Jacques Attali est économiste, professeur, écrivain. Il fut aussi le conseiller spécial du président François Mitterrand. Premier président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement après la Chute du Mur de Berlin, il est aujourd’hui avec sa société PlanNet Finance, engagé dans la croisade de la microfinance. Mais, aujourd’hui, il fait surtout figure de prophète ou de devin. Dans son livre Une brève histoire de l’avenir, il « annonçait », dans la foulée du 11 septembre 2001, le déclin de l’empire américain, la toute-puissance de l’empire du marché, et prédisait qu’après la violence de l’argent, viendrait celle des armes. « L’hyperempire », né d’une dérive du capitalisme libéral, générerait des déséquilibres extrêmes et de profondes contradictions. Il s’effondrerait de lui-même laissant le champ libre à une prolifération de conflits. Ceux-ci embraseront alors la planète entière en un conflit global, « l’hyperconflit ». Et après, si l’humanité survit, Attali envisage une nouvelle utopie. Ces prédictions sont déclinées dans une exposition très interpellante ouverte ce vendredi 11 septembre aux Musées des Beaux-Arts de Bruxelles. Vision de notre présent ? Projection anxiogène de notre futur, proche ? « Je suis frappé de voir que ce que j’avais prévu dans mon livre, s’est malheureusement produit », nous confie Jacques Attali. Son livre n’a rien empêché…
Sommes-nous à la veille de la phase de l’hyperconflit ?
Non, on est encore entre la fin de la première étape – la fin de l’empire américain – et le début de la deuxième. Il devrait déjà être clair pour tout le monde, même si cela ne l’est pas, que personne ne remplacera les Etats-Unis comme superpuissance. Mais en même temps, quand vous êtes sur la côte et que vous regardez les vagues, il y en a qui sont loin, mais elles arrivent. La guerre se rapproche, c’est sûr, elle se prépare. Si je prends l’exemple des vagues, la prochaine vague est là, elle est énorme, devant nous. On peut encore la contourner, l’éviter, mais elle se rapproche.
On a l’impression qu’on regarde, éveillé, la catastrophe se préparer sans agir ?
Les gens les plus sophistiqués manquent de courage. Or comme dans les années 30, face à la violence, la seule réponse c’est la violence, et face à la puissance c’est la puissance. Mais les gens sophistiqués n’aiment pas cela. On le voit bien avec Obama par exemple : c’est un grand président et un intellectuel, qui n’ose pas agir. La tragédie de la démocratie, c’est la procrastination. A la manière de la phrase d’un homme politique français : « il n’est pas de problème que l’absence de solution ne puisse résoudre ». Ce n’est vrai qu’en surface et par les temps faciles. Si on applique cette phrase à la Seconde Guerre mondiale, Hitler serait mort dans son lit.
Le parallèle avec les années 30 ne nous pousse pas à l’action ?
Cela ne fait pas encore assez peur. Et quand cela fait peur, cela entraîne une réaction de blocage, de fermeture, et pas de construction.
Les dirigeants du monde ne sont pas impuissants ?
Ils ont tous les moyens d’agir, il ne faut pas procrastiner, il faut vouloir. Si on a eu une Seconde Guerre mondiale c’est parce qu’on a procrastiné devant la dictature. Aujourd’hui on est dans le même état. Il faut que les démocrates réalisent que les barbares ne respectent que la force. Je ne suis pas un pacifiste. Il y a des moments où la guerre est nécessaire en légitime défense.
Comment conscientiser les gens ?
Ce matin, j’ai vu avec plaisir la réaction du patronat belge qui dit qu’il faut accueillir les réfugiés. Il faut passer à ce que j’appelle l’altruisme intéressé, c’est-à-dire comprendre que la forme la plus intelligente de l’égoïsme, c’est l’altruisme. Sur tous les sujets, il devrait être facile d’expliquer, si les hommes politiques avaient du courage. Ce qu’ils n’ont pas. Car c’est notre intérêt d’être altruiste. C’est notre intérêt de payer nos dettes et de ne pas les laisser aux générations suivantes. C’est notre intérêt de nous occuper de l’environnement ou de recevoir les migrants, comme c’est notre intérêt de les aider beaucoup plus chez eux pour qu’ils n’aient pas intérêt à venir chez nous.
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