Qui serait prêt à renoncer à la monnaie unique?
_ Quels sont les scénarios de sa disparition?
_ Quels seraient les effets d'un éclatement?
«Don't do it.» Ne faites pas cela. Cela? La scission, le morcellement, voire l'éclatement de la zone euro. Le conseil vient de l'hebdomadaire britannique The Economist qui, dans son édition du 4 décembre, s'interroge sur l'avenir de la monnaie unique. «Démanteler l'euro n'est pas impensable, seulement très coûteux», avertit le magazine à l'adresse des dirigeants européens qui se réunissaient à Bruxelles, jeudi et vendredi, dans un climat toujours tendu.
Malgré les professions de foi en l'euro des responsables de la zone, l'idée fait son chemin parmi les économistes: certains États n'auraient-ils pas intérêt à retrouver le contrôle de leur politique monétaire en revenant à leur ancienne devise? La Grèce à la drachme, le Portugal à l'escudo, voire l'Allemagne au deutschemark...
Un pays membre de l'union monétaire est censé le rester pour toujours. Une sortie de l'euro n'est pas prévue par les traités. Pourtant, hormis les difficultés techniques, rien ne l'interdit absolument.
Scénario 1 : le départ d'un pays « périphérique »
Un peu d'économie-fiction. Nous som-mes à la fin de 2011. La Grèce, l'Irlande sont loin d'en avoir fini avec les plans d'austérité censés ramener leurs déficits colossaux dans les limites fixées par le traité de Maastricht. Tout retard pris dans leurs programmes d'ajustement est durement sanctionné par les marchés. L'équation est de plus en plus difficile à tenir: la rigueur pèse sur la croissance et ampute les recettes fiscales. Le chômage grimpe, le climat social est délétère.
À Athènes et à Dublin, la tentation est forte de quitter l'euro. L'objectif? Pouvoir à nouveau recourir à l'arme de la dévaluation afin de regagner en compétitivité, de doper les exportations, bref, de stimuler la croissance pour faciliter la réduction des déficits publics... Mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Cette stratégie comporte de graves dangers. Le premier est celui d'une panique bancaire. Aussitôt informés de l'abandon de l'euro pour leur ancienne monnaie, les déposants grecs et irlandais se hâteraient de retirer leurs avoirs des banques nationales. Celles-ci ne pourraient plus s'abreuver en liquidités auprès de la Banque centrale européenne (BCE), dont elles sont pourtant très dépendantes actuellement.
Autre écueil: la dette, privée et publique. Nombre d'entreprises seraient asphyxiées sous le poids de leurs crédits libellés en euros. Même chose pour l'État, dont l'endettement deviendrait insupportable. L'ensemble du système financier de la zone euro en subirait les conséquences: toutes les banques européennes possédant des obligations grecques ou irlandaises enregistreraient de lourdes pertes.
En outre, «les bienfaits de la dévaluation ne durent qu'un temps et ne remplacent pas les réformes structurelles», note Laurence Boone, chef économiste chez Barclays. «Un pays qui sort de l'euro risque de perdre énormément en crédibilité aux yeux des investisseurs et devra faire de gros efforts d'ajustement pour la retrouver», poursuit-elle.
Scénario 2 : l'Allemagne nostalgique du deutschemark
Le scénario serait sans doute moins catastrophique si l'Allemagne décidait de s'en aller. Lassée de devoir payer pour les mauvais élèves de la zone, une majorité de la population outre-Rhin se dit désormais nostalgique du deutschemark. La première puissance économique européenne chérit plus que tout la stabilité de la monnaie. Les mesures d'urgence prises par la BCE pour endiguer la crise, ces derniers mois, ont inquiété jusque dans les rangs de la Bundesbank, la banque centrale allemande.
En décidant de recouvrer son indépendance monétaire, l'Allemagne prendrait moins de risques que les États dits «périphériques» de la zone euro: ses finances publiques sont fiables et continueraient d'inspirer confiance aux investisseurs internationaux.
Mais la médaille a son revers, notamment au plan commercial. Le nouveau deutschemark ne pourrait manquer de s'apprécier fortement. Certains économistes évoquent une réévaluation de 30 % vis-à-vis de l'euro qui pénaliserait les industriels allemands par rapport à leurs concurrents français ou italiens. Or l'Allemagne réalise près de 50 % de ses exportations au sein de la zone euro. Pour compenser, il lui faudrait reprendre ses efforts de compétitivité via, par exemple, la modération salariale, au risque de peser lourdement sur la consommation des ménages.
Et si la France en revenait au franc, comme le réclament avec force une poignée de souverainistes? Une telle option reviendrait à «se retirer du marché de la dette pas chère», met en garde Jacques Delpla, du Conseil d'analyse économique. Aujourd'hui, la dette française est considérée comme une valeur refuge, au même titre que la dette allemande, par comparaison à l'Espagne ou au Portugal. Mais Paris est loin d'avoir retrouvé l'équilibre de ses finances publiques. Hors de l'euro, «les taux d'intérêt monteraient immédiatement», prédit M. Delpla.
Scénario 3 : la zone euro explose
Plutôt que de laisser un pays assumer seul le coût d'une sortie, certains eurosceptiques se plaisent à imaginer que les seize États membres puissent renoncer à l'unisson à la monnaie commune. Les économistes de la banque néerlandaise ING ont tenté de modéliser les effets d'un éclatement de la zone euro. Dans une étude parue en juillet, intitulée «quantifier l'impensable», ils décrivent un scénario d'apocalypse: la drachme grecque, la peseta espagnole, l'escudo portugais seraient dévalués de 50 % par rapport au deutschemark. Ces pays verraient leurs taux d'intérêt monter en flèche et seraient aux prises avec une inflation galopante aux effets dévastateurs sur l'économie.
À l'inverse, l'Allemagne et les autres grands pays se trouveraient confrontés à un choc déflationniste qui verrait reculer tout ensemble la consommation, l'investissement et la production. Les prix des actions et de l'immobilier plongeraient, plombant le bilan des banques. L'ex-zone euro serait frappée par une récession de 10 % en moyenne dans les deux ans suivant l'explosion. Ni le Royaume-Uni, ni les pays d'Europe centrale, ni les États-Unis ne seraient épargnés par cette onde de choc...
Les taux de change des nouvelles devises souffriraient d'une «extrême instabilité». Quant au marché unique européen, socle de l'Union européenne, la dislocation de l'eurozone signerait sans doute son acte de décès...
«Les effets d'un démantèlement [de l'union monétaire] renverraient au rang de simple péripétie l'effondrement qui a suivi la faillite de Lehman Brothers», affirme l'étude, qui ajoute: «Les dommages économiques provoqués dans les deux ans pèseraient lourdement en comparaison des bénéfices de long terme supposés.»
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