Le prétendant

En revanche, il a prouvé qu'il était un homme de devoir, pour ne pas dire de mission. Si les souverainistes se tournaient finalement vers lui, il pourrait difficilement dire non.

Élection fédérale 2008 - le BQ en campagne

Tout aura été étonnant dans la campagne électorale qui s'achève et, au train où vont les choses, les résultats de mardi pourraient l'être plus encore. Le simple fait de prononcer les mots «premier ministre Dion» procure une sensation un peu bizarre.
Déjà, la complicité qui s'est développée au fil des semaines entre Gilles Duceppe et Jean Charest en a surpris plusieurs. De passage au Devoir hier matin, le chef du Bloc québécois a soutenu qu'il avait simplement défendu des positions sur lesquelles tous les partis représentés à l'Assemblée nationale étaient d'accord.
Avec les années, M. Duceppe est passé maître dans l'art du sophisme. S'il est vrai que le PQ ne s'oppose à aucune des demandes que M. Charest a présentées aux partis fédéraux, celles-ci demeurent totalement insuffisantes d'un point de vue souverainiste. Dans la perspective des prochaines élections au Québec, il est évident que cette alliance contre nature profite surtout au PLQ.
Là encore, M. Charest a semblé s'inspirer de l'exemple de Robert Bourassa qui, au lendemain de l'échec de l'accord du Lac-Meech, avait encouragé Lucien Bouchard à fonder le Bloc québécois afin de rétablir son rapport de force avec Ottawa, malgré le scepticisme de plusieurs libéraux, qui y voyaient un pacte avec le diable.
Si, dix-huit ans plus tard, certains d'entre eux ont pu être agacés de voir M. Charest favoriser l'élection de députés bloquistes par ses attaques incessantes contre Stephen Harper, les péquistes ont été encore plus irrités de voir M. Duceppe contribuer à la métamorphose de M. Charest en défenseur des intérêts du Québec.
M. Duceppe plaide que plus il y aura de bloquistes élus mardi, plus cela risque d'avantager le PQ. Cela reste à voir. En 20O6, le Bloc avait remporté sa plus belle victoire depuis 1993. Un an plus tard, le PQ encaissait sa plus cinglante défaite depuis 1973. Les Québécois n'ont pas l'habitude de mettre tous leurs oeufs dans le même panier. Si le Bloc veille au grain à Ottawa, pourquoi ne pas laisser M. Charest se débrouiller avec la crise économique?
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Rendons à César ce qui lui appartient. S'il est vrai que le Bloc québécois a bénéficié des erreurs grossières de M. Harper et d'une crise financière dont personne n'avait prévu l'ampleur, on doit reconnaître à M. Duceppe le mérite d'avoir su profiter de l'occasion.
Il faut avoir été témoin de sa désastreuse campagne de 1997 pour mesurer le chemin parcouru. Le débutant maladroit et hésitant est devenu un politicien d'une habileté consommée, qui a très bien su lire et exploiter les états de l'âme québécoise.
Si sa transformation a peut-être semblé moins spectaculaire que celle de Stéphane Dion entre le début et la fin de la campagne, c'est simplement qu'il partait de moins loin. Entre le chef qui devait passer ses journées à défendre la pertinence de son parti et celui qui aura vraisemblablement toutes les raisons de pavoiser mardi soir, le contraste n'en est pas moins saisissant.
Depuis qu'il s'était piteusement retiré de la course à la succession d'André Boisclair avant même que celle-ci n'ait commencé, l'étoile de M. Duceppe avait beaucoup pâli et le «fédéralisme d'ouverture» de M. Harper semblait lui avoir fait perdre ses repères. Il avait beau jurer que le feu sacré brûlait toujours, personne ne le croyait.
Cette parenthèse difficile est maintenant fermée. M. Duceppe est redevenu un gagnant. Peu importe qui formera le prochain gouvernement, il est maintenant assuré de pouvoir jouer un rôle important au cours des prochaines années. Alors que le prochain chef de l'opposition officielle, qu'il soit libéral ou conservateur, risque de vivre des heures difficiles au sein de son parti, M. Duceppe aura les coudées totalement franches.
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Dès que le rideau sera tombé sur la campagne fédérale, les regards vont se tourner vers Québec. Même la perspective de quelques années additionnelles de gouvernement minoritaire à Ottawa enlève à M. Charest un argument de poids, dans la mesure où la nécessité d'un gouvernement fort à Québec devient moins impérieuse.
Le PQ et plus encore l'ADQ seraient infiniment soulagés si le premier ministre reportait ses projets, mais ce ne serait vraisemblablement que partie remise, le temps que les marchés financiers retrouvent une certaine stabilité.
Si besoin était, la campagne fédérale a démontré une fois de plus que rien ne doit jamais être tenu pour acquis. Force est cependant de constater que la population semble satisfaite du gouvernement Charest et que son alliance objective avec M. Duceppe a encore renforcé la crédibilité du premier ministre, alors que le PQ fait du surplace.
Bien qu'elle ait remporté son duel contre l'aile radicale de son parti au conseil national de mars 2007, Pauline Marois ne sera pas à l'abri de la contestation si le PQ perd une troisième élection consécutive, même avec le statut d'opposition officielle en guise de prix de consolation.
On se fait des ennemis si facilement et si rapidement en politique qu'il est difficile de ne pas devenir un peu paranoïaque. Après sa tentative manquée du printemps, M. Duceppe ne peut plus nier que le poste de chef du PQ l'intéresse. Même si l'humiliation que Mme Marois lui a infligée serait difficile à avaler pour n'importe qui, il n'ourdira pourtant aucun complot.
En revanche, il a prouvé qu'il était un homme de devoir, pour ne pas dire de mission. Si les souverainistes se tournaient finalement vers lui, il pourrait difficilement dire non. À 61 ans, il tient encore la forme et il semble avoir retrouvé le goût de la politique, si jamais il l'avait perdu. Qu'il le veuille ou non, il est redevenu un prétendant.


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