Ils sont des milliers à ne pas toucher l'intégralité de leur rente de retraite à cause de la crise du papier commercial depuis un an. Certains se demandent pourquoi. D'autres ignorent comment ils s'en sortiront. Mais aucun d'entre eux n'aurait pu imaginer un instant ne pas pouvoir toucher ce pourquoi ils ont trimé toute leur vie. Et voici qu'ils sont devenus otages d'un incroyable écheveau légal.
Le gouvernement canadien est venu au secours des banques pour refinancer leur portefeuille hypothécaire (25 milliards de dollars) et garantir les crédits entre banques (218 milliards). La Banque du Canada a ouvert la porte toute grande pour procurer toute la liquidité nécessaire aux banques, aux courtiers et aux fonds monétaires sous forme de prise en pension. Mais le sort des retraités a été oublié.
Plus d'une centaine de caisses de retraite au Canada ont investi leurs liquidités directement ou par l'entremise de leur gestionnaire dans des papiers commerciaux adossés à des actifs financiers. Environ 16 milliards de dollars au total. Non par cupidité mais par devoir fiduciaire de maximiser le rendement de leurs avoirs au profit de leurs participants. Erreur possible, mais aussi manque tragique d'information sur un marché complètement dérégulé.
On retrouve de grands noms parmi ces caisses: Domtar (455 millions), Teachers (60 millions) en Ontario et les régimes des professeurs des universités de Western Ontario (30 millions), de l'Alberta (plus de 40 millions) et de British Columbia, le fonds de retraite des Credit Unions (60 millions), Poste Canada (27 millions), mais aussi plusieurs déposants de la Caisse de dépôt et placement du Québec (12,6 milliards) et l'Office d'investissement des régimes de pension du secteur public fédéral (PSP - 1,9 milliard). Les plus durement affectées sont celles qui sont en phase de liquidation. Le moment est en effet venu pour celles-ci de se consacrer principalement au paiement des rentes. Le «hic» est qu'une partie ou tous leurs avoirs sont complètement gelés depuis août 2007, lorsque les opérateurs ont fui le marché. Ces caisses sont démunies sans pouvoir emprunter car personne ne veut de ce papier en garantie.
Il y a actuellement 35 milliards de dollars de papier commercial adossé à des actifs (PCAA) en circulation, émis par des institutions non bancaires au Canada, dont 32 milliards font partie du plan de restructuration du Comité Crawford, incluant 22 milliards de dollars de forme synthétique dont le sort dépend de la bonne volonté de grandes banques.
Ces titres sont grevés de deux problèmes: un problème de crédit et un problème de liquidité. Le problème de crédit met en lumière le risque de ne pas recouvrer le capital prêté parce que l'emprunteur, soit l'émetteur du PCAA, aurait de la peine à rembourser l'investisseur. Le problème de liquidité survient lorsque les détenteurs de PCAA ne peuvent plus vendre ou échanger leur papier venu à échéance à cause de l'incertitude qui plane sur tout le marché d'instruments financiers similaires. Le problème de liquidité est de loin le plus sérieux.
Épées de Damoclès
Deux épées de Damoclès pèsent encore sur tout le projet de restructuration qui devait être conclu initialement en août dernier. D'abord, les détenteurs de PCAA demeurent exposés à des appels de marge si l'écart de taux qui sert de déclencheur est atteint. Cette hypothèse, qui apparaissait peu vraisemblable à l'origine, voit sa probabilité augmenter à mesure que s'approfondit et se mondialise la triple crise (de liquidité, de crédit, économique). Nous frisons 70 % de ce niveau, une perspective tout à fait inattendue voici encore six mois.
Secundo, Ottawa a retiré en novembre 2007 tous les instruments financiers et dérivés de la liste des avoirs qu'un juge peut normalement retenir sous administration dans le cadre de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) pour assurer un traitement équitable (imitant l'amendement adopté aux États-Unis en 2005 qui aurait accentué l'instabilité du marché, selon plusieurs spécialistes). Le problème est qu'aucun transfert de responsabilité n'a été fait depuis auprès des régulateurs et que les détenteurs de PCAA se retrouvent entre deux chaises.
Personne n'est responsable de ces dérivés. Et aujourd'hui, les grandes banques internationales, dont Deutsche Bank, HSBC et RBS, qui devaient à la fois garantir la liquidité de ces papiers et fournir les actifs, échappent complètement à tout ordre de la cour et à tout échéancier juridique. Il faut savoir que, sans cette «exemption», jamais la cour n'aurait traité les détenteurs de PCAA comme ils l'ont été. L'accord «Crawford» est un accord imposé par les banques sur du papier «non bancaire»! En d'autres termes, à moins d'un accord à l'amiable et aux conditions de ces banques, l'arrangement de restructuration s'avère encore difficile.
D'autre part, cette pression d'illiquidité contraint plusieurs détenteurs à ne pas pouvoir gérer l'ensemble de leur portefeuille de façon optimale et à ne pas remplir leur pleine responsabilité fiduciaire. En effet, même s'ils pouvaient écouler le nouveau papier structuré sur le marché, les 22 milliards de dollars en collatéral ne valaient plus que 40 % ou moins de 10 milliards en mars dernier. La situation est pire aujourd'hui, même si les caisses peuvent se prémunir du nouveau règlement adopté la semaine dernière, qui permet d'évaluer leur papier sur une valeur marchande à long terme. Mais ce jeu d'autruche ne change pas le marché pour autant.
Même si la restructuration des PCAA en instruments à plus long terme réussit, avec une seule cotation (celle de DBRS) alors que deux notations auraient été requises (S&P et Moody's ayant refusé), le capital immobilisé pour des années à venir (jusqu'à neuf ans) dans ces titres illiquides ne pourra pas être déployé ailleurs. De plus, le manque de liquidités peut forcer certains investisseurs à vendre des actifs à un mauvais moment, par exemple juste après une forte baisse de marché, pour s'acquitter de leurs obligations. Les caisses de retraite qui doivent assurer d'importants versements de rentes peuvent facilement se trouver dans cette situation. C'est le cas de caisses en phase de liquidation dont le nombre atteindrait plus d'une cinquantaine.
Ce que peut faire la Banque du Canada
Dans ce contexte, nous demandons au premier ministre Stephen Harper et au gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney de reconnaître les besoins de liquidité d'autres intervenants sur le marché canadien de capitaux. L'injection de ces 16 milliards de dollars, qui sont gelés, ferait une importante contribution, sans pour autant nuire au règlement déjà conclu avec les petits porteurs de PCAA. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles les banques centrales de plusieurs pays ont déjà annoncé des programmes pour accepter la mise en pension des titres adossés à des créances qui ont perdu leur liquidité.
Pourquoi pas?
Pour quelle raison la Banque du Canada ne fait-elle pas de même? Gouverneur Carney, la Banque du Canada n'a jamais empêché les banques canadiennes de vendre des PCAA aux caisses de retraite. Et pourtant, votre banque est venue à leur rescousse. Pourquoi cette règle ne s'appliquerait-elle pas aussi aux caisses de retraite qui sont devenues victimes de ce papier?
Et tout ça ne coûterait pas grand-chose à la banque centrale puisque, dans un tel programme, les investisseurs continuent d'assumer le risque de crédit. La banque ne ferait que garantir la liquidité des titres. Une telle décision aurait un effet de levier considérable, pour reprendre le maître mot en finance (dont l'effet nous a causé tant d'ennuis!), sur la confiance des citoyens envers leur système financier et permettrait enfin aux retraités démunis de leurs rentes de reprendre leur droit.
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Andrée de Serres, Claude Castonguay, Claude Béland, Michel Toupin, Reynald Harpin, Michel Roux, Diane Urquhart et Robert Pouliot
Membres de la Coalition pour la protection des investisseurs
Rencontre des premiers ministres le 10 novembre
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