Lorsque j’ai appris qu’un éventuel « gouvernement péquiste se donnerait comme objectif [...] d’attirer un immigrant sur quatre en région », je n’ai pu m’empêcher de penser qu’il envisageait de suivre l’exemple de l’Allemagne.
Pour rappel, ce pays cinq fois plus petit mais dix fois plus densément peuplé que le Québec a accueilli, « sans drame, un million de candidats à l’asile depuis 2015 ». Toutes proportions gardées, si le Québec devait décider un jour d’en faire autant, il accueillerait cent mille réfugiés en une seule année !
La recette allemande pour faire face à un tel flux de migrants est à la fois simple et efficace : ils ont été répartis au prorata de la population des différentes régions, villes et municipalités de l’ensemble du territoire de la République fédérale. L’objectif étant, de toute évidence, de faciliter leur intégration et d’éviter ainsi que ne se forment des ghettos dans les grandes villes.
À n’en pas douter, Jean-François Lisée compte utiliser la même approche, comme le laisse entendre la plateforme électorale du Parti québécois : « Des gestes concrets seront nécessaires pour renverser la tendance, alors que plus de 90 % des nouveaux Québécois s’installent dans la région métropolitaine, et ce, malgré une pénurie de main-d’œuvre et un déclin démographique touchant principalement les régions du Québec. »
Il s’agit a priori d’une excellente idée et on ne peut que s’étonner qu’aucun autre parti politique n’y ait songé plus tôt !
Oui, mais...
Car il y a un, sinon plusieurs, « mais ».
Il faudrait déjà que le PQ prenne le pouvoir, ce qui, compte tenu des résultats du plus récent sondage, est loin d’être assuré.
Mais passons outre ce « petit détail » ! Examinons plutôt ce qui s’est produit en Allemagne depuis que la chancelière Angela Merkel a ouvert toutes grandes les portes de son pays aux réfugiés en lançant son désormais célèbre cri du cœur destiné à inciter ses compatriotes à se mobiliser en faveur des demandeurs d’asile : « Wir schaffen das ! » (« On va y arriver ! »)
Premier constat, la légendaire efficacité allemande en a pris pour son rhume ! Déjà, une ville comme Munich, capitale de la Bavière, avait été submergée par l’arrivée de dizaines de milliers de réfugiés en septembre 2015. À l’heure actuelle, dans le nord du pays, des soupçons de favoritisme dans le traitement des demandes d’asile pèsent sur une employée du ministère de l’Immigration, tandis que trois avocats et un interprète sont pour leur part soupçonnés de corruption.
Ajoutons que les réfugiés doivent parfois attendre de longs mois avant de voir leur demande d’asile acceptée – ou carrément refusée ! Le gouvernement allemand a par ailleurs durci le ton et entrepris dès le début de 2016 de restreindre les droits des arrivants. De concert avec l’Autriche et l’Italie, l’Allemagne s’apprête en outre à lutter contre l’immigration clandestine.
De l’eau au moulin de l’extrême droite
Cela étant, l’accueil des réfugiés a malgré tout été un succès dans l’ensemble – grâce surtout à une très forte implication de la société civile. Mais les attaques terroristes de Berlin en décembre 2016 et de Hambourg en juillet 2017 ont quelque peu refroidi les ardeurs depuis.
Sans oublier que les « incidents de Cologne » n’ont pas manqué de marquer durablement les esprits. Dans la nuit du Nouvel An 2016, près de la cathédrale de Cologne, « un millier (!) de jeunes hommes «d’origine arabe ou nord-africaine», la plupart d’entre eux en état d’ébriété, se sont rués sur les femmes qui y passaient, pour les molester et les voler ».
Deuxième constat : les migrants ont été les premiers à souffrir du changement progressif d’attitude à leur égard. Ainsi, certaines villes, notamment dans l’ex-Allemagne de l’Est, veulent désormais limiter le nombre de réfugiés. Pis encore : « La criminalité d’extrême droite explose dans toute l’Allemagne : 921 attaques contre des foyers de réfugiés en 2016, dont 66 incendies et quatre attentats à l’explosif. »
Comme on le devine, c’est le courant xénophobe qui a le plus bénéficié des conséquences de la crise migratoire, tant en Allemagne qu’ailleurs en Europe. En témoignent les récents succès du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui a fait son entrée pour la première fois au Parlement allemand à la suite des élections fédérales de septembre 2017 – au point d’y former l’opposition officielle !
Troisième et dernier constat : Mme Merkel a dû payer le prix de sa politique migratoire. Tant l’Union démocrate chrétienne (CDU/CSU), dont elle était la candidate à la chancellerie, que le Parti social-démocrate (SPD), tous membres de la « grande coalition » qui existait depuis 2013, ont enregistré « leurs pires résultats depuis les élections d’après guerre ».
En conclusion, c’est bien beau d’avoir de bonnes intentions, encore faut-il s’assurer que la population locale soit disposée à accueillir de nouveaux réfugiés en son sein avant de s’exclamer : « On va y arriver ! » Que cela serve de leçon au PQ, ainsi qu’à toute la classe politique du Québec, avant qu’il soit trop tard !
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4 commentaires
Gilles Verrier Répondre
17 juin 2018Un débat bien documenté je le concède, mais qui surfe sur les marges du suréalisme quand on songe que le grand absent de la tribune de M. Paiement et du premier commentaire de M. Ferid Chikhi : l'éléphant dans la pièce, concerne les survivances du colonialisme interne au Canada qui plombe les premiers canadiens français. Et depuis toujours le déficit criant de reconnaissance constitutionnelle qu'ils traînent avec eux. Le rapport avec l'Allemagne est de ce point de vue fort injuste quand il se propose de comparer des situations incomparables. Il n'y a qu'un pôle possible d'attraction et de ralliement en Allemagne, il y en a deux au Canada, et ils sont fort inégaux. On ne peut en faire abstraction dans un tel débat. On peut l'avoir fait involotairement, mais il n'empêche que la situation fort singulière de ce pays occidental arriéré sur le plan de la reconnaissance des minorités - au premier chef celle des fondateurs devenus minoritaires - qu'est le Canada ne devrait pas occulter les analyses qui se veulent pertinentes. Quand les descendants des vaincus de la guerre de Sept ans auront-ils le statut qui leur permettra de façonner l'immigration comme l'Allemagne semble le faire ? Avant de jouer aux souverains, ne conviendrait-il pas d'examiner sans s'y soustraire la question de l'égalité (interne ou externe) des nations au Canada ?
GV
Ferid Chikhi Répondre
16 juin 2018Bonjour,
M. Paiment vous vivez en Allemagne mais à l'évidence vous n'êtes pas au fait de tous les paramètres relatifs à l'accueil des réfugiés (Syriens, Afghans, Africains...) qui ont été accueillis par les ''institutions'' allemandes. L'un de ces paramètres réside dans l'expertise de ce pays à ''accueillir et encadrer'' ces gens venus d'ailleurs...
Depuis 1945, ce pays a reçu des millions d'immigrants et de réfugiés, les premiers ont été les Turcs venus aider à la reconstruciton ...
Ensuite et de date récente après 1989, destruction du mur, le retour ou l'invasion de celles et ceux qui étaient de l'autre côté...
Puis, la guerre des Balkans a libéré un autre flot composé de tout un monde anciennement ''gardé'' en ex Yougouslavie : Serbes, Croates, Bosniques, Albanais...
Ces multiples flux migratoires ont forgé l'esprit d'accueil non seulement de ce que vous qualifiez de ''Société civile allemande'' mais aussi des organisations communautaires. La grande différence avec le Québec, c'est que l'Allemand ''lambda'' est non seulement discipliné, mais aussi organisé et respectueux des décisions de ses élus, toutes obéidences politiques confondues.
Je ne crois pas que Jean François Lisée, s'il est élu, avec un gouvernement majoritaire, pense faire comme l'a fait Mme Merkel... Mais il pourrait s'en inspirer... considérant que l'extrême droite qui couvait en ex RDA n'a pas son alter égo au Québec.
Bonne journée.
Normand Paiement Répondre
18 juin 2018Monsieur Chikhi,
Merci pour ces précisions destinées à éclairer le lecteur québécois.
Sachez néanmoins que mon propos n'était pas de faire l'historique de la tradition d'accueil en vigueur en Allemagne.
Mon intention était plus modestement d'établir un parallèle entre la situation actuelle qui prévaut en Allemagne et celle qui prévaut au Québec.
Je trouve pour le moins aberrant que les nouveaux arrivants se concentrent à 90 % dans la région montréalaise!
J'ignore ce que la politique migratoire d'Angela Merkel aura conséquence dans quelques années, ni quelles seront les conséquences de l'absence de stratégie migratoire de la part du gouvernement québécois. L'avenir nous le dira...
Cordialement,
Normand Paiement
Ferid Chikhi Répondre
19 juin 2018Bonjour M. Paiement,
Juste pour ce qui est de votre question relative à l'arrivée et au maintien des nouveaux arrivants à Montréal ... Selon mes observations et je pense qu'elles sont partagées par bien du monde ... : Les conditions d'accueil de ces personnes sont obsolètes depuis au moins 15 ans et pour cause, voici quelques éléments de réflexion:
1) Les nouveaux arrivants sont d'abord accueillis par le CIC et non par le MIDI, celui-ci n'intervient qu'en soutien informationnel au premier.
2) Rien n'est fait en amont pour expliquer à ces nouveaux arrivants qu'ils ont une place ; qu'ils peuvent se faire leur place ailleurs qu'à Montréal...
3) Que faut-il faire pour expliquer à ces nouveaux arrivants que s'ils débarquent ailleurs qu'à Montréal, il existe des structures d'accueils pour les aider à s'intégrer... ?
Là aussi un brin de réponse :
4) Comment accueillir ces nouveaux arrivants si le ministère concerné du Québec n'a jamais mis de l'avant un redéploiement local de ses bureaux, même au sein de Services Québec ?
5) Les quelques organismes d'accueil financés par le MIDI (à Granby, Ste Hyacinthe, Joliette, Trois Rivières, Sherbrooke, Drummondville, et ailleurs en Gaspésie, ou aux îles de la Madeleine...) n'ont ni l’organisation, ni les dispositions opérationnelles et encore moins les attributs de la puissance publique et par conséquent les moyens adéquats pour offrir un soutien approprié à ces gens.
Quant à la politique de régionalisation de l’immigration pensée dans des bureaux à Montréal et à Québec je préfère éviter d’en parler.
Bonne continuation et à bientôt.