L'écrivain a tout faux

Par Annick Germain

Accommodements raisonnables et immigration


L'écrivain Jacques Godbout publiait, mardi 3 avril, dans les pages du Devoir un article au titre évocateur: [«Le multiculturalisme est une politique généreuse devenue discriminatoire»->5791].
Au banc des accusés, le prosélytisme religieux et les médias. Le remède est simple: achevons la déconfessionnalisation entreprise avec la Révolution tranquille, reléguons la religion au domaine privé et adoptons une loi 102 proclamant la laïcité de l'État, nous dit Jacques Godbout. Le diagnostic est un peu court: il fait l'impasse sur tout ce qui s'est passé depuis 20 ans et ouvre la voie à un prosélytisme nouveau genre, celui d'une génération qui refuse de reconnaître le retour du religieux et nous sert une morale simpliste.
Car le problème est bien là, en ce début de XXIe siècle. Le monde est devenu très complexe et les médias ne cessent d'introduire dans nos vies (à notre demande d'ailleurs) des réalités virtuelles qu'il est parfois difficile de gérer. Globalité oblige, notre quotidien est en effet fait de la diversité culturelle que nous côtoyons dans la rue et dans le métro, mais aussi de celle à laquelle nous expose la télévision (en nous montrant par exemple quotidiennement des femmes entièrement voilées partout dans le monde).
Multiculturalisme
Mais revenons au multiculturalisme, cet épouvantail à moineau trop facile à agiter pour conquérir un auditoire, et au prosélytisme religieux. À ce propos, je suis étonnée d'apprendre que les juifs hassidiques tentent de nous convertir. Serait-ce le cas aussi des Sikhs? Ces groupes font-ils des demandes pour leurs communautés ou tentent-ils vraiment de nous gagner à leur cause? Bref, s'agit-il vraiment de prosélytisme?
Il est trop commode de tout mettre sur le dos du multiculturalisme sans même se donner la peine d'apprécier son évolution. Où sont les ghettos qu'il aurait engendrés? Je vois au contraire quantité de quartiers multiethniques.
Quelle force politique?
Quant aux grands gestes politiques souhaités par M. Godbout, sont-ils si simples à poser et sommes nous sûrs de leurs effets? Le cas français peut difficilement être proposé en modèle, me semble-t-il, tant sont différentes les conjonctures nationales et historiques de nos deux sociétés, et leur histoire de l'immigration n'a rien à voir avec la nôtre. Au fait, est-il si facile de tracer la ligne qui sépare les domaines privé et public ? Rappelons que la plupart des municipalités interdisent les lieux de culte dans les logements privés et que l'État exempte les lieux de culte de taxes foncières et scolaires. Les administrateurs municipaux sont bien placés pour savoir que tout cela n'est pas simple à gérer. On ne peut faire abstraction des dimensions collectives du religieux, y compris leurs expressions dans l'espace public, ni de toutes les actions communautaires qui y sont souvent associées.
Cela dit, si les médias sont parfois, il est vrai, un peu bavards sur certains faits divers (par exemple la saga des fenêtres givrées), ils sont parfois aussi trop silencieux sur d'autres réalités, tantôt emballantes, tantôt préoccupantes liées à l'immigration. Celle-ci représente pourtant une réalité incontournable, particulièrement à Montréal, il est vrai, où plus de 30 000 immigrants arrivent chaque année. Cela transforme une société! Sait-on que, sans eux, nos quartiers centraux auraient périclité, qu'ils sont plus scolarisés que les Canadiens de naissance, mais aussi que leurs difficultés d'insertion économique se sont dramatiquement accrues ces dernières années alors que la conjoncture économique continue de nous être favorable et qu'on nous prédit des pénuries de main-d'oeuvre?
Il devient indécent de voir l'opinion publique accorder autant d'importance à des faits divers, sans prendre au sérieux la question des droits des minorités et celle de leurs difficultés d'insertion économique. Peut-être faut-il s'interroger sur notre vision de l'immigration et de son rôle dans notre société.
Voilà pourquoi le regard de Jacques Godbout me semble au fond anachronique. Mais le cappuccino qu'il s'apprête à déguster sur la photo qui accompagne son article, a l'air bien bon...
Annick Germain, Professeur-chercheur titulaire, INRS-Urbanisation, Culture et Société


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