La clause maudite

Écoles passerelles - Loi 115


On peut comprendre que l'intelligentsia canadienne-anglaise, anxieuse de participer à l'entreprise de nation building qui a fait de Pierre Elliott Trudeau un véritable héros dans le ROC, voue la clause nonobstant aux gémonies. Il semble que ce pays n'avait pas d'âme avant la Charte des droits.
Il est plus déconcertant de voir un premier ministre du Québec contribuer avec autant de hargne à la démonisation d'une mesure qui, dans l'esprit des provinces anglophones et du Parlement de Westminster, visait à préserver l'essence même de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Pour les parlementaires britanniques, que le gouvernement Trudeau devait convaincre d'approuver le rapatriement de la Constitution, la préséance du législatif sur le judiciaire constituait un principe fondamental. Contrairement à la vision centralisatrice des stratèges d'Ottawa, ils voyaient également la fédération canadienne comme le résultat d'un «pacte» conclu entre les provinces en 1867.
Sous le prétexte fallacieux de protéger des droits fondamentaux, en réalité les privilèges d'une poignée de riches désireux d'angliciser leur progéniture, Jean Charest renie une conception du fédéralisme que tous ses prédécesseurs ont défendue avec acharnement depuis près d'un siècle et demi. S'il est insensible à la protection du français, on s'attendrait au moins à ce qu'il défende les pouvoirs du Québec.
Un historien qui enseigne au collège Dawson, Frédéric Bastien, travaille depuis quelques années à la rédaction d'un livre intitulé La Bataille de Londres, qui reconstitue d'un point de vue britannique la saga du rapatriement de la Constitution au début des années 1980, dont les péripéties sont encore mal connues.
Il a eu l'amabilité de me faire parvenir un article très éclairant sur les circonstances dans lesquelles la clause dérogatoire a été incluse dans la Charte des droits, article qui sera publié le mois prochain dans une revue britannique spécialisée, Commonwealth and Comparative Politics.
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Au départ, M. Trudeau n'avait pas dit à sa vis-à-vis britannique, Margaret Thatcher, que son projet de rapatriement de la Constitution, dont le Parlement de Westminster était toujours garant, incluait l'enchâssement d'une charte. À l'entendre, il s'agissait d'une simple formalité. Une petite signature et tout serait réglé.
Mme Thatcher n'a pas caché son déplaisir en découvrant dans quoi on voulait l'embarquer. Les parlementaires britanniques ont également vite compris que l'affaire était beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraissait et que la grande majorité des provinces, notamment le Québec, s'opposaient au projet.
Ces gens-là n'étaient pas des idiots. Alors que les émissaires canadiens s'évertuaient à leur présenter la Charte comme un facteur d'unité dans un pays où cohabitaient de nombreuses minorités, ils voyaient bien que cette perspective semait au contraire la discorde. À leurs yeux, il s'agissait carrément d'une tentative de centralisation des pouvoirs au profit du gouvernement fédéral.
Leur suspicion a été renforcée quand la Cour suprême a statué que l'initiative fédérale, sans être illégale, était contraire aux conventions constitutionnelles. Si Ottawa n'arrivait pas à rallier une majorité significative de provinces, l'approbation de Londres devenait très problématique. On recommandait même au gouvernement Trudeau d'abandonner son projet de charte.
Les provinces anglophones étaient cependant moins convaincues que le Québec de la solidité de l'appui de Westminster. Pour éviter une mauvaise surprise, elles ont donc préféré conclure une entente avec Ottawa: leur adhésion au rapatriement de la Constitution en échange d'une clause qui leur permettait de se soustraire aux dispositions de la Charte si celle-ci avait pour effet de porter atteinte à leurs propres droits. Voyant cela, Londres a également donné son accord.
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Contrairement à l'idée que les thuriféraires de la Charte ont réussi à imposer, la clause nonobstant n'était pas une sorte d'irritant que Paul Martin avait proposé d'éliminer lors du débat télévisé entre les chefs de partis fédéraux en janvier 2006. Au contraire, elle constituait son élément central, dans la mesure où la Charte n'aurait jamais pu être enchâssée dans la Constitution sans elle.
Il faut reconnaître le succès de la campagne de culpabilisation que les partisans de la Charte ont menée depuis 1982 contre tous ceux qui tentaient de s'y soustraire. À tel point que ceux qui avaient exigé l'inclusion d'une clause nonobstant n'ont pas osé la défendre.
C'est seulement dix-sept ans plus tard, en mars 1999, qu'un de ceux-là, Allen Blakeney, ancien premier ministre de la Saskatchewan, a déclaré au National Post: «Je pense que ce serait une bonne idée si les gouvernements commençaient à utiliser la clause nonobstant un peu plus souvent, parce qu'il est important de créer une tension créatrice entre les législatures et les tribunaux, quand ces derniers s'aventurent dans leurs champs de compétence traditionnels.»
Dans la même entrevue, l'ancien premier ministre de l'Alberta Peter Lougheed expliquait que le pouvoir politique ne devrait pas avoir peur d'invoquer la clause nonobstant pour affirmer «la préséance des élus sur des juges nommés».
Il est navrant, c'est le moins qu'on puisse dire, que le premier ministre du Québec, qui est la seule province dont les pouvoirs ont été concrètement diminués par la Charte, préfère hurler avec les loups et répéter ad nauseam qu'il faut «se conformer».


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