L'anthropologie du terroir

Il n'y a pas eu de vague de fond de l'ADQ. Il n'y a pas non plus, au Québec, une véritable montée d'une droite. Et surtout, l'adéquiste typique n'existe pas.

ADQ - De l'identité à l'autonomisme - La souveraineté confuse



Les penseurs de l'élite urbaine, estomaqués par une montée de l'ADQ qu'ils n'avaient pas vu venir, se sont transformés en anthropologues du terroir pour mieux comprendre le message du Québec profond. On essaie donc de donner un sens à la vague de fond qui a déferlé sur le Québec, d'analyser le phénomène de la montée de la droite, on veut donner un visage à l'adéquiste typique, ce mystérieux homo adequs.
Les réponses à ces questions sont très simples. Il n'y a pas eu de vague de fond de l'ADQ. Il n'y a pas non plus, au Québec, une véritable montée d'une droite. Et surtout, l'adéquiste typique n'existe pas.
On ne peut pas parler de raz-de-marée quand un parti recueille 30,8% des voix. Il s'agit là d'un progrès significatif pour un parti qui comptait sur 20% des appuis. Et l'arrivée de ce troisième joueur bouscule le statu quo. Il n'en reste pas moins que 31%, c'est une grosse vague, mais pas une vague de fond.
En fait, les résultats électoraux de l'ADQ représentent moins une grosse vague qu'une convergence d'une multitude de petites vagues, qui correspondent à des mouvements de l'électorat très divers et parfois disparates. Il faut donc voir l'ADQ comme une mosaïque, dont les composantes sont extrêmement variées et où se côtoient du conservatisme et, mais aussi, des éléments de modernité.
Le succès de l'ADQ repose sur la convergence de plusieurs phénomènes. D'abord et avant tout, le rejet du gouvernement Charest. Plus largement, le désenchantement face à la politique traditionnelle, qui a pris des formes très diverses: le populisme avec sa méfiance paranoïaque des élites, un rejet du discours constitutionnel classique et l'attrait de l'autonomie, ou plus simplement le désir des citoyens d'entendre parler de choses qui les touchent. D'autres courants ont renforcé l'ADQ, comme le ressentiment des régions, la peur du changement, notamment face à l'immigration, mais aussi, paradoxalement, le désir de changement. Le tour de force de Mario Dumont a été de donner une voix à toutes ces tendances et à les fédérer, entre autres parce qu'il est un caméléon politique, dans lequel chacun voit ce qu'il veut y voir.
Peut-on y voir une montée de la droite? Moins qu'on le pense. D'une part, parce que la droite ne monte pas; elle était déjà là. Ce qui est nouveau, c'est qu'elle réussisse à s'exprimer. Les deux vieux partis sont des coalitions autour de thèses constitutionnelles, qui muselaient leurs éléments conservateurs. La montée de l'ADQ, en mettant fin à la domination du PQ et du PLQ, libère ces voix.
Par ailleurs, il faut s'entendre sur ce qu'on veut dire par droite. Il faudrait plutôt parler des droites qui se reconnaissent dans l'ADQ. D'abord le conservatisme fiscal, avec sa préoccupation pour l'économie, une prudence avec les fonds publics, la priorité d'enjeux comme la réduction de la dette, que l'on retrouve chez les adéquistes, mais aussi chez les libéraux ou dans le PQ de Lucien Bouchard ou d'André Boisclair. Ensuite, une droite sociale, qu'incarne à sa façon Mario Dumont, avec les thèmes de la liberté de choix, les valeurs individuelles, la famille, la sécurité. Mais aussi, une présence, plus marginale, d'une droite réactionnaire, qui s'est montrée autour de la révolte de Hérouxville.
Ces courants sont temporisés par l'élan qui porte l'ADQ, sa jeunesse, le désir de changement et de renouveau qu'il incarne, sa capacité de s'attaquer à des dogmes poussiéreux et de représenter des réalités contemporaines, comme le travail atypique ou la culture de la nouvelle économie. Ce parti est aussi porteur de modernité.
Le résultat, quand on analyse bien l'ADQ, c'est un discours modéré, assez proche du centre. On est très loin de la droite républicaine aux États-Unis, du conservatisme de Stephen Harper, et à plus forte raison du Front national français. En outre, l'ADQ est encore un parti en devenir, dont le succès est récent, et qui n'a pas encore intégré les courants qui l'ont alimenté, et donc la doctrine n'est pas vraiment fixée. L'ADQ va continuer à évoluer, ne serait-ce que pour poursuivre sa progression et surtout percer le bastion montréalais.
Et voilà aussi pourquoi il n'y a pas d'adéquiste typique. Ce peut être un électeur rural, plus âgé, qui retrouve son Union nationale. Des gens que le changement inquiète, comme à Hérouxville. Des jeunes X, nihilistes post-modernes, qui écoutent à CHOI-FM de longues conversations sur les vertus de l'épilation pubienne. Mais aussi des familles de banlieues, y compris dans la grande région montréalaise, qui veulent qu'on s'occupe de leurs problèmes. Ou encore des dirigeants de PME techno qui veulent que ça bouge.


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