Pour un Franco-Américain désespéré par une Amérique dépourvue de gérance politique, morale, ou rationnelle, la France représente parfois un modèle séduisant. Bien qu’Emmanuel Macron soit très loin de mon président idéal — car il incarne les pensées néolibérales que je déteste —, j’avoue qu’il détient la capacité de s’exprimer logiquement et même avec un sens de la comédie, du moins en comparaison avec le bouffon Trump. On peut discuter le choix d’Edwy Plenel et de Jean-Jacques Bourdin pour le grand entretien télévisé du 15 avril, mais on ne peut qu’apprécier la vive réplique du président au sujet de l’occupation de Notre-Dame-des-Landes par les zadistes. Interrogé par Plenel sur l’intervention musclée contre des manifestants par les forces de l’ordre, Macron a ironisé : « Je vais avoir, moi, un projet agricole alternatif. Je vais aller m’installer dans votre salon et puis je vais dire : "C’est un projet agricole alternatif". » Pas mal pour un banquier.
Toutefois, la récente visite du président de la République à Washington souligne de nouveau la crise constitutionnelle et intellectuelle dans mes deux patries, ainsi que ma nouvelle désillusion française. L’importance de la France sur la scène internationale s’appuie sur une supposition d’indépendance et de savoir-faire soutenus par des principes de droit — sa position postcoloniale est toujours sous son meilleur jour lorsqu’elle sert de contrepoids à la politique étrangère irréfléchie et souvent illégale des États-Unis superpuissants. Mais voilà que Macron, emporté par sa vanité, fait de son mieux pour détruire l’héritage, pour ternir le prestige de Charles de Gaulle, de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin, qu’il se porte volontaire pour la tâche d’appuyer les gestes brusques et gratuits de son homologue américain. Après la frappe purement symbolique contre le régime Assad, le président français aurait dû rougir devant la légitimation du New York Times : « Il était rassurant que sa réponse [celle de Trump] militaire à l’attaque chimique présumée qui a tué des dizaines de personnes le 7 avril à Douma, la banlieue de Damas tenue par les rebelles, ait été cordonnée avec la Grande-Bretagne et la France. »
La France s’est donc abaissée au niveau d’estampille afin de « rassurer » l’establishment américain sur le fait que son voyou de président n’est pas entièrement fou. Bravo ! Sans doute les pourparlers à Washington et l’intervention de Macron devant le Congrès ont-ils renforcé la bonne santé mentale redécouverte du président américain.
Néanmoins, le déclin moral et juridique qui entraîne Paris en tandem avec Washington doit être noté. En Amérique, le pouvoir constitutionnel de déclarer la guerre, réservé au Congrès, a depuis longtemps été affaibli par des présidents successifs, à commencer par John F. Kennedy. Avec la guerre du Vietnam, le « commandant en chef » est devenu législateur et général simultané aux dépens de la souveraineté populaire garantie dans la Constitution. Le Vietnam fut la pire catastrophe de nos guerres non déclarées, mais le renversement de Mouammar Kadhafi appuyé par le président Obama — action militaire faite sans le moindre consentement du Congrès — a fait des dégâts considérables. Macron, comme Nicolas Sarkozy et François Hollande, se croit également au-dessus de la consultation parlementaire bien que, comme le constate l’expert en droit et affaires militaires Jean-Philippe Immarigeon, « n’importe quel constitutionnaliste sait que le président français n’a aucun pouvoir de guerre, sauf en matière de feu nucléaire pour des contraintes de rapidité de réaction ; il n’est que lieutenant-général des armées de la République ». L’Article 35 de la Constitution de 1958, comme l’Article 1 section 8 rédigé à Philadelphie en 1787, ne contient aujourd’hui que des mots vidés de tout pouvoir. Écrivant dans la Revue Défense nationale, Immarigeon nous rappelle le commentaire du Figaro de Beaumarchais : « Sommes-nous des soldats qui tuent et se font tuer pour des intérêts qu’ils ignorent ? Je veux savoir, moi, pourquoi je me fâche. »
En tant que citoyens mutuellement mal informés, les Français et les Américains ont peut-être beaucoup plus en commun que les prétendues valeurs démocratiques vantées dans le discours en anglais de Macron à l’intérieur du Capitole. Lorsque Trump a brossé les pellicules de la veste de son petit ami français — avec une condescendance évidente —, je me suis dit que la France ne pouvait pas descendre plus bas dans son image mondiale. Le lendemain, pourtant, Macron s’est surpassé avec sa référence (qui se voulait spirituelle) à la célèbre rencontre entre Voltaire et Benjamin Franklin et leurs étreintes amicales — semblables, ricanait Macron, à celles des deux présidents copains.