La peur de l'anglais

Écoles passerelles - Loi 115



Par définition, un droit ne peut être fondamental ou non, selon le degré de richesse de celui qui l'exerce. À sa face même, le détour par une école passerelle constitue un passe-droit. Sinon, il faudrait conclure que les dispositions de la Charte de la langue française qui régissent l'accès général à l'école anglaise sont également inacceptables.
Si autant de non-anglophones sont prêts à recourir à un moyen aussi coûteux pour y inscrire leurs enfants, c'est toutefois que cela répond à un désir qu'une société ne peut ignorer. On peut toujours critiquer le chef de l'ADQ, Gérald Deltell, comme on avait critiqué Pauline Marois, quand elle avait dit souhaiter que tous les élèves québécois soient bilingues, mais aucune loi ne peut empêcher des parents de penser qu'une connaissance approfondie de l'anglais serait avantageuse, sinon indispensable, pour leurs enfants.
La Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec l'avait déjà constaté il y a dix ans: «Le discours sur la mondialisation et la présence massive de l'anglais dans les sphères commerciales et, par conséquent, dans les secteurs clés du monde du travail répandent, au Québec comme partout dans le monde, la conviction que l'anglais est désormais indissociable de la réussite sociale.» C'est peut-être désolant, mais cette attraction de l'anglais est une réalité avec laquelle il faudra composer de plus en plus.
Dans son rapport, la Commission recommandait donc «un enseignement concentré de l'anglais avec création d'un environnement culturel anglais» au dernier cycle du primaire, ce qui ressemble à la proposition de M. Deltell, de même qu'au milieu et à la fin du secondaire. Au cégep, elle suggérait un programme optionnel de six cours à l'intention des étudiants qui souhaitent une formation plus poussée en anglais.
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La Commission n'approuvait pas les écoles passerelles pour autant. Au contraire, elle recommandait que «cet effet pervers qui résulte de l'article 23 de la Charte canadienne, adoptée sans l'accord du Québec, soit combattu par tous les moyens disponibles».
La solution était plutôt de mieux enseigner l'anglais dans les écoles françaises, mais les audiences publiques de la Commission avaient révélé que le sentiment d'insécurité culturelle provoquait une forte résistance au bilinguisme chez une grande partie de la population.
La «condition fondamentale» d'une ouverture à l'anglais était que le français apparaisse clairement comme la langue identitaire première de la nation. Ce n'est cependant pas en ouvrant de nouvelles brèches dans la Charte de la langue française ou en laissant se dégrader le visage français de Montréal qu'on va renforcer ce sentiment.
Le gouvernement Charest a voulu favoriser l'apprentissage de l'anglais en l'introduisant à l'école dès la première année du primaire, mais son laxisme général en matière linguistique alimente la peur de l'anglais.
La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, plaide qu'en permettant un détour par une école passerelle seulement à ceux dont le parcours aura été jugé «authentique», à peine quelques centaines d'élèves pourront contourner les dispositions de la Charte.
On a calculé qu'à raison de 500 élèves par année, avec un frère ou une soeur qui aura aussi la possibilité de s'inscrire à l'école anglaise dans trois ans, chacun ayant deux enfants dans 25 ans, un total de 511 000 personnes pourraient avoir fréquenté l'école anglaise plutôt que l'école française dans trois générations. Dans le contexte démolinguistique de Montréal, ce n'est pas négligeable.
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Le passage de plus en plus fréquent d'élèves allophones et surtout francophones au cégep anglais tend à devenir un autre facteur d'insécurité culturelle.
Hier à l'Assemblée nationale, le premier ministre a accusé le PQ de vouloir «fermer les cégeps anglophones». Il sait pourtant très bien que l'extension au niveau collégial des dispositions de la Charte de la langue française ne vise aucunement les anglophones de souche, qui pourront continuer d'étudier dans un cégep anglais. Pas plus que l'élimination des écoles passerelles ne les empêcherait de fréquenter les écoles anglaises subventionnées par l'État.
Les péquistes sont cependant les premiers à savoir que le sujet est politiquement explosif. Pauline Marois elle-même a longuement hésité avant de se rallier à l'idée d'interdire le cégep anglais aux allophones et aux francophones, une mesure que même Jacques Parizeau a réprouvée.
Maintenant que la tenue d'un référendum sur la souveraineté a été renvoyée aux calendes grecques, le cégep en français risque fort de devenir le nouvel article 1 du programme péquiste dans l'esprit de la population. Chose certaine, le PLQ fera tout pour renforcer cette impression.
Le PQ a cependant une obligation de cohérence. Le rapport du comité présidé par Pierre Curzi sur la situation du français dans la région montréalaise constituait un véritable cri d'alarme. À partir du moment où la souveraineté n'est plus envisagée dans un avenir prévisible, le PQ doit proposer d'autres moyens d'assurer ce pour quoi elle avait été proposée au départ: la protection et l'épanouissement d'une société française en terre d'Amérique. La question est de savoir jusqu'où on peut protéger les gens contre eux-mêmes.
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mdavid@ledevoir.com


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