La semaine dernière, j'ai invoqué des problèmes réels de logistique pour expliquer à mes patrons que je ne pouvais écrire de chronique. C'était un demi-mensonge, ou une demi-vérité. J'ai déjà rédigé des chroniques malgré ce genre de problème.
Je voulais parler de Gaza. Mais comment expliquer à son patron la peur d'écrire sur un sujet qu'on connaît, la peur de se tromper, celle de nuire ou de dériver? Alors, j'ai choisi le prétexte logistique parce que trop d'idées se bousculaient dans ma tête et que je ne parvenais pas à les mettre dans un ordre et un cadre qui faisaient un sens quelconque.
Essayons. Il y a la démesure. Tout le monde s'entend. Et les bavures israéliennes qui ne sont pas des bavures. Mille morts, treize morts. On répète cette équation absolument fausse ad nauseam. La mort n'est pas mathématique et évaluable en chiffres. La mort est un abîme. Cinq millions de morts en République démocratique du Congo, cent mille pages de journaux de moins. Nous choisissons les morts qui nous obsèdent et les conflits qui nous importent.
Dans ce conflit quasiment biblique qui pourrit le monde depuis des siècles, comme beaucoup d'autres, j'ai choisi le camp des «justes», comme dirait Camus. C'est la position la plus pénible, la plus complexe, la plus vulnérable. Car le «juste» se retrouve avec de curieux compagnons qu'il n'aime pas nécessairement. Le «juste» déplore le sort des réfugiés palestiniens tout en soutenant le droit d'Israël d'exister en sécurité en même temps que l'existence d'un État palestinien. Mais il doit rappeler que ce sont les pays arabes qui ont déclenché la première guerre en Israël, guerre qui fut en partie responsable de l'exode palestinien, de la radicalisation de son nationalisme et surtout de la mise en tutelle par des pays arabes des mouvements de libération palestiniens.
Le «juste» doit dénoncer Israël pour les exactions, les colonies illégales, le mépris des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, mais il ne peut taire l'occupation d'une partie du Liban par le Hezbollah, l'émergence de l'extrémisme islamiste, le rôle pervers dans le conflit de l'Iran et de la Syrie, l'encouragement de l'Arabie saoudite aux mouvements extrémistes. Il doit se demander si Israël ne souhaite pas plus la paix avec les Palestiniens que ne le font les principaux pays arabes, hormis l'Égypte et la Jordanie.
Puis, le «juste» est confronté à la douloureuse question de la responsabilité, de l'intention criminelle des États ou des acteurs. Est-ce que Israël a décidé de tuer de façon systématique des enfants et des civils, décidé froidement de bombarder les installations de l'ONU, de faire mourir les gens de faim ou de froid dans la bande de Gaza? Si oui, le calcul du gouvernement serait le suivant: remporter les prochaines élections et faire prendre conscience aux habitants de Gaza que le Hamas ne peut leur apporter que douleur et souffrance.
Mais il faut en même temps poser une autre question: est-ce que le Hamas a repris les tirs de roquettes sur le sud d'Israël pour provoquer une réaction violente et brutale de Tel-Aviv, espérant assurer encore plus son emprise sur le petit territoire étranglé et exsangue? Car si Israël possède le pouvoir de détruire, de raser Gaza, le Hamas n'a aucun pouvoir militaire réel. Il ne peut qu'égratigner, exacerber, nuire. Les appels à la guerre sainte sont des complaintes d'illuminés qui tiennent une population en otage. Treize morts contre mille. Tel est le bilan de la glorieuse aventure du Hamas dans la destruction d'Israël.
Je n'excuse pas Israël, je crois que ce gouvernement est coupable, comme l'a déjà dit Louise Arbour, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Mais dans sa folie suicidaire, le Hamas fait pire. Il provoque volontairement le meurtre de ses concitoyens. De toute manière, dans le prêche islamiste, cela augmentera le nombre de «martyrs», doivent se dire ses dirigeants.
J'ai souvent écrit que la pire erreur commise au cours des dernières années dans ce conflit avait été de rejeter le Hamas après son élection, de refuser de négocier avec lui et d'avoir tenté de ne négocier qu'avec le pouvoir pourri de l'Autorité palestinienne. Je le crois encore. Isoler ainsi la plus démunie des populations palestiniennes créait les conditions de l'extrémisme, créait un terreau favorable aux comportements suicidaires. Cela ne justifie pas pour autant l'action du Hamas aujourd'hui, même s'il accepte dans les jours qui viennent de signer une trêve. Le Hamas n'a pas fait campagne en promettant la guerre sainte et le terrorisme. Il dénonçait la corruption des héritiers d'Arafat, promettait des écoles et des hôpitaux qui fonctionnent, un État de droit. Voilà pourquoi le Hamas a été élu. Puis, le parti a usurpé son mandat et consciemment entraîné Gaza dans l'enfer qu'on connaît aujourd'hui avec l'accord opportuniste de politiciens israéliens en campagne électorale.
Quand on mesure mathématiquement les tragédies, le coupable est généralement celui qui tue le plus. Mais plus j'y pense, plus je crois que, s'il existait un tribunal international chargé de juger les crimes commis dans ce conflit, il y aurait deux accusés à la barre, chargés des mêmes crimes contre l'humanité: Israël et le Hamas.
La peur d'écrire
Je n'excuse pas Israël, je crois que ce gouvernement est coupable, comme l'a déjà dit Louise Arbour, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
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