Histoire - Contre le crucifix

L’historien Yvan Lamonde se prononce contre la sacralisation dans l’espace politique qui est aujourd’hui le nôtre.

Laïcité — débat québécois



Spécialiste de l'histoire intellectuelle du Québec, Yvan Lamonde nous a habitués, au fil du temps, à des ouvrages graves et sérieux où le ton de la neutralité propre aux travaux universitaires prédomine tout à fait. Or le voici, ces dernières années, qui semble découvrir un aspect de lui-même plus ouvertement engagé, ce que confirme aujourd'hui la parution d'un excellent essai, L'Heure de vérité, consacré à l'histoire de la laïcité québécoise.
À l'heure du vif débat qui continue de toucher la place de la laïcité dans la société québécoise, l'historien avisé qu'est Yvan Lamonde revisite l'histoire de ce mouvement, sans cacher un a priori favorable à l'égard de ses défenseurs. Les deux grands projets qui sous-tendaient la Révolution tranquille, explique Lamonde, étaient la réalisation de l'indépendance politique et la laïcisation de la société. Quarante ans plus tard, force est de constater que ces deux projets sont demeurés en plan. Pourtant, la trajectoire amorcée de longue date annonçait meilleur résultat.
Dans l'entre-deux-guerres serait apparu, explique l'historien, un fort courant en faveur d'une prise en charge des valeurs de l'Église catholique par des laïcs. Dans cette perspective d'un passage d'une domination de l'Église à une représentation de ses idéaux par des laïcs, la société québécoise doit beaucoup, souligne Lamonde, au père Georges-Henri Lévesque, fondateur de l'École des sciences sociales de l'Université Laval. Le père Lévesque propose en effet très tôt d'aborder le monde moderne hors du cadre habituel de la confessionnalité qui englobe alors toutes les sphères de la vie sociale. L'Église, dira le père Lévesque, n'a rien à voir avec le hockey, la fabrication du beurre ou d'autres choses du genre...
Les rappels historiques que propose Lamonde sont nombreux et heureux. Il évoque ainsi la figure de T. D. Bouchard, le sénateur de Saint-Hyacinthe, animateur dans les années 1940, entre autres choses, de l'Institut démocratique canadien. Il traite aussi des Témoins de Jéhovah, des croyants pourchassés sous le régime de l'Union nationale de Duplessis. Dans le capharnaüm intellectuel dont Duplessis s'accommode à titre de pensée politique, le premier ministre con-fond allègrement communisme, socialisme, athéisme et Témoins de Jéhovah. Dans la foulée de ses confusions au nom d'un autoritarisme paternaliste, il s'arrange pour faire perdre son permis de vente d'alcool à un restaurateur, Frank Roncarelli, qui paye régulièrement les cautions dans les procès répétés qui sont instruits contre les Témoins de Jéhovah. La modernité est-elle vraiment en germe sous Duplessis? C'est à Duplessis encore qu'on doit l'installation d'un crucifix à l'Assemblée législative en 1936. Ce crucifix fait-il dès lors partie de la «tradition» québécoise, comme l'a prétendu récemment Jean Charest?
La parution du manifeste Refus global, en 1948, conduit à l'exil de ses signataires, sous le poids lourd d'une hégémonie catholique dont se félicite le pouvoir conservateur en place. Mais d'autres gens que ces artistes tiraillent l'Église sur son flanc. C'est le cas d'un André Laurendeau au Devoir ou des collaborateurs de Cité libre, revue qui dénonce notamment une «religion de somnambules, faite de rites mal éveillés et d'adhésions somnolentes à une foi sans vie».
La première partie du livre d'Yvan Lamonde est consacrée tout entière à cet élan de la laïcité québécois qui culmine semble-t-il avec les années 1960, notamment lors des combats menés contre la naissance d'une université jésuite à Montréal. Lamonde souligne à juste titre les profondes transformations sociales qui ont alors cours au chapitre de la laïcité.
La deuxième partie de L'Heure de vérité revisite des temps plus anciens. Elle rappelle les conditions consécutives à la Conquête anglaise, qui ont permis à l'Église catholique du Canada français de devenir pres-que un État dans l'État. Les revendications laïques des révolutionnaires de 1837-1838 ne seront qu'une parenthèse fermée par la déprime collective dont profitent les aimables réformistes du XIXe siècle, tandis que la cléricalisation de la société va croissante à la fin du XIXe siècle. La religion devient en cette fin du XIXe siècle «ostensible et ostentatoire», pour reprendre les mots de Lamonde, qui se pose dans ses conclusions contre la sacralisation dans l'espace politique qui est aujourd'hui le nôtre. Un livre utile et précieux à l'heure de débats fondamentaux.
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L'heure de vérité - La laïcité québécoise à l'épreuve de l'histoire
_ Yvan Lamonde
_ Delbusso éditeur
_ Montréal, 2010, 226 pages


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