L'«autoforgerie»

L'amateurisme qui caractérise cette commission depuis le début devient de plus en plus gênant.

Commission Bastarache



Ce n'est pas d'hier qu'on a recours aux experts en écriture pour vérifier ou invalider un témoignage. C'est sur la seule base d'une expertise graphologique que le capitaine Alfred Dreyfus avait été déclaré coupable de haute trahison, alors qu'il était parfaitement innocent.
En 1894, une espionne française travestie en femme de ménage avait découvert, dans une corbeille à papiers de l'ambassade de l'Allemagne à Paris, un bordereau qui contenait des renseignements hautement confidentiels de l'armée française. Une ressemblance avait été établie entre l'écriture apparaissant sur le bordereau et celle du jeune capitaine de l'état-major.
Certaines différences entre les deux écritures divisaient toutefois les experts. Pour obtenir la condamnation souhaitée, le tribunal militaire avait conclu à un crime défini comme de l'«autoforgerie». Pour brouiller les pistes, ce coquin de Dreyfus aurait falsifié sa propre écriture! Comme le soutenaient ses défenseurs, cette thèse était de la pure foutaise, mais il a fallu des années et toute la combativité de Zola pour faire enfin éclater la vérité.
Marc Bellemare ne risque pas d'être condamné au bagne et expédié à l'île du Diable, comme ce pauvre Dreyfus, qui ne s'en est jamais remis, mais il n'en joue pas moins sa réputation dans cette histoire.
En retenant les services d'un expert en analyse et datation de l'encre à l'Agence des services frontaliers du Canada, Luc Brazeau, la commission Bastarache a manifestement voulu refaire le coup de l'«autoforgerie», mais elle s'est plutôt «autopeluredebananisée», comme dirait Jacques Parizeau.
Pour minimiser les effets de ce coup d'épée dans l'eau, le contenu de son témoignage a fait l'objet d'une fuite préventive dans La Presse. L'amateurisme qui caractérise cette commission depuis le début devient de plus en plus gênant.
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Bien sûr, si l'ancien ministre de la Justice avait «actualisé» ses notes du printemps 2004 au cours des derniers mois, on aurait pu en conclure que toutes ses allégations n'étaient que pure fabulation. Cela demeure possible, mais à partir du moment où la commission savait que l'analyse de son «carton» n'autorisait aucune conclusion, pourquoi cette mise en scène?
Le porte-parole de la commission, Guy Versailles, disait mardi que M. Bellemare allait devoir «réconcilier» ses déclarations antérieures avec les résultats de cette expertise. Que va-t-on lui demander ce matin quand il reviendra témoigner? Combien de stylos bleus à luminescence variable possède-t-il?
Alors que les travaux de la commission ont pris un sérieux retard, on aurait dû le décommander, mais lui-même ne voudra sans doute pas manquer une si belle occasion de dire sa façon de penser à ses accusateurs.
Manque de pot, l'expert invité n'était pas un homme curieux. Il s'est en tenu strictement à une analyse chimique des trois encres utilisées, sans même prendre la peine de lire la version non caviardée du fameux carton, qu'il est un des très rares à avoir vue.
La procureure du gouvernement aurait bien voulu savoir si les initiales F. F. (pour Franco Fava) ou C. R. (pour Charles Rondeau) n'apparaissaient pas ailleurs dans le texte, mais cela n'intéressait manifestement pas M. Brazeau, qui n'avait pas davantage pris connaissance du témoignage de l'ancien ministre.
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Le juge Bastarache aura beau répéter que M. Bellemare n'est pas un accusé, mais simplement un témoin et un «participant» aux travaux de la commission, ce dernier épisode ne fera rien pour rassurer ceux qui croient que M. Bellemare est victime d'un complot orchestré par le bureau du premier ministre Charest.
Il est vrai que ceux qui l'ont côtoyé durant son bref passage au ministère de la Justice l'ont contredit sur plusieurs points et qu'aucun d'entre eux n'avait entendu parler de «l'influence indue» des collecteurs de fonds du PLQ.
On peut prendre la parole de ses deux anciens sous-ministres, Michel Bouchard et Louis Dionne, quand ils critiquent les méthodes brouillonnes et le comportement brutal de M. Bellemare, qui n'avait manifestement ni le jugement, ni la compétence nécessaires pour gérer ce ministère.
Ils sont cependant les premiers à reconnaître qu'ils réduisaient au plus strict nécessaire leurs contacts avec le ministre, qui leur avait clairement signifié son déplaisir de devoir travailler avec eux. Que M. Bellemare ne se soit pas confié à des hommes qui lui avaient été imposés par le bureau du premier ministre n'a rien de très étonnant.
En revanche, il a dit avoir informé son chef de cabinet et son attaché de presse au sujet des pressions dont il était l'objet. Pourtant, le personnel politique, qui ne jouit d'aucune sécurité d'emploi, est bien plus inféodé au bureau du premier ministre que la haute fonction publique.
Après la démission de M. Bellemare, son attaché de presse, Jacques Tétrault, a d'ailleurs été embauché au bureau de M. Charest. Le procureur de M. Bellemare l'a ni plus ni moins accusé de s'être parjuré en déclarant n'avoir jamais été mis au courant des pressions exercées sur son patron. Rien ne prouve que ce soit le cas, mais, à voir ce qui se passe à la commission, on en arrive à croire n'importe quoi. Ou à ne plus rien croire.


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