Frilosité, Bloc et poteau

IDÉES - la polis



S'il existe une constante dans la vie politique canadienne, c'est bien celle du rejet des idéologies et des choix tranchés ou radicaux. On fuit le noir et le blanc, le Bien et le Mal, pour chercher la posture rassurante et rassembleuse. Ni droite, ni gauche, ni rouge, ni noir, mais des demi-teintes; rose pâle ou gris bleu pour ne pas faire fuir l'électeur habitué depuis si longtemps au non-dit. On n'est plus socialiste, mais social-démocrate et même, maintenant, plutôt progressiste. Le capitaliste outrancier et xénophobe louange liberté et tradition. L'indépendantiste radical se dit souverainiste. L'écologiste est sagement vert.
C'est dans ce refus de l'affrontement direct qu'il faut situer la faillite de la campagne libérale. Car, peu importe le résultat de lundi soir, les libéraux ne formeront pas un gouvernement minoritaire ou majoritaire. Pourtant, si on lit entre les lignes, si on recompose les puzzles et si on fait la somme des engagements électoraux, Harper et Ignatieff proposaient deux projets de pays radicalement différents: un pays américain ou un pays canadien. Dans le pays de Harper, le gouvernement doit laisser libre cours aux envies et désirs des grandes entreprises, la protection de l'environnement contrecarre la création d'emplois et la prospérité, les programmes sociaux doivent favoriser les choix individuels, l'immigration est une menace, la criminalité urbaine détruit la fibre sociale du pays, la torture est acceptable dans certaines circonstances, Dieu doit guider nos choix politiques. Par contre, si on met bout à bout les propositions libérales et les discours épars et convenus du chef, c'est un tout autre pays qui est décrit: une société solidaire à travers son gouvernement, un juste équilibre entre la liberté d'entreprendre et la nécessité de réglementer, un respect des institutions et des droits et un gouvernement qui respecte les règles démocratiques.
Les libéraux auraient pu choisir un débat d'idées, une confrontation entre le secret et la transparence, mais, encore une fois, ce parti encore plombé par les commandites a refusé de situer le débat au niveau des principes. Ce parti a trop de stratèges, de publicistes, d'apparatchiks et pas assez de penseurs. Trop d'ambitions et pas assez de réflexion. En décidant de ne pas se poser comme une solution de rechange radicalement différente, ils ont sous-estimé une volonté de changement diffuse mais évidente. Mais, pour ceux qui voulaient aller dans une nouvelle direction, il était bien difficile de se retrouver dans un parti qui se contentait de proposer des aménagements, des améliorations, des inflexions. Paradoxalement, cet homme d'idées qu'est Michael Ignatieff a accepté de mener une campagne dépourvue d'idées, misant sur le retour au bercail des libéraux égarés et sur le tassement prévu de l'appui aux néodémocrates. Petite et médiocre stratégie, résultats petits et médiocres.
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Le Bloc, pour sa part, a été gravement présomptueux en tenant pour acquis le vote francophone et en se disant que le sentiment nationaliste, le refus du pouvoir central et le ressentiment historique à l'égard de Meech et de la Constitution de 1982, ajoutés au rejet des Québécois à l'égard de Harper, garantissaient une victoire facile et, pourquoi pas, un triomphe. Plus fondamentalement, il pensait qu'on peut miser indéfiniment sur une protestation et un vote négatif, que l'immuabilité de la question nationale mettait le parti à l'abri de toute remise en question de la pertinence de maintenir à Ottawa une voix indépendantiste. En gros, le Bloc a considéré l'électorat francophone québécois comme un prisonnier plus ou moins consentant. Les Québécois ne pouvaient avoir d'autre choix que celui de Gilles Duceppe. Jamais ils n'ont imaginé que, à un certain moment et dans certaines circonstances, le vote pour le Bloc serait considéré comme faisant partie du cul-de-sac dans lequel semblait s'enliser la politique canadienne. Jamais ils n'ont pensé que le désir de changement, l'envie d'un discours neuf pourraient supplanter le sentiment nationaliste. C'était penser qu'une population entière pouvait se satisfaire éternellement d'une position de refus et d'un vote de protestation. Le fait qu'une large partie de l'électorat francophone, tout en ne niant pas son appartenance nationale, puisse penser que l'avenir réside ailleurs que dans le Bloc demeurera certainement le bouleversement le plus important de cette campagne.
On pourrait dire que le NPD n'a pas grand mérite. Il a misé sur son chef et sur un discours calmement et résolument progressiste, espérant limiter les dégâts prédits au début de la campagne. C'est l'incapacité du PLC et du Bloc à canaliser le mécontentement à l'égard de Harper qui a gonflé ses appuis en fin de campagne. Un peu comme si des centaines de milliers d'électeurs n'y étaient venus qu'en dernier recours. Un Parti libéral sans projet, sans idée, doublé ici d'un Bloc immuablement figé dans le refus. Ne restait que le NPD pour modifier la situation. Et deux tiers des Canadiens ne veulent pas de Harper.
P.S. On a beaucoup fait état des candidats inconnus et inexpérimentés que présente le NPD au Québec. Certains ne seraient même que des étudiants en sciences politiques, se sont gaussés quelques commentateurs. À choisir entre les marionnettes conservatrices du Québec, qui depuis cinq ans répètent mot à mot les communiqués du premier ministre, et un poteau qui a fait un an de sciences politiques, je dois avouer que sans hésitation je choisis le poteau.


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