P.E.T

L'anniversaire oublié

Dix ans après sa mort, on peut toujours lui souhaiter de reposer en paix, mais c'est tout.

Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire


Ce mardi 28 septembre, le Globe and Mail a souligné le dixième anniversaire de la mort de Pierre Elliott Trudeau en publiant en première page une photographie prise en 1974, sur laquelle l'ancien premier ministre, en maillot de bain, est apparemment sur le point de plonger dans une impressionnante chute de la Guyane. Un véritable Tarzan canadien.
Ce même matin, la photo publiée en première page du Devoir avait été prise la veille au Metropolitan Opera de New York, à l'occasion de la première du Rheingold de Wagner dans la mise en scène de Robert Lepage.
Nulle part dans le journal il n'était fait mention de l'anniversaire de la mort de Trudeau et, contrairement à ce que certains pourraient croire, il ne n'agissait pas d'une omission volontaire. Avec la pléthore d'anniversaires qui se bousculent cette année, personne au Devoir n'avait pensé à celui-là et aucun lecteur n'a signalé l'oubli.
D'ailleurs, on n'en parlait pas davantage dans La Presse ou dans Le Journal de Montréal, alors que la Gazette consacrait une page complète à un article intitulé «The two faces of Pierre Elliott Trudeau», qui le présentait comme un être de passion, aussi bien au lit que sur les tribunes publiques.
L'auteur de l'article, David Johnston, soulignait précisément le contraste entre la prolifération des livres qui lui ont été consacrés au Canada anglais depuis une décennie et les rares ouvrages sur le sujet au Québec. De toute évidence, dix ans après sa mort, l'ancien premier ministre continue à diviser les «deux solitudes» qu'il prétendait réunir.
À la vérité, on risque de parler beaucoup de lui au cours des prochaines semaines, mais ce sera essentiellement pour jeter un regard très critique sur son comportement lors de la Crise d'octobre de 1970.
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Dans le ROC, où il fait figure de héros, on attribue généralement sa faible popularité au Québec à son combat incessant contre les «séparatistes». En effet, les souverainistes le détestent autant pour sa duplicité durant la campagne référendaire de 1980 que pour son machiavélisme lors de la «nuit des longs couteaux».
En entrevue à la Gazette, l'historien Éric Bédard soulignait toutefois que les fédéralistes «de bonne foi» n'ont pas davantage digéré la façon dont il a torpillé l'accord du lac Meech à la fin des années 1980.
Quand l'ancien premier ministre avait accusé Lucien Bouchard d'avoir trompé les Québécois durant la campagne référendaire de 1995, Daniel Johnson, que personne ne peut soupçonner de sympathies souverainistes, lui avait répliqué sèchement: «M. Trudeau a oublié son histoire du début des années 1980. Il a oublié son opposition au lac Meech. Il a oublié son opposition à Charlottetown. Il est peut-être temps qu'on oublie M. Trudeau.» Il semble qu'on l'ait finalement écouté.
Même Stéphane Dion, qu'on a souvent présenté comme son héritier spirituel, a toujours dit qu'il avait commis une «grave erreur» en empêchant de tourner la page sur le rapatriement unilatéral de 1982.
D'un point de vue canadian, on peut toujours se réjouir du coup double réussi par Trudeau, d'abord en mâtant les souverainistes, puis en réduisant à l'impuissance les fédéralistes québécois qui réclamaient un renouvellement de la fédération ou même simplement le respect du «pacte» intervenu en 1867. Il ne faut cependant pas se surprendre que Québec refuse de participer à la déification en cours dans le reste du pays. Le masochisme a tout de même des limites.
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Curieusement, on fait toujours remonter les méfaits de Trudeau au début des années 1980. En ce cinquantième anniversaire de la Révolution tranquille, il peut être utile de rappeler le souvenir du jeune premier ministre que les Québécois avaient contribué à faire élire avec enthousiasme en 1968.
Au cours des années précédentes, l'ouverture de Lester B. Pearson avait favorisé plusieurs des initiatives du gouvernement Lesage, notamment la création de la Régie des rentes et de la Caisse de dépôt. Tout en essayant de l'encadrer le plus étroitement possible, Ottawa avait également laissé le Québec faire ses premiers pas sur la scène internationale, notamment en France, puis en Afrique francophone.
Trudeau mit fin à tout cela. Finis les transferts de points d'impôt qui permettaient au Québec de s'éloigner du modèle canadien. Le ministère des Affaires étrangères lança également une contre-offensive de plus en plus vigoureuse sur le plan des relations internationales.
En 1963, la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme avait reçu le mandat d'examiner «les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d'après le principe de l'égalité entre les peuples qui l'ont fondée». Inutile de dire qu'aucune des initiatives constitutionnelles que Trudeau a lancées par la suite ne reposait sur ce principe. Elles en étaient même la négation, et ce refus de la différence québécoise fait maintenant partie du credo canadien.
Dix ans après sa mort, on peut toujours lui souhaiter de reposer en paix, mais c'est tout.


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