'est pas en crise comme la Grèce ou l'Islande. Il est encore parfaitement capable de rencontrer les paiements sur sa dette. Mais celle-ci est l'une des plus lourdes parmi les pays avancés. Elle ne devrait permettre aucune complaisance. Néanmoins, les centrales jugent que le gouvernement devrait retarder son retour à l'équilibre budgétaire bien après la date actuellement prévue de 2014.
Rien ne justifie cette position. La récession, au Québec, a été l'une des moins profondes et des plus courtes de toute la planète et, jusqu'ici, la reprise économique est y bien engagée. Le Québec n'a pas besoin de prolonger au-delà de quatre autres années son soutien actuel à l'économie. Au contraire, son endettement étant parmi les plus lourds, il doit profiter de la conjoncture économique qui lui est favorable pour accélérer son retour à l'équilibre budgétaire.
L'importance pour le Québec d'agir avec diligence et célérité en matière d'endettement est d'autant plus grande qu'au-delà de la récession, plusieurs autres défis l'attendent de pied ferme: résorber son déficit structurel de 12 milliards, conserver sa capacité financière d'affronter les futures récessions, réaliser son plan d'infrastructures de 56 milliards, absorber l'impact du vieillissement sur les dépenses de santé, et protéger les nouvelles générations d'un fardeau d'endettement excessif et inéquitable.
Cela ne va nous laisser aucun instant de répit.
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Pierre Fortin
L'auteur est professeur associé d'économie à l'UQAM.
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