Autochtones

La connaissance pour dépasser les préjugés

Les actions concrètes suivent rarement les gestes symboliques.

Crise des Attikameks


Marie-Christine Ladouceur-Girard - À mes trois jeunes frères et sœur, Olivier (15 ans), Gabriel (14 ans) et Catherine (13 ans).
De la grande famille de six enfants que nos parents ont fondée, il ne reste (déjà !) que vous trois au domicile familial. À vous voir entrer de façon fracassante dans l’adolescence, je vous sais suffisamment mûrs pour vous partager deux de mes préoccupations vis-à-vis de notre société. En plus d’être d’actualité, elles vous concernent à titre de citoyens en devenir.
Tout près de vous dans Lanaudière, les actions menées par la nation atikamekw pour protéger son territoire ancestral - dans « l’inquiétude et l’indifférence » des Québécois, selon leurs chefs - me ramènent à une discussion inachevée avec toi, Olivier, soit celle sur nos relations avec les autochtones. À ton nouveau et premier emploi à l’épicerie du coin, tu les fréquentes pour la première fois. Comme la plupart des citoyens du village et comme moi il n’y a pas si longtemps, de cette communauté atikamekw, tu ne sais pas grand-chose.
Tu t’indignes que ses membres n’offrent ni pourboire ni considération quelconque aux jeunes emballeurs qui, comme toi, chargent d’une abondance de provisions les camions des « Indiens », avant que ces derniers ne retournent à leur réserve de Manawan. Pour condamner leur attitude méprisante, tu t’appuies aussi sur quelques autres supposés bénéfices dont ils jouiraient, telle l’exemption de taxes.

L’importance du contexte
Compatissant sur ton sort de travailleur, j’ai voulu te sensibiliser au contexte global qui a permis qu’une telle méfiance et indifférence s’installent entre nos deux peuples, après 400 ans de cohabitation sur le même territoire. Et, comme je t’ai dit, ce contexte est loin d’être reluisant pour les Québécois et Canadiens que nous sommes…
En effet, encore maintenant, le Canada (et avec lui le Québec) assujettit ses nations autochtones à la Loi sur les Indiens, laquelle a eu pour effet de marginaliser ces derniers, notamment en les confinant dans des réserves beaucoup plus restreintes que leurs terres ancestrales, en leur refusant une véritable autonomie politique et, enfin, en leur retirant leur capacité à être autosuffisants et à se développer.
Cette privation du droit à décider de sa destinée en tant que peuple et l’absence d’actions concrètes suivant quelques gestes symboliques et d’éclat des gouvernements sont largement responsables des problèmes économiques et sociaux des Premières Nations dont vous entendez souvent parler : pauvreté, violence conjugale, alcoolisme, etc. C’est toute la fierté de ces peuples qualifiés désormais d’« invisibles » qui est à reconstruire.
Or, encore aujourd’hui, quand nos gouvernements veulent exploiter les ressources des territoires sur lesquels les Premières Nations vivent depuis des millénaires, les dimensions culturelle, sociale, environnementale et historique mises de l’avant par les autochtones ne sont pas considérées à leur juste valeur.
Et ce n’est pas tout. Sur la scène internationale, les représentants du Canada ont fait dérailler plusieurs initiatives visant à mieux reconnaître et protéger les droits des autochtones de par le monde, pour ne pas s’engager par le fait même à revoir notre système discriminatoire. Le Canada a même voté contre la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, ratifiée par 143 pays en 2007.
Devant ces faits, je ne saurais passer sous silence l’indifférence et le mépris que nous alimentons à l’égard des peuples fondateurs de notre propre pays, voire de notre propre territoire ! Et je ne doute pas que vous aussi, branchés comme vous l’êtes sur le monde depuis votre petite enfance, saurez délaisser au plus tôt les fausses rumeurs et images stéréotypées qui conduisent à la méfiance pour aller à la rencontre de « l’autre », dans toutes ses nuances, loin de l’histoire unique qui nous est transmise.
Curiosité et apprentissage
Mais plus que l’accès à l’information, le combat pacifique contre l’ignorance auquel je vous convie passe par l’éveil à la curiosité intellectuelle et l’acquisition de connaissances. Je vous entends déjà me répliquer avec humour, me traitant de « bourgeoise universitaire ». Mais je vous assure que ma vision est tout sauf élitiste.
Simplement, sur la question autochtone comme sur bien d’autres, c’est l’université qui m’a ouvert les yeux ! J’y ai appris, entre autres, que nous avions été non seulement colonisés, comme je le croyais, mais aussi, et jusqu’à ce jour, colonisateurs. J’y ai appris à devenir une citoyenne engagée.
Or, il se trouve que la mobilisation printanière et estivale lancée par les étudiants à laquelle vous avez assisté à titre de spectateurs, en raison de votre jeune âge et de votre éloignement de la métropole, et la fin de non-recevoir qui lui est opposée sèment l’espoir autant que l’inquiétude quant à vos perspectives d’accession à l’éducation universitaire. À vos questions sur la question actuelle et à l’intérêt accru que vous avez manifesté vis-à-vis des carrières qui s’offrent à vous, selon vos personnalités respectives, je sais que vous saisissez fort bien l’ampleur de l’enjeu.
Par ailleurs, vous êtes éminemment conscients que nombre d’étudiants comme moi se retrouvent lourdement endettés, en dépit d’études complétées dans les délais prévus, preuve que notre système de prêts et bourses fait des laissés-pour-compte. Aussi, je vous encourage déjà à ne pas renoncer, malgré les embûches que vous trouverez sur votre route.
Car plus que des travailleurs, j’émets le souhait que vous deveniez des citoyens à part entière qui pourront porter les enjeux qui vous concernent. Gabriel, prodige musical et artiste dans l’âme, porteras-tu les revendications des artistes québécois qui subissent de plein fouet les coupes conservatrices ? Catherine, si proche des animaux, voudras-tu mettre sur pied des projets de protection pour ces derniers, le mois de juillet nous rappelant chaque année le nombre impressionnant d’animaux abandonnés en ville ? Et Olivier, amateur inconditionnel de chasse, de pêche et de nature sauvage, seras-tu celui qui négociera enfin des ententes honorables avec nos semblables autochtones dans le cadre d’un développement, espérons-le, réellement durable de notre territoire commun ?


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