Texte publié dans Le Devoir du vendredi 22 octobre 2010 sous le titre "Qu'est-il arrivé aux prisonniers d'Octobre 70 ?"
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Journaliste à la station de radio CKAC lors de la Crise d’octobre, l’auteur a écrit un ouvrage de référence intitulé FLQ Histoire d’un mouvement clandestin, publié aux Éditions Québec-Amérique en 1982 et réédité chez Lanctôt Éditeur en 1998.
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Le Devoir et La Presse ont publié le 19 octobre, en page éditoriale, un texte de M. Bernard Amyot qui contient des affirmations fausses et même diffamatoires à l'égard de la grande majorité des quelque 500 personnes arrêtées et emprisonnées, arbitrairement et injustement, lors de la Crise d’octobre 1970.
M. Amyot écrit : «Sur les 497 individus appréhendés au total (et honorés sur le monument de la SSJB), seules 103 personnes ont été incarcérées injustement pendant cette période. Les 394 autres avaient d’une façon ou d’une autre appuyé, publiquement ou par leurs gestes, les fins violentes du FLQ de faire une révolution marxiste et sécessionniste et de renverser le gouvernement démocratiquement élu du premier ministre Bourassa».
Plus encore, faisant complètement fi de la vérité, M. Amyot écrit que «c’est la conclusion à laquelle en est venu le Protecteur du Citoyen du Québec».
Le Protecteur du Citoyen, Me Louis Marceau, a remis son rapport au ministre québécois de la Justice, M. Jérôme Choquette, en mars 1971. Dans ce rapport, Me Marceau indique qu’il a reçu, au total, 171 plaintes reliées à la rafle policière effectuée en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, proclamée par le gouvernement du Canada dans la nuit du 16 octobre 1970. Il recommande au gouvernement du Québec d’indemniser 103 de ces personnes qui ont porté plainte. Il précise que plusieurs plaintes, soumises par des citoyens qui n’ont pas été emprisonnés, «portent sur la mise en cause de la Loi sur les mesures de guerre». Il conclut à ce sujet : «Il s’agit de personnes qui contestent la validité de la loi. Or, cela ne me regarde pas, mais regarde les tribunaux».
435 personnes libérées sans accusation
Ce qu’omet surtout de dire M. Amyot – qui reprend dans son texte des faussetés contenues dans le livre publié par l’ancien ministre québécois William Tetley -, c’est que sur les 497 personnes emprisonnées lors de la Crise d’octobre, 435 ont été libérées sans qu’aucune accusation n’ait été portée contre elles. Cela représente 87,5% des personnes emprisonnées, dont beaucoup ont fait jusqu’à 21 jours de prison avant d’être remises en liberté.
Sur les 62 personnes accusées, 44 ont été acquittées ou ont profité d’une ordonnance générale de nolle prosequi. Celle-ci a bénéficié à 36 personnes accusées, en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, d’appartenance au FLQ et de «conspiration séditieuse en vue de renverser le gouvernement du Canada par la force». Ces accusations ont été retirées près de dix mois plus tard, à la suite d’un verdict d’acquittement rendu par le jury dans une cause-type intentée contre Charles Gagnon et Jacques Larue-Langlois. Ce verdict, rendu par de simples citoyens, a été une cinglante rebuffade pour tous ceux qui avaient présenté cinq des inculpés comme les «chefs» de la présumée «insurrection appréhendée» d’octobre 1970. Ces «chefs » présumés étaient le syndicaliste Michel Chartrand, l’avocat Robert Lemieux, le journaliste Jacques Larue-Langlois, ainsi que Pierre Vallières et Charles Gagnon, les leaders du FLQ en 1965-1966. Malgré ce verdict d’acquittement, la théorie d’un grand complot du FLQ avait eu, entre-temps, son effet de choc sur l’opinion publique.
18 personnes condamnées
Finalement,18 personnes ont été condamnées à la suite de la Crise d’octobre, soit 3,6% des personnes emprisonnées. Treize d’entre elles étaient effectivement des membres du FLQ, accusés de complicité avec les ravisseurs de MM. Pierre Laporte et James Cross. Elles ont été condamnées à des peines d’emprisonnement de deux ans et moins, sauf pour le militant indépendantiste bien connu Michel Viger. Celui-ci a écopé d’une peine de 8 ans de prison pour avoir abrité dans sa maison de campagne à Saint-Luc trois des ravisseurs de M. Laporte, dont celui qui était responsable du meurtre non prémédité mais absolument odieux du ministre.
Les 5 autres personnes condamnées l’ont été pour avoir affirmé, verbalement, ou par écrit, leur soutien au FLQ, une organisation déclarée illégale en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Parmi elles, on découvre avec étonnement un professeur de musique d’une école de Granby, qui a même plaidé coupable.
La question reste donc posée : pour en arriver là, était-il nécessaire de promulguer la Loi sur les mesures de guerre ?
Oui, sans aucun doute, pour tenter de casser le mouvement de libération nationale des Québécois et pour «remettre le Québec à sa place», comme l'a si bien dit le leader du Parti Québécois, René Lévesque.
Malgré tout, six ans plus tard, le PQ était élu dans la ferveur et l'espoir. Et il poursuit toujours aujourd’hui, avec patience et courage, la longue bataille pour faire du Québec un pays.
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