La nation castrée

Chronique de Patrice Boileau


Mercredi dernier, face à l'intention malicieuse du Bloc québécois de déposer aux Communes une motion visant à faire reconnaître la nation québécoise, le premier ministre Stephen Harper s'est empressé de suggérer la sienne.
Coincé, le chef du Parti conservateur voulait en effet éviter de voir son gouvernement voter contre la résolution bloquiste. La scène aurait pu lui coûter cher en termes de votes au Québec, endroit qui lui tourne résolument le dos suite aux décisions impopulaires qu'il a adoptées depuis son arrivée au pouvoir.
Le chef de l'État canadien a donc fait volte-face et a reconnu « que les Québécois forment une nation dans un Canada uni. » Celui qui a frondé ces mêmes Québécois le jour de leur Fête nationale dans leur capitale en refusant d'admettre ce qu'il concède aujourd'hui, s'est donc ravisé à la surprise de plusieurs. Il est permis de douter de sa sincérité.
Des journalistes et des chroniqueurs politiques du Québec ont crié au génie face à ce revirement spectaculaire : ils ont qualifié le premier ministre canadien de grand stratège politique. Stephen Harper aurait dispensé les libéraux fédéraux de vivre un débat déchirant sur cette question lors de leur congrès à la direction et a éliminé le risque de voir son aile québécoise voter contre lui. Grâce au chef conservateur, les forces fédéralistes sont demeurées unies. Peu d'observateurs de la scène politique ont cependant relevé que la pirouette de Stephen Harper s'avère bassement électoraliste.
Quel toupet ainsi de la part du premier ministre du Canada d'oser dire qu'il a posé un geste de réconciliation! Sa main tendue est vide. Stupéfiant que quelques fédéralistes fanatiques tels que l'éditorialiste en chef du quotidien La Presse, André Pratte, et le premier ministre du Québec Jean Charest y perçoivent une [« avancée historique! »->3054] Stephen Harper est pourtant sans équivoque : il n'y a aucun nouveau pouvoir offert au Québec. Absolument rien de « significatif », au contraire de ce qu'affirme désespérément le chef du PLQ. Du vent : que des vœux pieux!
En se hâtant de préciser que sa motion ne comporte aucune portée juridique ou constitutionnelle, le dirigeant conservateur a clairement démontré qu'il a vidé le terme de nation de son essence. Le premier ministre du Canada est formel : les Québécois qu'il qualifie dorénavant de nation héritent d'un statut uniquement symbolique, donc cosmétique. Il ne faut pas y déceler l'ombre du début d'une démarche menant à une réforme constitutionnelle qui octroierait au Québec des pouvoirs supplémentaires pour protéger sa différence. Rien de tout cela transpire de la résolution qu'il a déposée aux Communes. Ottawa n'a toujours pas l'intention d'agir pour convaincre le Québec de signer la Constitution de 1982.
La motion de Stephen Harper s'avère plutôt une insulte aux Québécois. Non seulement il est mensonger d'affirmer qu'ils appartiennent à un « Canada uni » puisque le Québec n'a jamais adhéré à une Constitution qui fut rédigée en catimini, contre son gré, mais en plus, on leur annonce qu'ils sont « impuissants » au sein de la fédération. Impuissants à protéger les caractéristiques qui leur sont propres. La définition sociologique que certains attribuent au terme de nation s'avère donc également bafouée par la motion Harper.
Déclarer sciemment, au vu et au su de tous, que les Québécois constituent une nation fantoche du point de vue juridique témoigne d'un profond manque de respect à leur égard. Où est le chef de l'État québécois pour manifester haut et fort son indignation afin de préserver la dignité du peuple qu'il représente ? L'effondrement de ce dernier face à l'humiliation que le Québec a subie récemment à Nairobi, l'inertie qu'il affiche face aux moqueries du ROC envers son peuple ainsi que face au projet du gouvernement fédéral de rembourser la dette et consentir des baisses d'impôt, plutôt que de régler le déséquilibre fiscal, laissent croire que la motion émasculée de Stephen Harper produit son effet : l'absence de fougue de Jean Charest donne effectivement l'impression qu'il est impuissant. C'est à croire que le premier ministre du Québec se complaît dans ce rôle de leader châtré que le gouvernement fédéral lui impose car il refuse catégoriquement de formuler une seule revendication constitutionnelle.
Que dire de la stratégie du Bloc québécois d'appuyer finalement la résolution de Stephen Harper? N'a-t-il pas jugé au départ qu'elle était fausse puisque le Québec a été exclu du Canada en 1982? L'analyse était juste et habile. Ne pas se présenter au Parlement canadien le jour du vote aurait traduit cette réalité de façon éloquente. Il ne fallait pas tenter de décrypter davantage ce que le premier ministre du Canada a proclamé mercredi dernier aux Communes : essayer de donner un sens à une déclaration dont l'auteur avoue qu'elle n'en a pas provoque des dérapages. Les leaders souverainistes en furent victimes ces derniers jours. Il n'est pas dit que d'autres surviendront dans les prochaines semaines, surtout lors des campagnes électorales fédérale et québécoise l'année prochaine.
Symbolique est la motion du premier ministre Harper. La nation québécoise, aux yeux d'Ottawa et du Canada anglais, relève du folklore : les Québécois forment un groupe pittoresque, mais sans signification profonde. En confirmant l'intention de les priver de moyens juridiques et constitutionnels distincts, le gouvernement fédéral se livre à une forme de stérilisation dont les conséquences, à long terme, ne seront pas superficielles. Visiblement, au contraire de ce qu'en pensent certains ténors du camp souverainiste, le Québec a été affaibli le 22 novembre dernier.
Patrice Boileau

Carignan, le 26 novembre 2006




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