Avec une loi controversée, longuement débattue, la Knesset, le parlement israélien, a bloqué dans le ciment un synonyme facile pour parler d’Israël : « l’État hébreu ». Et un clou de plus était ajouté au cercueil de la paix dans la région.
Une amie juive, il y a une vingtaine d’années, me racontait ce qu’elle avait ressenti à son premier voyage en Israël : « Tout, je te dis, tout est juif ! » m’avait-elle confié, encore surprise et enchantée de s’être retrouvée quelque part où elle n’avait rien à justifier, à expliquer, à surveiller. Être juif sans risquer d’être montré du doigt, insulté ou, dans les pires cas, agressé.
Ce dont les élus israéliens se sont assurés, c’est que ce minuscule bout de territoire à l’extrémité de la mer Méditerranée où les Juifs — les Hébreux de l’Antiquité — ont été appelés à revenir après des millénaires de dispersion à travers le monde reste cet univers familier qui avait émerveillé cette amie juive.
À nous et à personne d’autre
Sauf qu’en votant, à 62 voix contre 55, pour définir Israël comme « l’État national du peuple juif », les députés israéliens ont aussi fait savoir aux non-juifs que cet État-là n’était pas tout à fait le leur. Ces non-juifs, ce sont essentiellement ces Arabes israéliens, musulmans et chrétiens, descendants des Palestiniens qui ont choisi de rester après la création d’Israël en 1948.
Ils représentent un habitant d’Israël sur cinq et s’estiment déjà systématiquement victimes de discrimination. La nouvelle loi, qui s’inscrit parmi celles servant de constitution en Israël, n’arrange certainement pas les choses. L’arabe qui avait jusque là le statut de langue officielle avec l’hébreu ne conserve plus qu’un vague « statut spécial ».
La loi précise aussi que le peuple juif a le droit exclusif à l’autodétermination nationale, étouffant toutes velléités palestiniennes de s’affranchir ou d’imposer ce « droit du retour » des réfugiés de 1948-1949 et de 1967et de leurs descendants, une marée potentielle de cinq millions de Palestiniens qui viendrait justement noyer le concept même d’État hébreu.
C’aurait pu être pire
Un article encore plus choquant de la loi a heureusement été écarté. Le premier texte sanctionnait la création de villes et de communautés réservées aux juifs, excluant les Arabes israéliens. La nouvelle version est à peine meilleure, indiquant que « L’État considère que le développement de localités juives relève de l’intérêt national. »
Les Palestiniens crient à l’« apartheid légalisé », au moment où l’espoir d’un « État indépendant, démocratique et viable, vivant aux côtés d’Israël en paix et en sécurité » s’est dissipé devant l’intransigeance du gouvernement de droite du premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou.
Les défenseurs de la loi soutiennent qu’elle reconnaît simplement un fait, une réalité : qu’Israël est le seul pays à majorité juive au monde. Ce n’est pas faux. Et les juifs, après toutes les misères que l’Histoire leur a fait subir, n’ont pas tort de tenir à cette garantie de survie qu’un État peut apporter.
Sauf que dans cette vieille région du monde, ils ne sont pas seuls. Les peuples se sont succédé, y laissant leurs traces, leurs minorités. Les juifs avec cette loi montrent qu’ils se braquent et qu’ils n’ont pas l’intention de partager : ni leur terre ni celle des autres qu’ils occupent à la suite de leurs victoires militaires.
Ils ne font que nourrir rancœur et envie de vengeance et s’assurer que l’on continuera, pour des générations, à contester leur droit de vivre pacifiquement. Comment, du coup, peut-on sérieusement prétendre que cette loi contribue à la sécurité et ultimement à la survie du peuple juif ?