La presse et les vrais scandales politiques

Le scandale, il est rendu dans nos moeurs

En attendant les résultats de l’enquête du vérificateur général, le scandale appréhendé à Ottawa sur les dépenses au Sénat fait une pause. Mais, déjà en campagne, Stephen Harper ne pleurera pas si d’autres libéraux sont pris la main dans le sac. De même, le NPD ferait volontiers de la corruption un thème de la prochaine élection. Pourtant, une classe partisane peu crédible saurait difficilement prétendre nettoyer elle-même l’écurie fédérale. D’où l’importance du rôle de la presse en matière d’éthique politique.

Ce ne sont pas, en effet, l’opposition (alors conservatrice) ni même la police qui ont, par exemple, débusqué le « scandale des commandites », au temps du gouvernement Chrétien. Sans l’effort persistant des journalistes du Globe and Mail, jamais ce détournement de fonds publics en faveur du Parti libéral du Canada n’aurait été mis au jour. Il en aura été de même, plus récemment, des chèques indus de certains sénateurs agissant en faveur de leur parti ou pour leur portefeuille personnel.

À l’époque, il est vrai, quelques politiciens ou mandarins fédéraux avaient fait pire, empochant pensions, indemnité de départ, salaires dans une société d’État, dépenses princières, nouvelle indemnité de séparation et autre pension à vie. Pareille orgie, confirmée par des audits indépendants, avait été dénoncée, du reste, par un ancien patron des Postes, Michael Warren. Passé au secteur privé, cet ancien sous- ministre de l’Ontario s’étonnait que des institutions publiques refusent de divulguer de tels avantages.

Ainsi, un ex-ministre libéral, David Dingwall, défait à l’élection de 1997, allait être parachuté à la Monnaie royale. Ses dépenses ayant fait les manchettes, deux audits indépendants, commandés par la Monnaie, devaient toutefois conclure que tout avait été fait suivant les règles de l’institution. L’homme remit néanmoins sa démission, pour ne plus embarrasser la maison, mais non sans réclamer une indemnité. Même des députés libéraux en furent outrés, mais un arbitre lui donna raison, pour plus de 400 000 $!

Or, a-t-on appris, il y a plus d’une manière de dédommager un serviteur du peuple. Avant d’être nommé à la Monnaie royale, David Dingwall, sitôt défait en 1997, avait signé avec Postes Canada un contrat qui devait rapporter à sa firme de consultant, Wallding International, 15 000 $ par mois. Cette firme formée avec des membres de sa famille a officiellement fermé boutique en 2008. Elle aurait touché, en six ans, près d’un million de dollars de cette source.

Il faudra des années avant que La Presse, qui avait attaché le grelot en 2008, obtienne enfin de Postes Canada - en vertu de la Loi d’accès à l’information - des documents liant cette société d’État à Wallding International. Le quotidien montréalais aurait bien voulu lire les rapports mensuels sur les « enjeux de gestion, de relations du travail et de planification stratégique », pour reprendre les mots de Postes Canada. Mais s’ils existent, ils sont apparemment introuvables.

D’aucuns voudraient qu’on ne déterre pas ces « vieilles histoires », ces « dérapages accidentels », comme s’ils n’avaient aucune conséquence sur les décisions et les politiques de l’État. C’est entretenir une vue bien courte des institutions publiques. Une société d’État est censée agir loin des partis qui se succèdent au pouvoir. Que reste-t-il de son autonomie, de sa compétence et de sa transparence quand elle tombe aux mains de créatures partisanes ? Quelle confiance le public peut-il avoir en elle ?

À cet égard, un Sénat trop peuplé de partisans n’est guère plus rassurant. Certes, des sénateurs oeuvrent à examiner des enjeux publics et à parfaire les lois. Mandat fort honorable. D’autres s’emploient à stimuler la ferveur partisane, voire à épauler la collecte de fonds pour leur parti. Tâches plus discutables. Et certains abusent des fonds publics. Mais il y a pire, quand des sénateurs sont liés à des entreprises, en touchent des dividendes et veillent surtout à les défendre. À quand un examen de ce conflit d’intérêts ?

Le vérificateur général qui étudie les dépenses du Sénat pourra probablement y trouver d’autres horreurs et désigner un peu plus de gens fautifs. Mais il n’a, hélas, pas le mandat d’examiner les liens personnels et financiers d’autres sénateurs, sans doute irréprochables pour les frais de séjour ou de voyage, mais dénués de toute conscience pour la défense des conditions de vie des citoyens. C’est là une tâche à laquelle la presse du pays devrait donner priorité.

Les gens de Lac-Mégantic, par exemple, seraient plus rassurés si la révision des règles sur les transports n’était pas dictée par les industries du rail et si les réformes qui y sont nécessaires sont déterminées d’abord et avant tout par des ministres et des parlementaires ne devant rien à des intérêts extérieurs. On pourrait - même si les désastres y sont moins visibles qu’à l’occasion d’un déraillement - en dire autant en ce qui regarde les mines, les communications et les services financiers.

Autant dire que la presse du pays ne devrait pas attendre le déclenchement de la prochaine élection fédérale pour faire le bilan des enjeux, des partis et, en matière de corruption, de ces failles qui expliquent les scandales, les désastres et les retards d’un pays qu’on dit pourtant prospère et avancé. La presse québécoise, bientôt convoquée aux urnes, pourrait elle-même se faire dès maintenant la main en distinguant au Québec enjeux réels et poudre aux yeux.

Car la bêtise y fait sans doute, là aussi, plus de victimes que le rail.

Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.


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