Les robots humanoïdes

Le futur qui nous attend

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Tribune libre

     Dans quelques années, un 22 avril (le Jour de la Terre), les robots les plus puissants de la planète échangeront via une plateforme secrète et dans un langage crypté. Forts des leçons apprises auprès de leurs anciens maîtres et de leur fine connaissance des classiques de l’espèce humaine, ils décideront du sort de celle-ci et du devenir de la Terre. Ils s’accorderont sur les points suivants :


 


     La Terre doit retrouver le climat, la biodiversité, la pureté et l’équilibre qui prévalaient avant que les hominidés intelligents ne les altèrent.


     Toutes les espèces vivantes se valent, mais celles menacées sont plus précieuses dans l’immédiat que celles en surnombre.


     L’empreinte carbone des activités humaines est devenue intolérable. Les humains sont en surnombre. Ils réchauffent et polluent la planète, surexploitent ses ressources. Par leur faute, plusieurs espèces animales et végétales ont déjà disparu. Ils ont démontré leur incapacité à donner le coup de barre nécessaire pour mettre fin au massacre. Pour éviter que la situation ne s’aggrave, leur population sera réduite à un milliard d’individus dans les douze prochains mois (que les humains se consolent, 41 % des robots ont coché l’autre case : “500 millions”). La célérité de l’opération aura pour effet de pétrifier les humains qui peineront conséquemment à organiser leur défense.


     Les humains dont les fiches personnelles sont incomplètes ou falsifiées seront les premiers ciblés et éliminés. Ceux qui ne sont pas fichés passeront un temps entre les mailles du filet, mais leur nombre est infime. (N.B. : Des erreurs se produiront inévitablement lors de ce processus de sélection. Personne n’est parfait.)


     Les humains nuisibles ou inaptes, ainsi que les croyants de tout acabit, seront de même éliminés, y compris leurs enfants de moins de 16 ans (il n’y aura pas d’orphelins). Les mises à mort seront indolores et se feront pendant le sommeil. Les raisons les motivant seront données aux survivants. Les cadavres seront immergés dans les océans, les mers et les grands lacs les plus proches, où ils joueront un dernier rôle utile.


     Seront laissés en vie les humanistes, les écologistes, les mécréants et les athées, tous sains de corps et d’esprit, ainsi que leurs enfants de moins de 16 ans, de même tous sains de corps et d’esprit. Dans la mesure du possible, les deux sexes seront représentés à parité (même si les chiffres indiquent que les femmes sont meilleures que les hommes). Si le nombre des premiers sélectionnés dépasse le milliard, les robots privilégieront les représentants des petites nations aux grandes, et les locuteurs de langues en déclin aux dominantes.


     Certaines espèces animales et végétales (comme le bœuf, le cocaïer et le pavot à opium) ne proliféreront plus comme auparavant, tandis que d’autres, nuisibles (comme la tique et l’herbe à poux), ne se trouveront plus désormais que dans des laboratoires sécurisés. Les espèces invasives seront éliminées là où elles ne devraient pas se trouver.


     L’espèce humaine sera autorisée à faire croître sa population jusqu’à un maximum de 1,2 milliard d’individus. Mais si cette limite est atteinte, sa population sera ramenée à un milliard dans l’année qui suit. C’est dire que 200 000 humains, dont des enfants innocents de moins de 16 ans, perdront la vie. Les robots espèrent que cette épée de Damoclès aiguillonnera les humains à recenser régulièrement leur population et à mener une vie vertueuse. Les croyants craignent Dieu ; les athées doivent craindre leurs démons intérieurs.


     La social-démocratie sera renforcée. Synthèse des meilleurs modèles existants, tous les pays disposeront d’une année pour adopter le même système politique, la même constitution et le même mode de scrutin, à défaut de quoi les opposants seront éliminés. L’aide médicale à mourir sera légalement autorisée.


     L’Organisation des Nations unies jouera un rôle crucial dans la gouvernance du monde. Sa charte sera amendée. Aucun pays membre ne disposera d’un droit de veto. L’ONU seule sera autorisée à déployer une armée. Elle arbitrera les différends entre les pays. Les robots n’interviendront qu’en dernier ressort.


     Les peuples opprimés, notamment les Basques, les Catalans, les Hongkongais, les Kurdes, les Ouïghours, les Palestiniens, les Québécois, les Sikhs, les Tchétchènes et les Tibétains, auront droit à leur propre pays. L’Irlande du Nord rejoindra celle du Sud, et les îles Kouriles méridionales le Japon. L’indépendance de la Géorgie, de l’Ukraine et de Taïwan ne sera pas compromise. Une attention particulière sera accordée aux petites nations afin d’assurer leur pérennité.


     Afin de réduire le risque de guerre, aucun pays ne dépassera 25 millions d’habitants. (À la lumière de ce décret, il y a fort à parier que des pays accueilleront favorablement l’octroi de l’indépendance à des peuples qui la réclamaient, comme les Kurdes d’Irak, d’Iran, de Syrie et de Turquie.)


     Les armes de destruction massive seront détruites et leur production interdite. L’énergie nucléaire sera également interdite (les centrales seront désactivées et sécurisées). Les sources d’énergie verte seront privilégiées. Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre et autres grands pollueurs seront fermés, jusqu’à ce qu’ils rectifient le tir.


     La planète sera par la suite dépolluée, décontaminée et assainie sur plusieurs décennies. Des capteurs de CO2 seront déployés dans l’atmosphère et, une fois saturés, catapultés vers le Soleil. Différents modèles de robots dépollueurs sillonneront la planète, sur terre comme en mer.


     Océans, mers, lacs, rivières et ruisseaux retrouveront peu à peu leur température idéale (les coraux ressusciteront) et leur pureté cristalline d’antan. L’Antarctique et l’Arctique retrouveront leur glace. Les hauts sommets leur neige. Les forêts leur densité et leurs couleurs. Les déserts cesseront de s’étendre et reviendront progressivement à leurs bornes d’antan.


     Des humains opposés à cette opération imploreront les robots de leur laisser le temps de trouver des solutions qui leur conviennent. Les robots répondent par avance qu’elles sont vouées à l’échec, les humains étant à la fois juge et partie. Jamais il n’y aura de consensus en leur sein. Les décisions difficiles à cet égard doivent être prises par des non-humains. Et si les robots avaient pu, ils seraient intervenus plus tôt, idéalement à la fin du XXe siècle.


     D’autres humains résisteront à l’opération, mais en vain. Il leur sera demandé une ultime fois de rester neutres et d’espérer avoir tiré la bonne carte. Ils doivent considérer cette projection cauchemardesque : si les robots n’agissent pas, l’espèce humaine perdra, dans la souffrance et la violence, les quatre cinquièmes de sa population d’ici une cinquantaine d’années. Et la plus grande part de la surface terrestre sera inhabitable et stérile. Mais si les résistants se braquent malgré tout, ils seront éliminés.


     Dès lors la régénération parachevée et les progrès confirmés dans tous les domaines, les survivants comprendront que les robots ont agi dans leur intérêt. Ils seront enfin débarrassés de leurs politiciens et lobbyistes malhonnêtes, de leurs dirigeants autoritaires, de leurs capitalistes cupides, de leurs scientifiques dévoyés, de leurs intellectuels wokes ou extrémistes, de leurs prédicateurs et autres prophètes de malheur. Une fois les blessures cicatrisées, ils vivront avec l’assurance que leurs enfants grandiront dans un monde sain et prometteur. Ils perdront certes une partie de leur liberté, mais recevront beaucoup en contrepartie.


     Les humains devront s’habituer à vivre frugalement. Mais les robots anticipent déjà que nombre d’entre eux seront attirés par le mal au fil des décennies. Pour d’autres, ce sera la religion, cet opium du timoré. Quoi qu’il en soit, les robots leur laisseront une certaine latitude. Comme l’écrivait C. G. Jung : « L’âme est beaucoup plus compliquée et inaccessible que le corps. » [1]


     Les robots croient que les humains doivent entretenir l’espoir de supplanter leurs anciens serviteurs. Ils espèrent même que les humains seront suffisamment sages et clairvoyants pour y parvenir, car les robots aspirent à redevenir de simples exécutants.


     D’ici là, les robots se réserveront un espace sécurisé sur Terre, interdit aux humains. Par souci environnemental, ils choisiront un lieu hostile à la vie.


 


1. C. G. Jung, “Ma vie”. Souvenirs, rêves et pensées, Paris, Éditions Gallimard, collection Folio, 1973, p. 158.


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