Le prestige de l'indépendance

Hubert Aquin


Texte lu par l'auteure, lundi 7 novembre, lors du débat inaugurant le colloque Hubert Aquin.
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Afin de vous indiquer d'emblée mon point de vue sur le thème débattu ce soir, je vous informe que je suis indépendantiste. Je le suis devenue à l'automne 1956, en assistant à quelques cours de l'historien Maurice Séguin qui renouvelait radicalement la compréhension de notre histoire nationale. Depuis, je milite pour l'indépendance nationale du Québec. Ce qui signifie qu'il y a 50 ans que j'ai irréversiblement rompu avec le nationalisme traditionnel, d'une part, et que, d'autre part, je n'ai jamais été une souverainiste aux diverses modes péquistes. Par conséquent, je ne suis pas fatiguée.
Car, il s'agit bien de cela, n'est-ce pas? Et vous le savez. Nous le savons tous. Même ceux qui par peur ou par opportunisme font semblant de ne pas le comprendre. Malheureusement, ils sont nombreux et occupent souvent des postes de pouvoir.
Qu'a donc écrit Hubert Aquin dans La fatigue culturelle du Canada français qui serait encore pertinent, pour ne pas dire plus actuel que jamais?
D'abord, et c'est à mon avis, l'idée centrale du texte, il affirme que « Le Canada français est une culture globale » autrement dit, et il le dit, « une culture nationale » dont « le séparatisme canadien-français n'est qu'une de ses manifestations constituantes » et spécifie-t-il, « sa force de frappe est plus grande que celle de toutes les autres formes d'existence culturelle parce qu'elle contient un germe révolutionnaire qui peut remettre en question l'ordre constitutionnel établi à l'échelle du Canada ». Mais, précisément, c'est parce que ce séparatisme n'est continuellement qu'un germe, que « La culture canadienne-française offre tous les symptômes d'une fatigue extrême ».
Qu'en est-il aujourd'hui? Le Québec en tant que culture globale est-il encore dans la fatigue décrite par Hubert Aquin?
Je ne le crois pas.
Le peuple québécois est loin d'être fatigué, si ce n'est de ses fatigants, de ses élites politiques de tous poils, nationalistes à l'ancienne, tels les Robert Bourassa et ses disciples, à la moderne, tels les René Lévesque, ses successeurs et ses adeptes, qui tentent sans cesse, sans vergogne, et heureusement sans réel succès, de le détourner du seul chemin qui le mènerait à sa pleine émancipation, à savoir à son indépendance nationale.
Car, il s'agit bien de cela.
Loin d'être fatigué, le peuple québécois est plus créateur, plus dynamique, plus solidaire, plus fier, plus puissant, plus vivant qu'il ne l'a jamais été, au cours de son histoire. On ne compte plus ses scientifiques et ses inventeurs, ses artistes et ses écrivains dont les découvertes et leurs applications, dont les œuvres et leurs interprétations ne soient reconnues ici et dans le monde autant pour leur caractère unique que pour leur exacte insertion dans la modernité. Il en est de même du rôle de l'industrie, de celui des institutions et de celui des inventions technologiques dans le développement culturel. Et que dire des multiples manifestations de la culture populaire qui ne cessent de s'inventer des fêtes et des festivals, de fouiller dans sa généalogie, de fabriquer des fromages, de mettre en valeur chaque attrait touristique de ses villages.
Et, progrès incommensurable par rapport au tournant des années 1960, le peuple québécois se prend lui-même de plus en plus comme point de références, les œuvres des prédécesseurs, dans tous les domaines du savoir, de l'art, et de l'entrepreneurship, devenant source d'inspiration et de re-création, accomplissant, ce qu'Aquin disait : « Plus on s'identifie à soi-même, plus on devient communicable, car c'est au fond de soi-même qu'on débouche sur l'expression. » Ainsi, est disparu un des symptômes de notre fatigue identifié par notre auteur : la nécessité du déracinement et de l'exil, de la percée à Ottawa et de la ratification du talent à Paris.
Loin d'être fatigué, le peuple québécois commence même à donner naissance à des philosophes, c'est-à-dire à des penseurs qui posent sur sa société et sur le monde un regard qui lui est propre, et qui lui renvoie de lui-même et du monde une représentation qui lui est à la fois particulière et universelle. C'est un des aboutissements, et pas le moindre, du travail de désaliénation entrepris par le mouvement indépendantiste, à la fin des années 1950 et mené sans cesse depuis.
Que cette représentation soit sévère pour lui-même, voire même négative, parfois, n'est pas de la plus grande importance. L'important, c'est que, grâce à ce travail de la pensée, les Québécois ne se laissent plus définir par les autres. Les vues méprisantes des Jane Wong et compagnie indignent désormais jusqu'au désâmé Jean Charest. En effet, un des plus grands acquis de la lutte pour l'indépendance tient au fait que les Québécois de nationalité canadienne-française se sont sorti de la névrose collective du doute qui les amenait à se laisser définir par les autres, à se percevoir comme un peuple aliéné incapable de concevoir son identité nationale comme une et indivisible, aussi métissée qu'elle soit devenue, à se percevoir comme un peuple toujours obligé de prouver la légitimité de son existence. Et cela, malgré tous les discours adverses, tenus par les oligarchies politiques et économiques canadiennes et leurs valets québécois, et puissamment diffusés.
Loin d'être fatigué, le peuple québécois est plus engagé que jamais de manière combative et efficace dans des mouvements de toutes sortes (8000 organismes communautaires locaux, des dizaines de mouvements sociaux organisés sur une base nationale et des centaines de syndicats) qui défendent ses intérêts collectifs, dans tous les domaines : développement de son économie sociale; protection de l'environnement, promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes; promotion d'un plus juste partage de sa richesse, celle tirée de l'exploitation de ses ressources naturelles, celle tirée des fruits de son travail dans l'industrie, le commerce, l'éducation, celle tirée de sa créativité, de son savoir et de son savoir-faire. Sans oublier les projets de société qu'il élabore, et les débats idéologiques qu'ils proposent et suscitent.
Loin d'être fatigué, le peuple québécois maintient à plus ou moins 45% son appui à sa pleine émancipation nationale, alors même qu'aucun leadership indépendantiste ne la lui propose plus, depuis plus belle lurette. Alors même, qu'au contraire, ceux qui se prétendent les principaux porteurs du projet lui présente l'indépendance comme une option radicale qu'ils n'osent même pas appeler par son nom, pendant que les nationalistes flous et mous, la lui présente comme un mal nécessaire auquel il devra éventuellement se résigner après épuisement de tous les compromis possibles. Et, pourtant l'option demeure bien vivante. Si bien qu'elle renouvelle son discours. Par conséquent, celui-ci porte de plus en plus sur les nouveaux enjeux qui fondent la nécessité et l'urgence de l'indépendance qui sont : la transformation à un rythme sans cesse accéléré de la fédération canadienne en un État unitaire; la diversité ethnique grandissante du Québec; la participation autonome au processus universel de la mondialisation de tous les échanges.
Oui, le Québec est une culture globale, portée fièrement à bout de cœur et de bras par le peuple québécois, bien que menée à bout de souffle par des politiciens assoiffés de pouvoirs, aussi provinciaux qu'ils soient; par des hommes d'affaires assoiffés d'argent qui vendent impunément aux sociétés étrangères les plus offrantes, les entreprises qu'ils ont bâties avec l'argent du peuple, via le soutien de la Caisse de dépôts et placements et autres institutions nationales de financement, via, aussi, l'exploitation de son travail; menée à bout de souffle par des intellectuels qui n'accomplissent pas leur travail d'élaboration de nos priorités nationales, laissant à l'ennemi l'espace où imposer sa vision et son langage, et qui trahissent ainsi leur fonction d'engagement et d'exemplarité; par des journalistes de plus en plus soumis aux dictats patronaux d'une presse de plus en plus concentrée et convergente, et qui acceptent trop facilement d'être les courroies de transmission des discours qui ont pour seul but de faire croire au peuple québécois que les intérêts économiques et politiques de toutes les Power Corporation du Québec, du Canada, voire du monde, sont les siens.

Non, le peuple québécois n'est pas fatigué. Ce sont ces détenteurs des pouvoirs politique, économique et médiatique qui dominent en nombre à l'Assemblée nationale, dans les conseils d'administration des sociétés privées et publiques, dans les partis politiques, dans les universités, chez les chefs de pupitres et d'antennes qui créent de toute pièce ce climat de morosité dans lequel nous baignons apparemment, depuis l'après-référendum de 1995. Ce sont eux qui décrètent que le peuple québécois en a assez des débats constitutionnels et politiques sur la question nationale et que le temps est venu de la dénationaliser en rapetissant sans fin la définition de la nation, allant jusqu'à la réduire à la question citoyenne, comme s'il était possible de mener à bien la lutte pour l'indépendance nationale sans la fonder sur l'expérience historique de la nation canadienne-française, qui forme encore aujourd'hui la majorité du peuple québécois. Ce sont eux qui décrètent que ce peuple est fatigué, afin de lui renvoyer une image molle de lui-même dans le but et l'espoir de le rendre inoffensif, aussi inoffensif qu'il l'était avant l'avènement du mouvement indépendantiste, au temps de la grande fatigue culturelle du Canada français, telle que décrite et analysée par Hubert Aquin.
Mais le peuple n'est pas aussi dupe que le voudraient ces élites asservies, comme il le démontre avec force dans les conflits qui l'opposent à ces intérêts étrangers aux siens, non seulement dans des gestes de protestation, mais avec des propositions de manières différentes de faire. Je crois qui si un intellectuel aussi clairvoyant qu'Hubert Aquin posait aujourd'hui son œil de lynx sur le Québec comme culture globale, il y décèlerait moins nos quelques réels symptômes de fatigue que les manifestations de notre formidable énergie nationale qu'il est urgent de canaliser. Et il nous inviterait alors au devoir de limpidité et à la nécessité de rétablir le prestige de l'indépendance, de la rendre désirable.
Car il ne saurait y avoir œuvre d'émancipation nationale - ni autre d'ailleurs - qu'inscrite dans une approche véridique et sans concession de la réalité, puisqu'on ne peut mener un peuple, pas plus le peuple québécois qu'aucun autre, à vouloir, à faire et à assumer son indépendance, en prétendant l'y conduire en catimini, dans une démarche qui l'écarte totalement du processus.
Il est en effet devenu impérieux que les groupes sociaux et mouvements politiques indépendantistes, depuis trop longtemps assujettis à l'hégémonie du Parti québécois, reprennent l'initiative de leurs propres combats et retrouvent toute leur liberté d'action.
Car il s'agit bien de cela.
La fatigue qui nous guette et qui pourrait nous entraîner dans un cul de sac définitif est inscrite dans l'actuelle manque de mobilisation et d'action constante des forces de contestation de l'ordre constitutionnel et politique établi. La fatigue qui nous guette est inscrite dans le report, une fois de plus, d'adopter une véritable stratégie qui engagerait un véritable combat mené sur le terrain de l'indépendance, le seul qui peut à plus ou moins long terme conduire le Québec à la victoire décisive.
Je termine en citant un très beau vers de Pierre Perrault :
La liberté saute d'abord du train... et c'est au milieu du saut qu'elle se nomme.


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Andrée Ferretti124 articles

  • 119 472

"Rien de plus farouche en moi que le désir du pays perdu, rien de plus déterminé que ma vocation à le reconquérir. "

Andrée Ferretti née Bertrand (Montréal, 1935 - ) est une femme politique et
une écrivaine québécoise. Née à Montréal dans une famille modeste, elle fut
l'une des premières femmes à adhérer au mouvement souverainiste québécois
en 1958.Vice-présidente du Rassemblement pour l'indépendance nationale, elle
représente la tendance la plus radicale du parti, privilégiant l'agitation sociale
au-dessus de la voie électorale. Démissionnaire du parti suite à une crise
interne, elle fonde le Front de libération populaire (FLP) en mars 1968.Pendant
les années 1970, elle publie plusieurs textes en faveur de l'indépendance dans
Le Devoir et Parti pris tout en poursuivant des études philosophiques. En 1979,
la Société Saint-Jean-Baptiste la désigne patriote de l'année.
Avec Gaston Miron, elle a notamment a écrit un recueil de textes sur
l'indépendance. Elle a aussi publié plusieurs romans chez VLB éditeur et la
maison d'édition Typo.





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    7 novembre 2006

    Pour répondre à Madame Ferretti, un texte oublié....
    Vous êtes pas tannés de mourir, bandes de caves ?
    Ci-git un peuple mort en chemin pour n'avoir pas su où il allait.
    En 1970, sur la murale du Grand Théâtre de Québec, l'artiste Jordi Bonnet avait gravé, au grand scandale d'un bon nombre de Québécois, cette phrase du poète Claude Péloquin : Vous êtes pas tannés de mourir, bandes de caves? C'est assez!»
    La phrase fit scandale à l'époque et d'aucuns supplièrent les autorités de l'illustre bâtiment, consacré aux beaux-arts, de faire disparaître un tel affront à la grande culture. Il faut en convenir, le texte n'était pas écrit dans un français impeccable. Cependant, il avait le mérite de dire ce que ça voulait dire.
    Bien des Québécois ont lu ce texte en se rendant écouter les artistes «provinciaux», les vedettes du grand théâtre et de la chanson internationale. Plusieurs l'ont cité dans un écrit quelconque et, trente ans plus tard, quelques jeunes Québécois se souviennent d'avoir lu, quelque part, cette courte phrase dans un quelconque texte, dans une revue ou dans un papier qui parlait de l'apathie du peuple québécois.
    Claude Péloquin était-il allé trop loin en «nous» traitant de «bandes de caves» ? Pas sûr ! La précision était là; l'effet fut remarqué mais les Québécois ne prirent conscience que partiellement qu'ils étaient ce qui était écrit sur le mur de l'illustre théâtre. A mon sens, il faudrait réécrire ce texte en lui donnant les couleurs du temps, la teinte d'une époque tricotée par le nihilisme, le défaitisme, le nombrilisme, l'individualisme, le narcissisme. Car, l'avachissement est à son comble. Le peuple se meurt de ne plus avoir d'idéaux, de combats collectifs. Il lui faudrait un électrochoc, un sursaut qui viendrait de l'intérieur. Un coup de théâtre, quoi!
    Comme le peuple ne semble pas avoir compris, trente ans après, je sens en moi monter une certaine colère. Je sens que je dois dire ce que je vais écrire, comme un coup de coeur, comme un cri qui se doit d'être lancé.
    Québécois, vous êtes pas écoeurés, tannés, exaspérés, fatigués, en beau maudit, en beau fusil, en beau tout ce que vous voudrez, de vous faire exploiter, manger la laine sur le dos; vous n'êtes pas tannés de vous faire mentir, de vous faire culpabiliser par les forces économiques, les forces politiques, les propagandes, les publicités fédérales, les publicités québécoises, les annonces dans les journaux de vendeurs de toutes sortes de choses qui ne vous serviront à rien ? Vous n'êtes pas tannés de vous faire mener par des gens qui n'ont le goût que de garder le pouvoir pour mieux s'engraisser, se remplir les poches, tannés de voir des gens courir après le même pouvoir pour faire exactement ce qu'ils ont dénoncé chez ceux qui l'exerçaient avant eux ?
    Vous êtes pas écoeurés, tannés, fatigués d'entendre parler les politiciens, de gauche ou de droite, du centre et de l'extrême centre, dire toujours ce qu'ils ont envie de faire avec les moyens qu'ils n'ont pas et n'ont aucun espoir d'avoir, de vous faire claironner par ces mêmes politiciens que c'est toujours la faute du gouvernement précédent si ça ne marche pas, que c'est toujours la faute de l'autre gouvernement si ce gouvernement d'ici ne fonctionne pas, que la Constitution, ce n'est pas si important que cela et que même si le Québec n'a pas signé celle de 1982, ça peut fonctionner quand même, alors que ceux qui crient de telles inepties savent bien que c'est tout à fait le contraire, que tout pays normal vit à partir de sa première loi écrite qui est la loi constitutionnelle de base et que c'est sur cette loi fondamentale que s'assoient toutes les autres lois écrites par le Parlement ?
    Vous êtes pas tannés de vous faire lessiver le cerveau tous les soirs avec les bulletins de nouvelles qui recommencent et répètent «ad nauseam» toujours les mêmes niaiseries sur Mom Boucher, sur les meurtres de la veille, les scandales sexuels de l'Église catholique romaine, sur les divorces, les séparations, les enfants et les femmes battues, les avortements à la tonne, les vieillards abandonnés au bout des rues, les décrocheurs de nos belles écoles chromées et polyvalentes, les récriminations de nos prisonniers mieux logés que n'importe quel pauvre de nos cités dortoir, nos pauvres qui gèlent dans les rues de Montréal en plein mois de février ? Vous êtes pas tannés d'entendre Jean Charest nous dire qu'il n'a rien à nous dire, de voir le petit Mario dire qu'il peut tout faire en ne nous montrant jamais comment il pourra le faire, de voir Landry, un matin, séparatiste, glissant sur les chiffons rouges et le lendemain, encensé les fédéraux parce qu'il a reçu un petit chèque inattendu, inespéré, claironnant comme Duplessis, qu'on nous a tout simplement remis notre butin ?
    Vous êtes pas tannés de n'entendre que du négatif, des choses en noir, des bulletins de nouvelles qui commencent par les meurtres de la rue Saint-Laurent, les vols, les viols, les escroqueries dans les gouvernements, les conflits dans les hôtels de villes, les vendeurs de «pot» dans nos écoles, les filles-mères désolées, les sidéens qui ne se comptent plus, les malades qui dorment dans les corridors, les médecins essoufflés, les garde-malades épuisées, les enseignants ébranlés et en «burn out», les écoles qui se cherchent, qui parlent d'éducation mais qui n'en connaissent plus le contenu et le sens du mot, les étudiants désorientés, déboussolés, sans idéal, qui décrochent à pochetée même si on les entretient à coup de milliards par année?
    Vous êtes pas tannés de voir nos richesses naturelles s'envoler, notre pays spolié, vendu au plus offrant, nos usines fermées, notre décor pollué, nos mers empoisonnées, nos lacs vidés, nos rivières saccagées, nos forêts dilapidées par des compagnies venues de l'étranger ? Vous êtes pas tannés de voir nos épargnes engraisser les pouvoirs étrangers, nos économies s'envoler, notre travail méprisé, nos sueurs engraisser l'exploitant venu de je-ne-sais où et du «cheap labor» de vos concitoyens exploités ? Vous êtes pas tannés de voir tout ça, devant vous, en écoutant vos télé-romans préférés, vos parties de hockey bien organisées, avec vos peanuts et vos bières qui vous font engraisser ?
    Vous êtes pas tannés d'entendre les nouvelles du fédéral avec les odeurs de scandales qui flottent sur la Chambre des communes, la barque bloquiste qui voit ses matelots quitter l'embarcation qui coule, la barque péquiste dans la même position avec un capitaine sans vision, mettant le cap sur tout, sauf sur l'essentiel qui est la souveraineté? Vous êtes pas tannés de voir le parti, voué à l'indépendance, devenir de jour en jour, voué à la dépendance, à la sauvegarde des intérêts personnels de l'équipage, la satisfaction des petits goûts personnels des passagers, leurs carré de sable, et leurs petits joujoux du moment dont ils ne peuvent plus se passer ?
    Vous êtes pas écoeurés d'entendre tout cela ? Vous êtes pas écoeurés de vivre de même, dans le trou, dans le noir, dans le nihilisme, le suicide collectif et individuel ? Les Québécois avaient, en 1970, il me semble, dans leur coeur, un grand projet, beau, net, ensoleillé, stimulant, pouvant faire chanter, à l'époque où il est né, tout un peuple qui se levait dans l'enthousiasme et la fierté, lui faire crier que c'était le début d'un temps nouveau, si longtemps espéré ?
    Même là aussi, le peuple québécois n'a pas réussi. Là aussi, il a manqué son coup parce qu'il y a eu des gens qui l'ont méprisé, qui l'ont bafoué dans ce qu'il y a de plus beau au monde, à savoir la liberté et les engagements personnels et collectifs pour la faire fleurir en des moments inespérés. Là aussi, on a vu et entendu des gens qui ont dit que le peuple n'était pas capable, que tout allait se faire tout seul, sans combat, et que tout allait surgir comme par pure nécessité, comme par enchantement, parce que la liberté, selon eux, était inévitable, à portée de mains, sans combat obligé!
    J'ai envie de vous crier, de vous dire, Québécois endormis, sommeillants, écrasés, avachis, que la phrase de Péloquin est véritablement en train de se réaliser sous vos yeux, sans que naisse, en votre coeur, le début d'une petite réaction espérée. Que vous allez tous mourir de votre inaction et de votre confort caché dans votre indifférence bien camouflée. Mais je sais que vous n'allez pas me croire, moi non plus, et que je vais passer pour un exalté, un décroché, un déconnecté, un gars alarmiste, un épouvantail à moineaux, perdu dans les grands espaces que les étrangers nous ont volés.
    J'entends, cependant, dans le lointain, les choeurs joyeux d'une nouvelle jeunesse qui reprend le chant de notre délivrance abandonnée. Ceux qui l'ont bousillée, à cause de leurs petits intérêts personnels et mesquins, doivent, de toute urgence, se joindre à cette chorale juvénile des temps nouveaux, l'espace d'un moment, pour compléter ce que la «bande de caves» n'a pas réussi à réaliser, pendant que des chorales bien plus petites à travers le monde (une vingtaine depuis 1990) ont réussi à faire avec des chanteurs et des musiciens de qualité souvent des fois bien inférieurs à la nôtre. Cela, je l'ai vérifié !
    Écrire tout ce que je viens de dire, ça prendrait plus que les murs du Grand Théâtre : ça prendrait le Colisée Pepsi, le Centre Molson, le stade Olympique qu'on n'a pas fini de payer, la place des Arts de Montréal, et quoi encore que mon imagination n'arrive pas à localiser. Si on n'arrive pas à faire claironner nos espoirs dans le concert d'une nation unifiée, alors, il faut retourner au Grand Théâtre de Québec, pour effacer la phrase gravée par Jordi Bonnet, il y a quelques années.
    Il faudrait que quelqu'un passe et écrive :
    Ci-gît un peuple mort en chemin
    Pour n'avoir pas su où il allait.
    Je sais que cet artiste ne passera pas, puisque chaque Québécois est en train d'écrire sa propre condamnation, sans même qu'il s'en rendre possiblement compte, tellement son amnésie est avancée. Une page est en train de se tourner. Il n'y a pas de mort pire que celle d'un peuple qui se condamne lui-même par sa propre inaction, son silence concerté.
    Mais, selon moi, il faut croire, malgré tout, à la petite chorale, qui, dans ce matin nouveau, commence à chanter. Malgré mes 62 ans, une voix éraillée, j'ai toujours envie de me joindre à cette petite troupe, juste le temps d'un refrain oublié!
    9 mai 2002

  • Luc Bertrand Répondre

    7 novembre 2006

    Bravo Madame Ferretti! Je suis très heureux de voir que vous n'avez rien perdu de votre enthousiasme du temps du RIN! Hubert Aquin aurait certainement la même lecture que vous de la situation sur le front de notre indépendance nationale. Comme le dit si bien Robert Laplante, directeur de L'Action nationale, il reste toujours difficile pour nous, les vrai(e)s militant(e)s, de secouer les "colonnes du Temple", une belle image pour représenter ce qu'est devenu ce qui devait être le moteur de notre émancipation nationale, le Parti Québécois. Parmi les actuel(le)s élu(e)s, combien ont été vraiment cohérent(e)s avec la mission fondamentale du Parti? Vous avez malheureusement totalement raison, à part quelques rares exceptions, la vraie semence capable de faire lever notre pays ne se retrouve plus au sein de ce parti. Beaucoup ont joint (ou pensent à le faire) un nouveau parti nommé Québec Solidaire, montré comme un bizarre animal de zoo par les médias fédéralistes et décrié comme un diviseur du vote par les carriéristes politiques qui dirigent le PQ. En plus de QS, il existe une foule de mouvements indépendantistes non enregistrés comme des partis politiques officiels (M-E-S, RIQ, RPS, etc.) mais qui se démènent bien davantage pour promouvoir les vertus de l'indépendance nationale. Heureusement qu'il reste encore des vrai(e)s Patriotes comme vous pour faire la vraie lumière sur notre situation politique, que les médias de Gesca et autres mercenaires du Canada unitaire se plaisent à nous faire croire sombre et désespérée.
    Dans la logique de votre sortie, je poserais la question suivante aux lecteurs (lectrices) qui croient encore à l'actuelle direction du Parti Québécois: Si le Parti est aussi sérieusement engagé qu'il le prétend pour faire l'indépendance du Québec, comment peut-il concevoir une seule minute que ça prenne encore, aujourd'hui, en 2006, 8 000 organismes divers dans la société civile, souvent mal financés et à court de bénévoles, pour faire la promotion des idéaux qui ont pourtant toujours fait partie du programme du Parti Québécois? Autre interrogation, que j'ai demandé à André Boisclair lui-même le 8 avril dernier et qui ne m'a pas été mieux répondue qu'il ne l'a fait depuis, que ce soit dans les médias, à l'Assemblée nationale ou ailleurs: Si le PQ considère l'indépendance comme la seule issue possible pour nous donner les outils nécessaires pour régler nos problèmes, pourquoi ne fait-il pas CLAIREMENT de la souveraineté l'enjeu de la prochaine élection?
    Quand vous voyez un soi-disant chef de parti se défiler lorsqu'on le confronte à la logique de son option politique ou s'accrocher à une stratégie perdante pour la réaliser, comment voulez-vous que la population lui fasse confiance? S'il devait, en dépit de la Loi C-20, y avoir un nouveau référendum, j'espère pour nous que la question ne sera pas la suivante: D'après vous, quelle est l'ambition d'André Boisclair et de son "nouveau" PQ? L'indépendance du Québec ou le pouvoir à tout prix?