Le Québec en mal de symboles - Que fête-t-on le 24 juin?

Fête nationale - 24 juin 2010



En juin 2009, dans un article du magazine La Semaine, Bernard Landry exhortait ses compatriotes à abandonner l'expression désuète «Bonne Saint-Jean» au profit de «Bonne fête nationale», désignation officielle du 24 juin depuis 1977. On ne peut qu'être d'accord avec lui sur ce point. Mais l'ancien premier ministre du Québec ne nous disait pas ce qu'il fallait fêter en ce jour du 24 juin, si ce n'est la survivance du fait français.
Normalement, une fête nationale commémore un évènement fondateur dans l'histoire d'un pays ou d'une nation. Le 24 juin ne représente rien de tel. Même si le sentiment de fierté nationale est bien présent et légitime chez ceux qui font la fête, cette date est privée de son caractère rituel visant à rappeler un fait déterminant.
Sa signification nous renvoie au récent passé catholique des Canadiens français à qui le pape Pie X a attribué, en 1908, la figure mythologique de Jean le Baptiste comme protecteur. La laïcisation de l'appellation d'une fête religieuse est insuffisante pour créer une symbolique d'appartenance nationale significative.
Une fête du solstice
Bien sûr, il y avait déjà une tradition de fête liée au 24 juin, mais elle remonte à la nuit des temps. Dans le calendrier julien, le 24 juin correspondait au solstice d'été. Chez presque tous les peuples qui ont pratiqué l'agriculture (de l'Égypte ancienne jusqu'aux Celtes, de l'Empire romain jusqu'à la Chine et des Aryens jusqu'aux Incas), des célébrations rituelles centrées sur la flamme ont pris forme pour souligner ce moment-clé du cycle solaire. Au cours des IVe et Ve siècles, ces célébrations ont été christianisées lorsque l'Empire romain est passé au christianisme.
Avec la réforme du calendrier grégorien (fin du XVIe siècle), c'est la date du 21 juin qui a alors correspondu au solstice d'été, mais les réjouissances ont continué, par tradition, d'être tenues le 24. La «Saint-Jean-Baptiste» est donc une antique fête du solstice d'été, tout comme Noël est une fête du solstice d'hiver.
Les célébrations modernes du 24 juin ne sont d'ailleurs pas l'apanage des francophones. Que fêtaient donc Ludger Duvernay et ses convives le 24 juin 1834? Ils reprenaient tout simplement à leur compte la tradition des banquets du 24 juin implantée ici par l'oligarchie anglaise depuis la conquête, banquets d'où étaient exclus les Canadiens français.
Il aurait été plus signifiant de retenir, comme fête nationale, un évènement lié à la lutte des Patriotes, mais cela était sans doute impensable dans le contexte des années 70 où le gouvernement du Parti québécois cherchait à se dissocier de toute forme de violence. Pourquoi pas, alors, la date de la prise de possession du territoire par Jacques Cartier, le 24 juillet 1534? Ou celle de la fondation de la Nouvelle-France à l'endroit qui allait devenir Québec, le 3 juillet 1608?
Fleurdelisé et unifolié
Notre drapeau fleurdelisé, adopté par Duplessis, présente les mêmes lacunes symboliques que celles du 24 juin. Ce drapeau a été conçu en 1902 par l'abbé Elphège Filiatrault qui s'est inspiré du drapeau de Carillon en remplaçant la «Vierge Marie», qui figurait au centre, par une croix blanche vers laquelle sont dirigées quatre fleurs de lys, symboles de la monarchie. La Société Saint-Jean-Baptiste a adopté en 1924 une variante de cet étendard religieux en ajoutant un «Sacré-Coeur» entouré de feuilles d'érable au centre de la croix.
L'actuelle Loi sur le drapeau du Québec ne donnant aucune signification à ses composantes, il faut donc leur accorder leur signification première, soit celle de l'alliance entre l'Église et un État monarchiste. Le drapeau tricolore des Patriotes avait, quant à lui, l'avantage d'être un drapeau républicain.
La situation n'est guère plus enviable du côté canadien. La feuille d'érable n'a aucune signification politique ou symbolique et n'est même pas emblématique de l'ensemble du territoire. Quant au 1er juillet, il ne commémore ni la conférence de Charlottetown, tenue le 9 septembre 1864, ni celle de Québec, qui a jeté les bases de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, mais l'acceptation, trois ans plus tard par la reine Victoria, des revendications des colonies. Le 1er juillet commémore donc l'autorité de Londres sur le destin du pays.
Retour aux sources
À défaut de symbolique nationale pertinente, il reste toujours une raison purement humaniste de fêter le 24 juin. À la fin des années 80, le solstice d'été a en effet été choisi par l'American Humanist Association et l'International Humanist and Ethical Union pour célébrer la Journée mondiale de l'humanisme (près de 10 ans avant que les Autochtones du Canada n'en fassent leur journée nationale). Cela, en raison de la charge symbolique et historique forte que représente cet évènement cyclique saisonnier dans l'histoire de tous les peuples et même dans notre vie personnelle.
Au Québec, cette journée est soulignée par l'Association humaniste depuis 2005 sous forme de souper commensal. Voilà une fête à la fois moderne par sa laïcité et ancestrale par ses origines. Les fêtes des solstices rebranchent l'Homo sapiens avec la nature, et avec sa nature, et cela peut fort bien redonner du sens aux célébrations du 24 juin.
Évidemment, une fête saisonnière ou une journée thématique mondiale ne peuvent tenir lieu de fête nationale visant à exprimer l'identité et l'histoire d'un peuple. Mais ces éléments sont si faiblement présents dans ce qui nous tient lieu de fête nationale qu'il nous faut encore attendre notre solstice national.
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Daniel Baril - Anthropologue et journaliste

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Anthropologue de formation, ex-rédacteur à l’hebdomadaire Forum de l’Université de Montréal, administrateur au Mouvement laïque québécois et à l’Association humaniste du Québec.

Auteur de Aux sources de l’anthropomorphisme et de l’idée de Dieu et codirecteur des ouvrages collectifs Heureux sans Dieu et Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec.





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