-- Pourquoi cette montée de l'antiaméricanisme?
L'antiaméricanisme a toujours existé, mais il s'est accentué après l'invasion de l'Irak en 2003 et il est resté à peu près au même niveau depuis.
-- Est-il plus fort que pendant la guerre du Vietnam?
Il était très fort en Europe et en Amérique latine pendant la guerre du Vietnam, mais assez insignifiant au Moyen-Orient à la même époque. Jamais l'antiaméricanisme n'a été aussi global qu'aujourd'hui. La fin de la guerre froide a été l'un des facteurs aggravants, car jusqu'à la chute de l'Union soviétique, il y avait toujours une autre superpuissance à blâmer.
-- Cette hostilité généralisée inquiète-t-elle les États-Unis?
Bien sûr. Il y a beaucoup de débats à ce propos. L'antiaméricanisme affaiblit les États-Unis, car il diminue son «pouvoir mou», c'est-à-dire sa capacité de convaincre. On ne peut persuader un interlocuteur que s'il est convaincu qu'il y va aussi de son propre intérêt. L'Amérique doit revenir à des gestes politiques éclairés, comme autrefois le plan Marshall, qui sont dans notre intérêt et celui d'autres pays. Washington pourrait par exemple lancer une initiative forte sur le réchauffement climatique.
-- Que fait l'administration Bush pour contrer la défiance qu'elle suscite?
Elle souhaite améliorer l'image du pays en se montrant plus consensuelle. Mais la Maison-Blanche pense essentiellement que ces démonstrations d'hostilité sont éphémères. Elle fait le parallèle avec le début des années 80. Il y avait alors d'énormes manifestations en Europe contre le déploiement de missiles Pershing, mais la ligne dure de Ronald Reagan a été correcte puisque l'Empire soviétique s'est effondré. De la même manière, Bush est toujours persuadé que l'accent mis sur la démocratie et la liberté dans le monde musulman sera, au final, perçu comme la bonne réponse aux attentats du 11 septembre 2001.
-- La puissance américaine décline-t-elle?
Il ne fait aucun doute que les États-Unis sont relativement moins puissants qu'ils ne l'étaient en 2001. Leur prestige et leur réputation ont diminué. Par ailleurs, la puissance militaire américaine, si elle demeure indiscutable dans le domaine de la guerre conventionnelle, s'est révélée incapable d'apporter la stabilité à l'Irak, car elle est confrontée à une guérilla. L'Amérique connaît aussi un déclin simplement en raison de la montée en puissance, sur le long terme, de l'Inde et de la Chine.
-- La suprématie des années 1990 était-elle une exception?
C'était une sorte d'aberration historique. L'Empire soviétique venait de s'effondrer, le Japon et l'Allemagne étaient en récession, tandis que l'Inde et la Chine amorçaient à peine leur essor. Les États-Unis étaient forts car presque toutes les grandes puissances étaient faibles. Cette situation inhabituelle est maintenant en train de se normaliser.
-- Les Américains considèrent-ils que leur pays est en déclin?
L'Amérique se croit cycliquement en déclin tous les 20 ans environ. À la fin des années 50, après le lancement de Spoutnik par les Soviétiques; dans les années 70, après la guerre du Vietnam et l'embargo pétrolier; puis à nouveau dans les années 80, alors que les économies japonaises et allemandes paraissaient en bien meilleure forme que celle des États-Unis. L'Amérique a toujours, jusqu'alors, réussi à se régénérer.
-- Y parviendra-t-elle de nouveau?
Les pessimistes pointent le fait que le système d'éducation est problématique, car avec la mondialisation, de plus en plus de tâches actuellement accomplies par des travailleurs américains pourront être remplies plus tard par des travailleurs éduqués chinois et indiens. Par ailleurs, le système politique est malade, notamment en raison de l'influence excessive de l'argent. Les optimistes disent que les États-Unis tireront parti de la mondialisation pour attirer de partout des talents innovateurs, qui se sentiront si bien en Amérique qu'ils s'y installeront et se considéreront américains. La capacité qu'ont les États-Unis d'être une société multiculturelle est son meilleur atout dans un monde «globalisé».
-- L'Amérique de Bush est-elle impérialiste?
Pas dans le sens traditionnel du mot. Mais l'administration Bush a oublié les leçons [des présidents] Franklin Roosevelt et Harry Truman, qui consultaient toujours les nations plus faibles avant d'agir. En se comportant ainsi, les États-Unis n'apparaissaient pas comme impériales, et c'est là, paradoxalement, une grande source de force.
Propos recueillis par Philippe Grangereau
« L'antiaméricanisme a toujours existé »
Peter Beinart, expert de politique étrangère du Council on Foreign Relations, un centre de réflexion indépendant basé à Washington, analyse les doutes de la superpuissance.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé