La tentation pacifiste

Le Canada en Afghanistan


Rien n'est plus facile que de condamner l'usage de la force, surtout lorsqu'il produit des résultats apparemment ou visiblement contraires à ceux escomptés. Ce jugement rapide est à la portée de tout le monde mais la vraie question est de savoir si le recours à la force est en passe de devenir par définition condamnable. De tout temps, le mouvement pacifiste a soutenu que les guerres étaient inutiles et qu'il fallait trouver d'autres modes de résolution des conflits. Faut-il aujourd'hui céder à la tentation pacifiste?
Il n'y a pas de tradition pacifiste au Canada. On peut même considérer que c'est par sa participation à la Première et à la Seconde Guerre mondiale que le Canada s'est forgé une identité sur la scène internationale. Existerait-il une tradition pacifiste au Québec? Pour s'en convaincre d'aucuns pourraient vouloir utiliser les crises de la conscription. Or, il est clair qu'en 1917 comme en 1942 le moteur essentiel de l'opposition à la conscription n'était pas tant le refus de la guerre que la volonté, déjà, de s'affirmer comme société distincte. Il est vrai qu'au début de la Seconde Guerre mondiale certains ont affirmé que cette guerre n'était pas la nôtre mais, aujourd'hui, qui oserait encore le prétendre? Ce serait renier notre contribution à la victoire contre le fascisme et faire injure à la mémoire de ces milliers soldats québécois qui sont morts pour la liberté d'autrui.
Très large consensus
La participation du Canada aux missions des Nations unies, quant à elle, a toujours fait l'objet d'un très large consensus et il faut espérer qu'il continuera d'en être ainsi même si la nature de ces missions, au fil des années, a profondément changé. Les occasions de faire respecter une ligne de cessez-le-feu entre anciens belligérants, comme nous l'avons fait pendant 35 ans à Chypre, ne se présenteront plus. Toutes les missions de paix sont aujourd'hui des missions périlleuses où l'usage de la force est nécessaire. La mission en Afghanistan est particulièrement difficile mais s'opposer à la présence sur le terrain des troupes canadiennes c'est tourner le dos à des décennies de soutien indéfectible aux institutions multilatérales que sont les Nations unies et l'OTAN. Mourir à Kandahar, c'est aussi, et encore, mourir pour la liberté d'autrui.
On peut très bien avoir été contre la guerre en Irak et avoir trouvé disproportionnée la réponse d'Israël aux attaques du Hezbollah sans être pacifiste. Il faut résister à la tentation pacifiste car il y a des guerres qui méritent d'être livrées et il est relativement facile de les reconnaître. Ce sont celles qui respectent le droit international et qui ont reçu l'aval des institutions multilatérales.
Mais il y a aussi une forme de tentation pacifiste à laquelle on voudrait voir certains chefs d'État et de gouvernement succomber. C'est celle qui consiste à reconnaître qu'il n'y a pas de solution militaire à certains conflits. C'est celle qui consiste à parier sur la paix et la réconciliation. Cela demande autant d'audace et de courage que de faire la guerre, peut-être plus. Les exemples ne sont pas nombreux mais ils existent. C'est l'exemple de Willy-Brandt, résistant de la première heure, qui prend sur ses épaules tous les crimes de l'Allemagne nazie et va s'agenouiller à Varsovie. C'est l'exemple aussi de de Klerk et de Mandela qui, sans violence, sortent l'Afrique du Sud de l'apartheid. Il y a enfin l'exemple de la réconciliation franco-allemande et de la construction européenne.
Les pères de la première communauté européenne, celle du charbon et de l'acier, devraient inspirer tous ceux qui cherchent ou devraient chercher à surmonter les conflits historiques qui les opposent à leur voisins. Construire quelque chose ensemble de façon à avoir autre chose à partager que la peur de voir mourir ses enfants. Avant toute chose, abandonner la certitude d'avoir toujours raison.
Marie Bernard-Meunier
_ Chercheure invitée à l'Institut allemand de la Sécurité et des Affaires internationales, diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada en Allemagne de 2000 à 2004.

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Diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d'administration du CERIUM.





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