La sourde oreille

Enquête publique - un PM complice?



Depuis des mois, tout le monde vante le courage de Robert Bourassa, qui avait osé créer la Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO) dans les années 1970.
Encore hier, le chef de l'ADQ, Gérard Deltell, a invité les députés libéraux à honorer la mémoire de l'ancien premier ministre en se joignant à ceux qui réclament une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction.
Il reste pourtant sur les banquettes de l'Assemblée nationale des députés qui y siégeaient déjà en 1989, quand Jacques Parizeau avait réclamé — devinez quoi? — une enquête publique sur un «immense réseau de patronage» que le gouvernement libéral avait «institutionnalisé».
La mémoire est parfois courte, mais certaines images sont difficiles à oublier. En pleine campagne électorale, un ex-organisateur de M. Bourassa, Réal Deschênes, avait déclaré sous serment que les firmes d'ingénieurs et d'architectes désireuses d'obtenir des contrats du gouvernement devaient absolument s'adresser au grand argentier du PLQ, Tommy d'Errico.
Lui-même ingénieur, M. Deschênes affirmait: «Des ministres, Pierre Fortier, Paul Gobeil, Marc-Yvan Côté, Michel Pagé, me répondaient tous d'aller voir Tommy si je voulais obtenir des contrats.»
Dans une longue liste de contrats accordés à Montréal au cours des trois années précédentes, il avait relevé de très nombreux recoupements entre les professionnels dont les services avaient été retenus et les contributions à la caisse libérale.
Bien entendu, M. Bourassa avait balayé ces allégations «farfelues» du revers de la main, pendant que son entourage avait vu à discréditer son accusateur. Comme on le fait parfois en pareil cas, on avait expliqué que le pauvre homme, dont les affaires allaient mal, «faisait une dépression nerveuse».
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Rien ne dit que M. Deschênes fabulait, mais l'opinion publique ne s'était pas indignée outre mesure. Une fois les élections passées, on n'a plus entendu parler de cette histoire. En réélisant les libéraux avec une majorité écrasante, la population avait tranché et M. Parizeau a bien compris qu'il était inutile d'insister.
M. Bourassa a simplement écarté de son bureau ceux de ses collaborateurs dont le nom était revenu un peu trop souvent. À l'époque, l'accord du lac Meech battait sérieusement de l'aile et le dossier constitutionnel a vite repris le dessus.
La situation dans laquelle se retrouve aujourd'hui le premier ministre Charest est bien différente. Échaudé par son expérience des années 1970, le premier ministre avait été très méticuleux sur l'intégrité de son gouvernement depuis son retour au pouvoir en 1985.
M. Charest récolte au contraire les fruits d'années de laxisme au chapitre de l'éthique. Hier, à l'Assemblée nationale, il semblait avoir à l'esprit l'élection partielle de lundi dans Kamouraska-Témiscouata. Personne ne pourra sérieusement prétendre que cela reflète l'opinion de l'ensemble du Québec, mais une victoire libérale donnerait au moins un répit au gouvernement, ne serait-ce qu'en embarrassant sérieusement Pauline Marois.
M. Charest a raillé la motion de censure présentée par la chef péquiste, qui voulait envoyer les Québécois aux urnes le 27 décembre. Le PQ a aussitôt répliqué qu'en décembre 2002, lui-même avait présenté une motion qui aurait forcé la tenue d'élections le 5 janvier.
En novembre 2007, M. Charest n'avait eu aucun mal à ridiculiser celle de Mario Dumont, qui prétendait faire tomber le gouvernement sous prétexte qu'il refusait d'abolir les commissions scolaires. Saut à l'ADQ, qui avait tenu un débat houleux sur la question, le sort des commissions scolaires ne préoccupait cependant personne, alors que plus de 80 % des Québécois réclament une enquête sur l'industrie de la construction.
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Ni Pauline Marois ni Gérard Deltell n'ont cru un seul instant que des députés libéraux pourraient écouter la voix de leur conscience et concourir à la chute du gouvernement. L'omerta libérale qui s'est manifestée au dernier conseil général du PLQ n'est même pas en cause. Il n'y a tout simplement aucun député libéral qui ait envie de se retrouver en campagne électorale.
Le malaise est pourtant bien réel. Contrairement à ce qui est arrivé à Réal Deschênes en 1989, personne n'a laissé entendre que le candidat libéral de Masson à l'élection de 2008, David Grégoire, souffrait de dépression nerveuse. La ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, l'a même félicité d'être allé raconter à la police qu'il avait accepté de l'argent comptant d'un entrepreneur en construction.
L'Assemblée nationale a l'habitude des dialogues de sourds. Le problème est plutôt que le gouvernement fait la sourde oreille aux récriminations quasi unanimes de la population. Conscient que quelques coups de filet policiers, aussi spectaculaires soient-ils, ne suffiront peut-être pas à apaiser la grogne,
M. Charest a indiqué que de nouveaux mécanismes de surveillance de l'industrie de la construction seraient bientôt annoncés, vraisemblablement inspirés du Department of Investigation de New York, que le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, louangeait samedi dernier dans Le Soleil. L'idée n'est pas mauvaise, mais l'entretien ménager n'a de sens qu'après un grand nettoyage.
Le premier ministre a parfaitement raison de dire que l'Assemblée nationale ne doit pas se transformer en tribunal populaire. Ce n'est pas davantage le rôle des médias. D'où la nécessité d'une commission indépendante.


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