«Elle dépense comme une reine», avait titré Le Journal de Montréal qui, le premier, avait révélé les abus commis par l'ex-lieutenant-gouverneur Lise Thibault. En réalité, même Sa Majesté Elizabeth II doit rendre compte de son utilisation des fonds publics de façon beaucoup plus systématique. Son rapport de dépenses annuel, que n'importe qui peut consulter sur Internet, est assez impressionnant.
Le plus récent, qui porte sur l'année 2005-06, fait 126 pages. Des dépenses totalisant 37,4 millions de livres, soit plus de 75 millions de dollars, y sont passées au peigne fin. Le moindre déplacement en train d'un membre de la famille royale y est soigneusement décrit, daté et comptabilisé. Le tout fait l'objet d'une vérification en bonne et due forme par la firme KPMG.
Au Royaume-Uni, les frasques de la famille royale ont peut-être refroidi la ferveur monarchiste au cours des dernières années, mais les contribuables britanniques ont au moins l'assurance que l'argent de leurs impôts n'est pas dilapidé par ceux qui sont déjà grassement rémunérés pour servir de modèles à la nation.
Le scandale des commandites était sans doute choquant, mais les politiciens sans scrupules et les hommes d'affaires véreux sont malheureusement légion, tandis que Mme Thibault s'était elle-même érigée en parangon de vertu. On découvre aujourd'hui qu'on avait plutôt affaire à une mère Bougon qui évoluait dans la belle société.
Il faut reconnaître qu'elle avait très adroitement composé son personnage. D'entrée de jeu, elle s'était présentée comme une sorte de dame patronnesse qui voulait démontrer aux personnes handicapées qu'avec de la détermination, il est tout à fait possible de mener une vie active et heureuse.
Des reportages illustrés de photographies la présentaient sur un terrain de golf ou sur une pente de ski. Évidemment, cela exige certains moyens, mais on ignorait que le responsable de la sécurité au bureau du lieutenant gouverneur, devenu une «relation amicale», avait touché des indemnités de disponibilité totalisant 140 000 $ pour l'accompagner.
Comme le veut la tradition, chaque année à la période des Fêtes, Son Excellence conviait les journalistes et les techniciens affectés à la couverture de l'Assemblée nationale à un buffet pour échanger les voeux de circonstance. Qui aurait pensé que cette dame patronnesse qui insistait pour faire chanter des airs de Noël à ses invités trafiquait ses comptes de dépenses?
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Tant de moralité a peut-être endormi la vigilance de ceux qui, aux deux ordres de gouvernement, sont payés pour s'assurer que l'argent des contribuables soit dépensé à bon escient.
«Troublant» et «choquant», a commenté le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Benoît Pelletier. Il a pourtant fallu qu'un collègue du Journal de Montréal se prévale de la Loi sur l'accès à l'information pour découvrir le pot aux roses. Sans cela, Mme Thibault aurait pris sa retraite sans être inquiétée le moins du monde tout en ayant apparemment la conscience tranquille.
Déjà, en février dernier, elle avait soutenu avoir agi «de manière responsable et rigoureuse» et se plaignait de faire l'objet d'un «procès d'intention extrêmement blessant». Même après la publication de deux rapports accablants qui ont révélé des dépenses non justifiées ou réalisées à des fins personnelles totalisant plus de 700 000 $, elle proteste encore de sa «bonne foi».
Une irrégularité sur laquelle on a eu le tort de fermer les yeux ne devient pas acceptable pour autant. Mme Thibault semblait avoir autant d'imagination que les Bougon pour s'offrir ces petites douceurs qui rendent la vie si agréable.
Si elle a vraiment considéré comme un «supplément de rémunération» les 343 200 $ destinés à couvrir des dépenses reliées à sa fonction, en a-t-elle informé le fisc? Comment pouvait-elle trouver normal de réclamer à Ottawa le remboursement de son loyer mensuel chez son ami de la sécurité alors que l'État québécois lui versait déjà une allocation de 4000 $ par mois à cette fin?
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Est-ce simplement l'effet d'un power trip qui aurait fait perdre à Mme Thibault le sens des réalités? La potiche en serait-elle venue à se prendre vraiment pour une souveraine et à croire que tout cela lui était dû? Certains ont parfois une très haute idée de leurs mérites, même imaginaires.
À défaut d'avoir rendu de grands services à la patrie, elle en avait rendu quelques-uns au parti. Après avoir milité activement pour le NON lors du référendum de mai 1980, Mme Thibault avait été candidate pour le PLQ dans le comté de Fabre en 1981 et pour le PLC dans Gamelin en 1984.
En 1993, le gouvernement Bourassa l'avait nommée à la présidence de l'Office des personnes handicapées pour une période de cinq ans, mais Jacques Parizeau l'avait limogée trois ans plus tard au profit de Denis Lazure, qu'il avait eu l'indélicatesse d'oublier lors de la formation de son cabinet.
La liquidation de Jean-Louis Roux, dont la présence était insupportable à Lucien Bouchard, avait permis de consoler Mme Thibault de cette déconvenue, mais elle risque de payer cher ces dix années d'abondance.
Le gouvernement Charest semble toujours avoir besoin de 24 heures de réflexion pour comprendre où se situe son devoir. Ou simplement son intérêt. Mardi, Benoît Pelletier se proposait de rencontrer d'abord Mme Thibault pour connaître sa version des faits. Hier, il a annoncé que son dossier avait été transmis à la SQ. Sans parler de Revenu Québec. Au même moment, le lieutenant politique de Stephen Harper au Québec, Lawrence Cannon, annonçait que la GRC ferait également enquête.
C'était bien beau de dire que «personne n'est au-dessus de la loi», mais il fallait aussi que cela paraisse. Il reste à voir combien Mme Thibault devra vraiment rembourser. Le plus dur pour elle sera cependant de supporter cet opprobre. De vice-reine à mère Bougon, la chute risque d'être douloureuse.
mdavid@ledevoir.com
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