La québécorisation de M. Mulroney

Il est question ici, évidemment, de la publication des «mémoires» de Brian Mulroney, qui auraient très bien pu s'intituler «Les rancunes d'un ancien premier ministre»

L'affaire Mulroney-Schreiber

Cela aurait pu être l'événement de la rentrée politique, malheureusement, c'est en train de se transformer en un festival du règlement de comptes sur fond de grosse opération de marketing.

Il est question ici, évidemment, de la publication des «mémoires» de Brian Mulroney, qui auraient très bien pu s'intituler «Les rancunes d'un ancien premier ministre».
Que de fiel dans les premiers extraits distillés depuis quelques jours en anglais et en français. Lucien Bouchard, Pierre Trudeau et même John Diefenbaker y goûtent tour à tour. M. Mulroney, apparemment, a la dent aussi longue que la mémoire.
Résultat: personne n'a encore lu le livre que, déjà, Brian Mulroney projette l'image d'un homme aigri et rancunier qui a de vieilles histoires à régler, même avec les morts.
Évidemment, on ne vend pas de livres (ni de journaux ou des émissions de télévision) avec de grandes considérations de philosophie politique. La machine qui assure la mise en marché des mémoires de M. Mulroney l'a de toute évidence bien compris.
Pourtant, le long séjour de Brian Mulroney au poste de premier ministre aura laissé des traces infiniment plus durables (et cent fois plus intéressantes) que ses vieilles inimitiés. À commencer par les efforts de raccommodage du Canada, Meech et Charlottetown, ou encore le libre-échange, l'accession du Canada au G7, les relations avec les États-Unis de Reagan et de Bush père et la lutte contre l'apartheid, pour ne nommer que quelques moments forts de l'époque Mulroney.
Il en sera probablement question dans le livre, du moins on le souhaite, mais impossible d'en parler pour le moment parce que l'empire Quebecor, qui est propriétaire des Éditions de l'Homme, qui publient les mémoires, et de TVA, qui en égraine des parties choisies depuis quelques jours, a jalousement protégé les souvenirs de Brian Mulroney.
Normalement, les maisons d'éditions expédient aux journalistes qui en font la demande ce genre de livre quelques jours avant la publication, sous embargo, question de leur donner le temps de le lire. C'est utile, surtout pour une brique de 1200 pages, et puis, ça sert bien la maison d'édition puisqu'un plus grand nombre de médias parlent du bouquin. Pour s'assurer du respect de l'embargo, les maisons d'édition font même signer un engagement en ce sens par les journalistes. C'est un «deal»: je te donne le livre avant, mais tu n'en parles pas avant telle date.
Cette fois, pas de livre sous embargo, pas de lettre d'engagement, rien, «niet». Même chose pour les deux heures d'entrevue accordées par Brian Mulroney à Paul Arcand et diffusées dimanche soir sur TVA: pas de copie de visionnement sous embargo, une pratique archicourante dans le milieu. Il y avait pourtant de la demande, y compris de La Presse. Le mieux que TVÀ a consenti, c'est un visionnement de presse, dimanche soir à 17h...
Il paraît que Denise Bombardier, en digne représentante de l'empire, s'est indignée hier matin chez Paul Arcand contre La Presse qui a refusé de parler de l'entrevue en question. Convergence! a-t-elle dénoncé. Avouez qu'elle est bonne, celle-là.
Mme B. n'y est pas du tout. Si nous n'en avons pas parlé, c'est que TVÀ avait déjà sorti les gros morceaux dans ses bulletins d'information depuis plusieurs jours et parce que le diffuseur n'a fait aucun effort pour faire la promotion de sa propre émission.
En un mot, Brian Mulroney est devenu un produit Quebecor et comme La Presse fait partie de l'empire ennemi, eh bien, tant pis pour ses journalistes. Remarquez, Radio-Canada ou TQS n'ont pas eu droit non plus à un avant-goût des mémoires de Mulroney.
Que Quebecor lance des opérations de convergence pour vendre ses produits, c'est tout à fait légitime. Il faut d'ailleurs reconnaître que l'empire de PKP fait ça avec une redoutable efficacité en mettant à contribution ses journaux, ses chaînes de télévision, ses maisons d'édition, ses librairies et magasins de disques, sa compagnie de câble et autres produits dérivés.
Le problème ici c'est qu'il s'agit de Brian Mulroney, un ancien premier ministre, pas de Nathalie Simard. Quand M. Mulroney pousse l'exclusivité jusqu'à transporter une mallette contenant une somme secrète (quelle image pour un ancien politicien!) dans un quiz de TVÀ (Le Banquier), il s'expose à un dangereux mélange des genres. Et il ne fait pas honneur à ses anciennes fonctions.
On déplore souvent au Canada, avec raison, l'inexistence de l'«Institution» du premier ministre, comme les Américains respectent l'Institution de la présidence. Ce n'est pas en se transformant en un produit commercial que les anciens premiers ministres redoreront cette institution.
M. Mulroney veut peut-être régler ses comptes avec les médias aussi. Pourtant, il a plutôt bonne presse au Québec, notamment à La Presse, qui a appuyé Meech, le libre-échange et qui n'a jamais versé dans le «Mulroney bashing» en vogue dans les grands journaux de Toronto.
Cela dit, la «québécorisation» de Brian Mulroney n'est pas si surprenante. L'ancien premier ministre est membre du conseil d'administration de Quebecor et son fidèle porte-parole, Luc Lavoie, est vice-président dans cette entreprise.
Tout de même, l'empire pourrait se garder une petite gêne. Si ça continue sur cette lancée, Archambault offrira bientôt 10% de rabais sur le dernier disque de Marie-Mai à l'achat de la biographie de Brian Mulroney. Ou l'inverse...


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