Dans un entretien avec Les Echos (1), l’essayiste Jacques Attali, lobbyiste et homme d’influence, nommé par M. Nicolas Sarkozy pour présider la Commission pour la libération de la croissance française, vient de réitérer son discours alarmiste sur la dette publique (« Il faut une mobilisation générale du pays. Sinon, nous courons à la catastrophe »). L’objet de son propos n’est probablement pas d’abord d’inciter les lecteurs des Echos à acheter son dernier livre, Tous ruinés dans dix ans, dont l’économiste Bruno Tinel fait la critique acérée dans un article du Monde diplomatique de juillet, « L’austérité ou la guerre » (toujours en kiosques) : cet ouvrage a en effet déjà été « matraqué » par tous les médias. Plus vraisemblablement, M. Attali souhaite continuer à effrayer l’opinion afin de lui faire accepter les thérapies de choc que propose le gouvernement de M. François Fillon. Voire encourager ce dernier à aller plus loin encore dans sa charge contre les dépenses publiques.
Au moment où l’affaire Bettencourt défraie la chronique et rappelle à chacun la nature de plus en plus inégalitaire de la fiscalité française, destinée à favoriser les riches (2), M. Attali refuse une augmentation « massive » des prélèvements directs progressifs, et il estime benoîtement que supprimer le « bouclier fiscal », relever l’impôt sur les revenus, celui sur les successions, « fait partie de nos sujets en débat ». En revanche, ce « débat » il le tranche en estimant qu’afin de « muscler la croissance », « il faut d’abord agir en priorité par la réduction des dépenses ». Et il promet : « Nous avons devant nous dix ans de rigueur pour résorber la dette. » L’expérience des trente dernières années indique déjà que M. Attali et ses amis – industriels, banquiers, rentiers, journalistes célèbres qui lui permettent de quadriller les médias – risquent bien d’échapper une fois encore à la « rigueur » qu’ils prêchent sans relâche, mais qu’ils ne destinent qu’aux autres – moins introduits et moins fortunés qu’eux.
« Personne n’a le courage de dire tout cela », lance, avec sa modestie proverbiale, M. Attali pour évoquer les remèdes de cheval qu’il préconise : une « réforme » des retraites plus draconienne encore que celle du gouvernement Fillon, une amputation plus brutale des dépenses publiques, y compris sociales, lesquelles se voient qualifiées par lui, cette fois dans une chronique de L’Express (3) de « petits avantages acquis ». Courage pour courage, qui aura celui de suggérer que, depuis que M. Attali a conseillé M. Mitterrand à l’Elysée, il y a près de trente ans, depuis qu’il n’a cessé d’accumuler pronostics erronés et propositions hasardeuses (4), la société française est devenue plus inégalitaire ?
Apparemment, notre essayiste n’en a cure. En tout cas, il redouble d’arrogance. « Nous voulons, explique-t-il aux Echos, définir le programme commun minimum qui devra être appliqué, quoi qu’il arrive, sans interruption pendant les dix ans qui viennent et quelle que soit la couleur politique des présidents de la République. » Allons plus loin, avec « courage » : pourquoi ne pas supprimer les élections et nommer, « pendant les dix années qui viennent », Jacques Attali empereur ?
(1) « “Nous avons devant nous dix ans de rigueur pour résorber la dette” », Les Echos, 22 juillet 2010.
(2) Lire Liêm Hoang-Ngoc, « Retour aux privilèges fiscaux de l’Ancien Régime », Manière de voir n° 99, « L’Internationale des riches », juin-juillet 2008 (en vente sur notre boutique en ligne).
(3) « La rigueur, évidemment », L’Express, 21-27 juillet 2010.
(4) Lire l’article de Frédéric Lordon, « Les disqualifiés », Le Monde diplomatique , novembre 2008.
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