Une analyse excessivement simpliste

Réaction à l'étude de Claude Garcia, intitulée : « Comment la privatisation d'Hydro-Québec permettrait-elle d'enrichir les citoyens québécois?»

Gouvernement mondial


Publié dans Le Soleil du vendredi 27 février 2009 sous le titre "Hydro-Québec et la dangereuse lorgnette de la rentabilité financière"
Photo: Martin Chamberland, Archives La Presse NDLR Lucien Gendron est directeur général du Centre québécois de recherche et de développement de l'aluminium (CQRDA). Il réagit à l'étude de Claude Garcia, intitulée : « Comment la privatisation d'Hydro-Québec permettrait-elle d'enrichir les citoyens québécois?» À titre d'observateur de premier plan, depuis 25 ans, de l'industrie québécoise de l'aluminium et de son impact sur le développement du Québec, Lucien Gendron fait part d'une autre perspective relativement à la privatisation de l'hydroélectricité.

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M. Claude Garcia
Nous n'avons pas l'habitude de réagir à des opinions exprimées publiquement par des personnages en autorité. Mais, la stupéfaction ressentie en prenant connaissance de votre étude intitulée «Comment la privatisation d'Hydro-Québec permettrait-elle d'enrichir les citoyens québécois?», en particulier en regard des alumineries, nous oblige à le faire.
D'abord, il nous apparaît trop simple de ramener une discussion aussi fondamentale que celle de la nationalisation de notre première ressource naturelle à une simple opération financière. La situation économique d'aujourd'hui démontre, d'ailleurs tragiquement, le danger de se limiter à la seule logique comptable, sans tenir compte des autres considérations fondamentales pour disposer d'une problématique complexe. Par surcroît, dans une société où le discours dominant prône le développement durable, une telle approche réductrice s'avère tout simplement incohérente.

Pouvoir d'attraction
Condamner la nationalisation de nos ressources hydroélectriques, sans aucune autre forme de procès que celle de la lorgnette de la rentabilité financière, revient à renier tout un pan de notre histoire.
Dans cette optique, la nationalisation des compagnies hydroélectriques de la province devait servir de détonateur à la croissance économique. Et contribuer puissamment au développement de la capacité industrielle du Québec par les Québécois en créant un pouvoir d'attraction pour les investisseurs manufacturiers, un avantage concurrentiel déterminant.
La nationalisation devait également améliorer de façon considérable le développement des régions riches en ressources naturelles, mais trop éloignées de la métropole pour bénéficier, comme la Montérégie et toute l'imposante couronne montréalaise, des retombées de sa puissance industrielle.
Bien-fondé
Certes, depuis ce temps, le monde a changé énormément, nous vous le concédons. Mais, pas au point d'occulter, comme vous le faites, ce que notre histoire récente nous apprend sur le bien-fondé de cet extraordinaire outil de développement dont le Québec s'est doté en 1963 et sur la justesse des visées d'alors. Un bref rappel s'impose...
Que dire, d'abord, de l'oeuvre titanesque accomplie, à force de bras et d'ingéniosité, par ces Québécois constructeurs non seulement de barrages, mais aussi d'un avenir meilleur pour plusieurs générations de travailleurs. Ces grands ouvrages, dont la majorité est située en région, méritent également au Québec contemporain une renommée internationale inscrite partout dans le monde.
Pensons seulement à la firme d'ingénierie SNC-Lavalin qui, aujourd'hui encore, peut se targuer d'avoir érigé le plus grand barrage à voûtes multiples au monde: Manic 5.
Hausse de tarifs
Parlons également des alumineries pour lesquelles vous proposez de ne pas consentir de nouvelles ententes, ni de renouveler celles en cours relativement aux tarifs préférentiels. De votre propre aveu, toute l'opération se traduirait, bien sûr, par une hausse des tarifs, mais également par un exode de certaines entreprises. Votre inconscience devant les conséquences d'une telle éventualité nous oblige à vous indiquer certaines évidences, que 25 ans d'observation privilégiée dans l'industrie québécoise de l'aluminium nous permettent de réaliser dans toute leur ampleur.
N'oublions pas, d'abord, que l'étatisation de l'électricité et les autres considérations accompagnant cette démarche ont permis la consolidation et le développement d'alumineries situées essentiellement en région. Ce qui a assuré, et assure encore, des emplois de qualité et, par voie de conséquence, un niveau de vie inespéré. La présence de cette industrie de l'aluminium, depuis plus d'un siècle, a donc ainsi offert à toute une génération d'ingénieurs et d'entrepreneurs l'opportunité de développer une expertise recherchée aujourd'hui partout dans le monde.
Considérons le cas particulier des équipementiers. Selon la Carte routière technologique canadienne de la transformation de l'aluminium (2006), on dénombre 29 équipementiers au Québec, dont 12 majeurs et 17 en émergence. Ceux-ci se positionnent avantageusement sur l'échiquier mondial de l'aluminium. L'exportation de leur savoir-faire représente d'ailleurs une opportunité de croissance sans égal, en raison de la multitude de projets d'alumineries dans toutes les régions du globe.
Fleuron
Quand vous banalisez la disparition des alumineries, vous nous rendez plus que perplexes. En sachant que le Québec et le Canada sont respectivement les 4e et 3e producteurs au monde, votre réaction va à contre-sens d'un principe inculqué dès notre plus jeune âge, soit que gravir l'une ou l'autre des trois premières marches du podium est l'objectif à atteindre, la reconnaissance par excellence. Si l'on suit votre logique, le Québec est tellement au-dessus de ces considérations élémentaires qu'il peut se permettre d'abandonner ce fleuron que représente l'industrie québécoise de l'aluminium.
Par ailleurs, vous affirmez dans votre étude que la présence des alumineries dans les régions a aussi un effet pervers sur leur développement, car Alcan et Alcoa livrent une concurrence redoutable aux PME du voisinage, incapables d'offrir des salaires aussi élevés que ces multinationales. Votre analyse pèche par excès de simplification.
Depuis une quinzaine d'années, nous oeuvrons au développement de cette industrie, au Québec et, en particulier, dans les régions où les alumineries sont présentes; nous constatons, en dépit de votre prétention, l'émergence d'un tissu entrepreneurial très riche autour de la transformation du métal gris et de la fourniture en équipements et en services aux grands producteurs.
Trans-Al
Seulement au sein du Réseau Trans-Al, un regroupement panquébécois d'entrepreneurs intervenant dans l'industrie de l'aluminium, on dénombre plus de 130 PME transformatrices d'aluminium et équipementiers, générant plus de 5500 emplois et un chiffre d'affaires global de 600 millions$. Comme par hasard, 74% de ces PME se retrouvent au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Mauricie et sur la Côte-Nord, fief de Rio Tinto Alcan et d'Alcoa.
Autre fait: en 2007, nous avons élaboré un répertoire des capacités manufacturières des entreprises québécoises oeuvrant au sein de l'industrie de l'aluminium. À notre grande surprise, notre étude, qui ne prétend pas être exhaustive, a permis de recenser plus de 500 entreprises transformatrices d'aluminium et équipementiers, excluant les revendeurs d'aluminium et les firmes de service-conseil.
Montréal, à l'image de plusieurs grandes capitales dans le monde, aura, dès l'été 2009, son système de vélolibre. Pour votre information, ce projet, patronné par l'organisme Stationnement Montréal, est devenu une réalité grâce à un partenariat entre un grand designer de chez nous, Michel Dallaire, et une PME du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Cycles Devinci, un leader mondial dans la conception de vélos en aluminium. C'est à cette petite entreprise régionale que Stationnement Montréal a confié la fabrication de la flotte de vélos BIXI.
Pôle d'excellence
Avons-nous vraiment les moyens de mettre en péril cette renommée enviable que nous avons mis 25 ans à acquérir? En sonnant le glas des alumineries et de toutes leurs activités périphériques, aurez-vous vraiment contribué à freiner l'exode des jeunes québécois, comme vous l'avanciez en entrevue à La Presse Affaires, le 4 février dernier, afin d'expliquer votre volonté de privatiser Hydro-Québec?
Bref, nous avons tenté de démontrer, somme toute sommairement, que la nationalisation, dans l'esprit de ce dont rêvaient ses initiateurs, a véritablement contribué à assurer le développement économique du Québec par les Québécois et, par voie de conséquence, à assurer une qualité de vie partout, autant en région qu'à Montréal.
Négation
En conséquence, les considérations fondamentales sous-tendues à la nationalisation de l'hydroélectricité, il y a un peu plus de 45 ans, nous apparaissent toujours d'actualité. Du moins, jusqu'à ce qu'un débat de société vienne prouver le contraire. À notre connaissance, un tel débat n'a pas encore eu lieu.
Renier la nationalisation, c'est renier les considérations ayant mené à l'édification d'un Québec où tous peuvent aspirer à une vie meilleure que celle de la génération précédente, ce qui est l'essentiel de l'évolution de l'homme. Si privatiser l'hydroélectricité revient, tel que vous l'avancez, à se départir des alumineries et si l'on pousse la réflexion jusqu'à condamner Hydro-Québec, Bombardier et les autres tout cela représenterait le retour à un passé pas si lointain où l'on nous considérait comme des porteurs d'eau.

Squared

Lucien Gendron1 article

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Directeur général du Centre québécois de recherche et de développement de l'aluminium (CQRDA)





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