Pour Sapir, nous sommes près de la fin de l'Euro (4)

Crise de l'euro

Jacques Sapir nous livre aujourd'hui le quatrième et dernier volet de son article sur la fin de l'euro, extrait de son nouveau livre qui paraîtra courant novembre. L'auteur revient sur le tabou que constitue l'Euro, et dénonce l'attentisme dont ont fait preuve nos politiques, au moment où ils pouvaient encore redresser la situation.
L’Euro, on l’a dit, est le dernier tabou d’une partie de la classe politique de droite comme de gauche. À quoi donc peut-on attribuer ce phénomène et pourquoi une telle cécité en France ?
La monnaie unique concentre en elle des projets économiques, des projets politiques mais aussi des projets, ou plus exactement des représentations, symboliques. Ce sont ces interrelations qui ont rendu le débat à la fois nécessaire et, si ce n’est impossible, à tout le moins extrêmement difficile. Ceci explique aussi la violence des réactions, dès que l’on touche au principe de la monnaie unique.
Il y a, bien entendu, d’autres raisons qui sont moins avouables et moins présentables. Nombreux sont ceux qui ont chanté sur tous les tons les louanges de la monnaie unique, parfois avec des arguments qui étaient parfaitement recevables, mais parfois aussi avec des arguments qui relèvent plus de ce que l’on appelle la « littérature (ou de l’argumentation) à l’estomac ». L’engagement en faveur de la monnaie unique était tel, que tout débat signifiait une remise en cause, et toute remise en cause une perte de légitimité pour nos dirigeants mais aussi leurs conseillers et autres économistes à gages. Or, tous ces gens sont très attachés à cette légitimité, qu’elle soit politique ou médiatique !
Dans le refus de discuter sur la place publique de la crise de l’Euro, il faut aussi voir la peur panique de perdre des positions sociales et des privilèges. Que deviendraient en effet tous ces professionnels de l’euro-Business s’ils devaient admettre qu’ils se sont trompés ?
De très mauvaises raisons expliquent aussi la violence des réactions.
Le fait que le Front National se soit lancé dans la contestation de l’Euro a été invoqué pour tenter de discréditer le débat sur l’Euro. Parler contre l’Euro équivaudrait à reprendre la totalité des thèses du Front National. Mais ceci est un bien faible argument, et Frédéric Lordon a récemment fait litière de telles allégations (1).
Étant un des auteurs régulièrement cités par le Front National, je voudrais à mon tour revenir sur cette question. Tout d’abord, un auteur n’est en rien responsable de ses lecteurs. Le fait de publier un texte, sur papier ou sur internet, revient à abandonner tout contrôle sur comment et par qui peut-il être lu. Seuls comptent les opinions, les idées et les concepts qui ont été exprimés dans ce texte, et je ne récuse ni ne renie aucun de ceux que j’ai pu rendre public depuis que je m’exprime sur la question. J’avoue de plus qu’à tout prendre, je préfère que les militants du Front National lisent du Gréau, du Lordon ou du Sapir plutôt que du Drumont ou du Gobineau.
Ensuite, la méthode utilisée par nos contradicteurs soulève un problème de fond. On ne saurait prétendre qu’une idée, une notion ou un concept soit discrédité parce que certains, dont on ne partage pas les idées politiques, s’en réclament aussi. Par temps de pluie, devrions-nous prétendre contre toute évidence que le soleil brille uniquement parce que tel ou telle, dont on ne partage pas les idées, a dit qu’il pleuvait ? Il faut rappeler ici qu’idées, notions et concepts ne sont pas brevetables. Ils appartiennent à tous et donc à personne.
La méthode de nos contradicteurs révèle ici l’extraordinaire faiblesse de leurs positions.
Comprendre l’Euro pour mieux appréhender les enjeux de sa crise.
Les interrelations entre l’économique, le politique et le symbolique constituent ainsi l’objet central de ce livre. Il entend déconstruire au préalable ces interrelations, séparer l’économique du politique, le politique du symbolique.
Il entend aussi tirer les conclusions qui découlent de cette déconstruction et de ce que l’on a appelé un « retour à la raison ». Les miennes ont évolué avec la crise et devant l’incapacité congénitale des gouvernants et des institutions de la zone Euro à réagir et à anticiper.
Ma position initiale était de défendre le principe d’une monnaie commune et non unique. J’appelais dans mon livre puis mon article de 2006 (2) au passage de la seconde vers la première parce que j’anticipais les problèmes qui surgiraient au premier choc d’importance que connaîtrait la zone Euro. Le débat fut enterré avant même de commencer.
La crise cependant accélère le rythme des décisions. On connaît la formule : « le temps nous mord la nuque ». Chaque opportunité aujourd’hui perdue restreint dramatiquement le choix des futurs qui restent encore possibles. Les solutions raisonnablement envisageables à l’été 2009, avant que n’éclate de manière ouverte la crise Grecque, sont devenues de plus en plus irréalistes, voire caduques. L’accélération de la dynamique de la crise imposera des ruptures radicales.
Cette dernière est aussi le produit, et il faut s’en souvenir, de l’inaction et de la pusillanimité des femmes et des hommes qui composent la classe politique en Europe. L’histoire retiendra que l’Euro sans doute est mort de la main de ceux-là même qui prétendaient le défendre.

(1) Voir Fredéric Lordon, « Qui a peur de la démondialisation ? »; Blog La pompe à phynance, URL : http://blog.mondediplo.net/2011-06-13-Qui-a-peur-de-la-demondialisation.
(2) J. Sapir, La fin de l'euro-libéralisme, Le Seuil, Paris, 2006, chapitre 3. ; Idem , « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme, op.cit..

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Jacques Sapir142 articles

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Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.

Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).

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