Cet article se veut un complément à mon article « Mais qu’est-ce qu’un bien collectif? » paru le 27 novembre sur le site de Vigile (Note 1).
Scott Russell Sanders (2006) a adopté la notion de biens communs comme notion de richesse « Nous avons besoin d'une histoire qui mesure la richesse non pas par la quantité de biens ou d'argent dans des mains privées, mais par l’état des biens communs » et j’ajoute que nous léguerons aux générations futures.
Les travaux Mme Elinor Ostrom (Note 2), Prix Nobel sur la propriété commune, ont commencé dans les années 1960. Ses études ont montré que « les gens ordinaires sont capables de créer des règles et des institutions qui permettent la gestion durable et équitable des ressources partagées, et que les ressources détenues en communauté peuvent réduire les risques sur utilisation, ou de sous-investissement, et permettre ainsi la durabilité».
De plus en plus, et enfin, nous parlons de biens communs ou collectifs, de leur propriété, du droit à leur usufruit, du « qui doit payer» pour leur réalisation, pour leur gestion & leur entretien, leur durabilité, leur valeur.... Il nous semble évident, par exemple, que les ressources naturelles, les infrastructures traditionnels sont des biens communs. Certains commencent à inclure la culture comme bien commun. Mais qu’elle la portée de ce concept, où commence et s’arrête la liste de ce type de bien?
Bien qu’ils existent quelques écrits sur les biens communs, que les réflexions se sont approfondies au cours des 20 dernières années et que l’intérêt s’est récemment accentué, il n’y pas encore de définitions, de critères communément reconnus par nos iinstitutions, de conscientisation de masse des citoyens pour qu’il y est un début de considération dans établissement des grandes orientations de notre communauté.
Pour la plupart d’entre nous le sujet est vague, mais ressentons qu’il est porteur d’une réflexion profonde avec des conséquences fondamentales, des débats et des remises en question que, inconsciemment, soyons bon joueur, nous tardons à mettre sur la table. Elle fait peur. Si la liste des biens communs s’allonge, celle des biens privés rétrécit. Les payeurs et bénéficiaires changent. Le concept de droit à la propriété, la souveraineté absolue d’un pays sont directement défiés. Pour l’instant le sujet est évité, et les décisions de nos institutions sont bousculées par l’urgence d’agir & dictées par le Dieu PIB (Note 3) encouragées par le puissant lobbying du secteur privé.
Le but de cette note est de susciter votre intérêt sur la question des biens communs. Pour ce faire j’ai extrait, de l’article de Mme Charlotte Hess de l’Université de Syracuse intitulé « Mapping the New Commons » (Note 4), les faits qui m’apparaissent saillants. L’article a été présenté au « Governing Shared Resources: Connecting Local Experience to Global Challenges;” the 12th Biennial Conference of the International Association for the Study of the Commons (IASC) (note 5), University of Gloucestershire, Cheltenham, England» en juillet 2008.
Les 3 buts de l’article de Mme Hess sont:
1) d'identifier les biens communs par secteurs et sous-secteurs d’une communauté;
2) recenser les différents « points d’entrées » que les chercheurs proposent pour classifier un bien comme commun. Un point d’entrée est un déclencheur qui nous fait réaliser qu’une ressource est un bien commun.
3) de proposer des éléments de définition porteuse et durable d’un bien commun.
Les points d’entrées.
Mme Hess propose 6 points d’entrées qui conduisent à la désignation d'une ressource de bien commun:
1) la nécessité de protéger une ressource partagée de la privatisation, de la dérèglementation, de la commercialisation, la raréfaction par la surconsommation… (les ressources naturelles traditionnelles);
2) l’observation d’une utilisation massive d’une ressource, d’un système ayant un libre accès, quand personne n'utilise les droits exclusifs reliés à l’effort d’organiser ladite ressource pour capturer sa valeur, et où la coopération est assurée par des mécanismes sociaux autres que les signaux de prix ou des directives de gestion. Ce point d’entré est particulièrement présent sur l’internet. (le dictionnaire Wikipédia, YouTube, différents site web, les logiciels libres, les bibliothèques numériques…);
3) les tragédies avec des conséquences sur une ressource qui nous font réaliser qu’elle est un bien commun. Les gens peuvent et souvent agissent pour le bien commun ou pour le bien de la ressource. Mais la métaphore s’applique aussi avec les menaces de la non-réglementation ou dérèglementation d’un bien commun en libre accès (les routes, les chemins de fer, les voies navigables, l'application du système de la justice, la fourniture des soins de santé, les politiques sur les drogues, sur la cigarette, exemple de la tragédie du lac Mégantic et la dérèglementation du réseau ferroviaire, la dérèglementation du système bancaire américain et la crise financière de 2008. Dans l’exemple du Lac Mégantic, la règlementation est un bien commun & non bien qui doit être laissé au privé comme cela a été le cas avec les compagnies de chemin de fer lorsque nos gouvernements ont donné la responsabilité de s’auto règlementer. Même constat sur la déréglementation du système bancaire américain. Dans le cas de la dérèglementation du système bancaire, le gouvernement américain s’est fié à la théorie que les marchés financiers s’auto règlementent. Bien entendu ses dérèglementations sont souvent le fruit du lobbying du secteur privé.
4) la volonté d’inclure dans les programmes d’éducation des éléments à propre, unique à une communauté afin de créer un environnement qui fonctionne pour tous ses membres. Souvent ces dimensions civiques ont été érodées au cours des dernières décennies. Elles survivent ici et là par un puissant attachement. (l’histoire, la culture, l’art, la langue, des droits & libertés, les valeurs…. La loi 101 est un bel exemple.
5) l'identification de nouveaux biens communs provenant de biens communs traditionnels ou de leurs évolutions. Les nouveaux arrangements institutionnels, les nouvelles règlementations sur des biens communs traditionnels, les lois, les ententes entre pays qui portent sur des biens communs traditionnels comme les forêts, les pâturages, la faune, les routes, les ponts, les aéroports, les ports. Par exemple la règlementation pour assurer la fluidité du trafic, la sécurité dans les aéroports, le bruit, la qualité de l’air, l’entente de Kyoto, la réduction des armes nucléaires…
6) Une plus grande compréhension et conscientisation du concept de bien commun nous fait découvrir de nouveaux biens communs. Un parc central comme le parc Laurier, le Parc du Mont-Tremblant, un refuge, une plage sur le fleuve Saint-Laurent, un endroit de recueillement que n'importe qui peut utiliser…l’atmosphère, la biodiversité, la stratosphère, la couche d’ozone…
Par la suite elle propose différents éléments qui pourraient entrer dans une définition de biens communs.
1) Collaboration et la coopération dynamique sur certains aspects de la vie dans un quartier (les pistes cyclables sur le Plateau Mont-Royal, les écoles pré maternelles, les parcs, la gestion des bateaux à moteur sur les lacs par les associations de propriétaires riverains et les citoyens de la municipalité, les accès public aux lacs, les arbres, les jardins communautaires…);
2) un aspect global, à grande échelle qui préoccupe de plus en plus les communautés (la pollution, la couche d’ozone, la santé de sa communauté….);
3) une responsabilité qui va au-delà de notre propre arrière-cour, de notre province, notre pays;
4) l'impact des décisions actuelles sur les générations futures;
5) la conservation, la durabilité la gestion efficace d’une ressource. La réalisation qu’une ressource est limitée & peut s’épuiser;
6) l'équité est souvent un facteur important dans l’identification d’un bien commun. L’accès à un lac par le grand public souvent très limité par les propriétaires riverains;
7) Les utilisateurs des ressources sont conscients de leur impact sur les ressources en question;
8) Contrairement à certains biens publics, les biens communs sont vulnérables à empiètement, la privatisation, la commercialisation, à la sur utilisation, la sur consommation, la rareté, la dégradation. Par exemple la pêche commerciale à grand déploiement, la sécurité routière, le trafic et le temps de déplacement, l’accessibilité…
9) La ressource est vulnérable à empiètement, la privatisation, la commercialisation, à la sur utilisation, la surconsommation, la rareté, la dégradation. Par exemple la pêche au filet, la sécurité routière, le trafic et le temps de déplacement, l’accessibilité… ;
10) Des règlementations appropriées sont nécessaires pour gouverner la ressource.
Identification et classification des biens communs par secteurs et sous-secteurs d’une communauté.
Mme Hess propose 8 grands secteurs de biens communs et sous-secteurs suivants :
1) Les communs culturels :
a) La mode;
b) Les cultures des Premières Nations;
c) La langue;
d) Les organisations à but non lucratif;
e) Les arts publics;
f) Les musées;
g) L’architecture;
h) Les objets religieux sacrés;
i) Les sports (pour les québécois(se), la motoneige, le hockey);
j) Les attraits touristiques (le design du nouveau pont Champlain);
k) Le mouvement coopératif;
l) Ect..
2) Les communs de quartier :
a) Les sans-abris;
b) Les refuges, missions pour les plus démunis;
c) Les associations de copropriétaires, de commerçants;
d) Les jardins communautaires;
e) La sécurité;
f) Les trottoirs, les pistes cyclables, les parcs, les stationnements;
g) Les rues;
h) Les arbres;
i) La tranquillité, le bruit;
j) Etc..
3) Les infrastructures communes :
a) Le transport : Aéroports, les ports, le fleuve, les routes, les chemins de fer :
(1) Congestion;
(2) La gratuité d’accès ou le péage;
(3) Les naufrages
(4) La sécurité, la vitesse;
(5) Les stationnements;
(6) La règlementation
(7) Ect.
b) Infrastructure internet;
c) Le sans-fil;
d) Radio publique;
e) Communication de masse;
f) Capacité des réseaux d’aqueduc, d’égout, transport d’énergie;
g) Le Spectrum électromagnétique;
h) Etc.
4) Les connaissances communes: :
a) L’accès;
b) Éducation :
i) Au primaire, secondaire;
ii) Accès aux études supérieures;
(1) Les professeurs, les techniciens, les bibliothécaires, les administrateurs et d'autres professionnels qui aident à créer la connaissance et son accessibilité;
c) Les établissements qui conservent les ressources (bibliothèques, archives, bases de données, etc.), leur accessibilité;
d) La législation permettant l’accès à l’information; une législation défaillante érodée son l'utilisation;
e) La capacité de l'Internet à construire et partager des informations, des communes;
f) La connaissance est un patrimoine mondial en termes de disposition, d’accès, et les dilemmes des droits de propriété intellectuelle;
g) Les lois sur droits de propriétés intellectuelles;
h) Les découvertes médicales et le dilemme des droits de propriété intellectuelle ralentissent les découvertes par le non-partage des découvertes;
(1) Le bien commun de la science comprend la science ouverte, le partage des découvertes;
(2) L’ouverture de la science;
i) L’internet :
i) L’infrastructure;
ii) Le réseau WiFi;
iii) Les sites web communs;
iv) Le mouvement open source, notamment Free / libre Open Source Software (FOSS);
j) Le patrimoine génétique mondial;
k) La collaboration de masse entre les utilisateurs des réseaux en ligne;
l) Etc.
5) Les médicaux et sanitaires communs:
a) La résistance aux virus;
b) Les budgets alloués à la santé;
c) L’accessibilité au soin de la santé (accessibilité à un médecin par famille);
d) Les hôpitaux, ses médecins, infirmières, personnel de soutien, les administrations.;
e) La réglementation sur les tâches entre médecins, infirmières;
f) Les programmes de formation du personnel médical;
g) Les budgets alloués à la recherche;
h) Les lois sur brevets;
i) Certains suggèrent un système de licences ouvertes pour accélérer la recherche et les découvertes médicales.
i) Etc.
6) Communs de marché:
a) Le capitalisme version 2.0. La principale différence entre la version 2.0 et 1.0 est l'inclusion des biens communs. Au lieu d'avoir un seul dominant, l'entreprise privée, le système amélioré porterait sur deux axes, la recherche du profit & l'autre, sur la préservation et l'amélioration de la richesse commune , par exemple une expansion des coopératives;
b) Les coopératives;
c) Etc.
7) Les biens communs traditionnels:
a) Agriculture;
b) Les inventaires de poissons;
c) Les forêts;
d) La faune, la flore;
e) Aménagement du territoire;
f) Villages, villes, organisations sociales;
g) L’eau
8) Les biens communs globaux:
a) L’Antarctique;
b) L’atmosphère;
c) Biodiversité;
d) Le fond profond des océans;
e) Le Spectrum électromagnétique;
f) La sécurité alimentaire;
g) Le réchauffement climatique;
h) L’espace;
i) La pollution;
j) Les déchets;
k) Les rivières qui traversent plusieurs territoires, villes, provinces, pays;
l) La pénurie d’eau;
m) La connaissance;
n) La santé publique;
o) La menace nucléaire;
p) Le terrorisme;
q) Les systèmes financiers et leurs réglementations, les abris fiscaux;
r) La reconnaissance et l’application des droits & libertés internationaux;
s) Le respect et la tolérance entre les différentes cultures;
t) Etc..
Je ne peux terminer sans utiliser le concept de bien commun au dossier du pont Champlain et la discussion sur le péage. Dans l’optique que le pont Champlain est un bien public, l’option de péage peut trouver une logique. Dans un concept de bien commun, posons-nous la question, quel est le ou les biens communs relié(s) au pont Champlain? Nous retrouvons la sécurité, l’accessibilité aux travailleurs & touristes, un temps de déplacement acceptable, une fluidité, des considérations touristques par son design…Si nous sommes d’accord que ces biens sont communs, la deuxième question s’invite d’elle-même, qui est le commun? Est-ce l’utilisateur (par le péage) ou la communauté du Québec? À discuter entre nous!
Le concept de bien commun est vaste et porteur d’une révolution planétaire sur des bases durables & régénératrices. Il est l’agent contaminant. L’internet est le véhicule de contamination et nous, nous sommes les agents de prolifération.
Imaginons un instant que les citoyen(ne)s canadien(ne)s, américain(ne)s et autres citoyen(ne)s du monde, des gens ordinaires comme disait Mme Ostrom déposent une réclamation auprès du Japon, de ses dirigeants, de l’entreprise responsable, de l’ONU pour les impacts sur les biens communs du désastre nucléaire de Fukushima.
Le Québec a souvent fait preuve de pensée progressiste. Voilà une occasion de le démontrer à nouveau. Nous avons un déjà un mécanisme de gestion de bien commun « made in Québec » le mouvement coopératif. Il faut simplement l’étendre.
Mais au préalable il faut débattre, respectueusement, ouvertement du concept de bien commun. En passant, selon vous lequel des partis politiques du Québec est le plus sensible aux biens communs?
J’invite donc les Québécoises et les Québécois à solliciter ce débat.
Michel Aubin
Cultivateur
Twitter: 4is maubin1
Facebook: http://www.facebook.com/michel.aubin.90
Note 1 : http://www.vigile.net/Mais-qu-est-ce-qu-un-bien.
Note 2 : née le 7 août 1933 à Los Angeles1 et morte le 12 juin 2012 à Bloomington dans l'Indiana, elle est une économiste et politologue américaine. En octobre 2009, elle est la première femme à recevoir le « prix Nobel » d'économie, avec Oliver Williamson, « pour son analyse de la gouvernance économique, et en particulier, des biens communs.
Note 3 :Référence à mon article Le PIB, cause d’aveuglement économique http://www.vigile.net/Le-PIB-cause-d-aveuglement.
Note 4: Vous trouverez l’intégrale de l’article à l’adresse suivante: http://surface.syr.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1023&context=sul. Bien que l’article soit en anglais, l’outil de traduction fourni par Google facilite sa compréhension.
Note 5 : Pour information sur IASC, visiter le site http://iasc2008.glos.ac.uk/iasc08.html
Le bien commun
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
9 décembre 2013Le bien commun est plus difficile à promouvoir dans une société du chacun pour soi et du "au plus fort la poche" telle que conçue par le Système.
Le plus gros problème, c'est que lors des élections, les gens votent strictement selon leurs intérêts personnels (défense de leurs acquis, défense de leur statut social).
Donc, il est presqu'impossible que se retrouve au pouvoir un parti politique dont le bien commun serait l'objectif.