Irrépressible corruption

Québec mijote-t-il un ultime expédient ?

Enquête publique - un PM complice?





Depuis l'éruption de scandales au sein de la construction, le cabinet Charest a fortement combattu toute idée d'enquête publique, y voyant même un obstacle au «travail de la police». Un scepticisme allait donc accueillir, ces jours-ci, la rumeur d'un recours, sous forme inédite, à une commission indépendante. Aux yeux du public, il est vrai, les enquêtes policières que Québec a multipliées, les Marteau, UAC, UPAC, paraissent n'aller nulle part. Québec mijote-t-il un ultime expédient?
Et d'où vient cette étrange difficulté à trouver la bonne commission qui pourrait enfin éclairer l'Assemblée nationale, réveiller le ministère de la Justice et le Directeur des élections, secouer les ordres professionnels et rassurer la population? Le public n'en a guère le souvenir, mais, depuis plus d'un siècle que le pays recourt à la solution appropriée, elle n'a rien d'un mystère. Aussi, le spectacle de ces députés attendant d'un Jacques Duchesneau qu'il leur en dessine une formule était-il plutôt pathétique!
Autrefois, on l'appelait commission royale d'enquête. Au Canada, ces commissions traiteront du bilinguisme et du multiculturalisme (Laurendeau-Dunton), du statut de la femme, d'un futur système de santé, de la Gendarmerie royale (McDonald), des nations autochtones, du libre échange. Au Québec, elles se sont penchées sur la chute du pont de Québec (1907) tout comme, un siècle plus tard, sur l'effondrement du viaduc de la Concorde à Laval. Mais aussi sur le système d'éducation (Rapport Parent).
Les unes ont étudié de grands enjeux collectifs. Elles furent rarement spectaculaires, bien qu'elles aient fourni plusieurs éléments de politiques nouvelles dont l'influence se fait sentir encore aujourd'hui. D'autres ont examiné des situations dangereuses ou scandaleuses mettant en cause l'intégrité d'institutions publiques. Une commission (Castonguay-Nepveu) s'est illustrée, sans trop d'éclats, dans le domaine de la santé. De façon plus percutante, une autre (Gomery) a nettoyé l'écurie des «commandites».
Commissions controversées
Quelques-unes ont été controversées. Ainsi, en 1960, sitôt élu premier ministre, Jean Lesage déclenche une enquête sur l'administration de l'Union nationale. Le juge Élie Salvas va confirmer que les achats du gouvernement Duplessis alimentaient une caisse électorale occulte. De même, des ministres et des fonctionnaires s'étaient enrichis à même la privatisation d'une ressource publique (ce célèbre «scandale du gaz naturel» que Le Devoir avait fait éclater). L'Union nationale, certes, aura vu dans la commission Salvas une opération de «salissage». Ce parti va, malgré tout, réussir à reprendre le pouvoir, en 1966.
Dix ans plus tard, le «bon gouvernement» d'un René Lévesque, héritant d'un chantier olympique inachevé, confie au juge Albert Malouf une enquête publique qui mettra en cause des entrepreneurs et des politiciens. Dans son rapport, le commissaire va cependant blâmer non pas le premier ministre Robert Bourassa, comme on le souhaitait au PQ, mais le maire de Montréal, Jean Drapeau, chef improvisé d'un chantier qui faillit échouer.
Dans le cas des scandales actuels, une commission n'est plus écartée, apprend-on, mais elle n'est qu'une des «options» que le premier ministre dit considérer. L'opposition accuse Jean Charest de refuser cette solution, qui risquerait, dit-on, de porter au Parti libéral un coup peut-être fatal. À vrai dire, le PQ lui-même sortirait-il indemne d'un pareil exercice de vérité? Plus généralement, une telle enquête ne ferait-elle pas aussi apparaître, au sein de quelques ministères et de sociétés d'État, des aveuglements volontaires qui ont contribué à cette honteuse gangrène nationale...
Mandat difficile
Le mandat de cette commission introuvable n'est pourtant pas difficile à rédiger. Le système des soumissions arrangées, l'exclusion de la concurrence, l'intimidation mafieuse, les extras aux contrats publics, tout cela est déjà du domaine public. Les fonds électoraux d'entreprises déguisés en dons individuels sont, depuis 30 ans, un secret de Polichinelle! Et cette magnanimité des entrepreneurs — qui rénovent gratuitement des propriétés d'élus municipaux —, quelques résidences cossues du gratin québécois n'en auraient-elles pas bénéficié elles aussi?
Plus difficile sera le recrutement de commissaires indépendants. Qui voudrait, en effet, s'enfermer dans une enquête à huis clos? Mais surtout, après la commission Bastarache, quel juge sera disposé à présider une enquête promise d'avance à des attaques, politiques bien sûr, mais aussi judiciaires et médiatiques? Faudra-t-il faire venir des commissaires d'Australie? Déjà, vu l'importance des enjeux, on imagine sans peine la horde — avocats partiaux, experts contradictoires et témoins amnésiques — qui viendra compliquer la tâche d'une commission.
Au reste, la corruption qui s'est installée au Québec n'est pas limitée au domaine de la construction. D'autres secteurs, publics et privés, en sont menacés. Les raisons d'un pareil effondrement éthique ne tiennent pas seulement à la cupidité galopante qui affecte la Belle Province. Des failles dans les institutions publiques expliquent également qu'un pareil désordre ait pu s'ériger en système, jouir d'une immunité étonnante, et susciter si peu de réaction des grands services d'inspection et de police.
Autant dire qu'une réforme de l'État québécois s'impose, non seulement pour écarter des fonds publics les prédateurs de contrats, mais aussi pour protéger les simples citoyens de ces entreprises, trop nombreuses, qui n'ont d'honorable que les apparences.
***
redaction@ledevoir.com
***
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->