Les enfants n'ont plus le temps de prendre le temps d'apprendre

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On drogue les enfants au lieu de les discipliner


Que se passe-t-il avec le système d’éducation au Québec et la santé psychologique des jeunes ? Durant sa troisième année du primaire, mon fils aura connu jusqu’à sept enseignants. Comme il surfe sur la vague normative, son année ne fut pas compromise.


C’est une autre histoire pour les enfants qui progressent à leur propre rythme et se retrouvent en marge de cette normativité. Souvent, ils sont invités à « consulter ». Vous savez, ce terme galvaudé, telle une posologie miracle à une maladie incurable.


Comme si « consulter » venait avec un gage de succès socio-académique. « Consulter » semble un terme utilisé pour déculpabiliser les parents, les enseignants, les directions d’école. Le blâme est alors jeté sur l’enfant, ses pathologies, son incompétence, son besoin de psychostimulants.


La médicalisation des difficultés scolaires est significativement plus élevée au Québec qu’ailleurs au pays et en Occident. Marie-Christine Brault, professeure à l’Université du Québec à Chicoutimi, a présenté la semaine dernière en commission parlementaire les résultats d’analyses préliminaires d’une étude qui révèle que 17,5 % des élèves du début du primaire ont un diagnostic de TDAH et 90 % d’entre eux consomment des médicaments.


Qu’est-ce qui explique ces chiffres éloquents ? Est-ce par défaut de pouvoir proposer des ressources adéquates ? Cette surmédicalisation s’explique-t-elle par de faux diagnostics ? Fait-elle l’objet d’utilisation à des fins de contraintes chimique et physique ?


En Belgique par exemple, la médicalisation des difficultés scolaires n’est pas pratique courante. L’environnement de l’enfant est pris en compte dans l’analyse de ses difficultés. Brault estime que seulement 2,5 % des élèves flamands ont un diagnostic et à peine la moitié d’entre eux sont médicamentés.


Surmédicalisation


En février dernier, des psychiatres ont sonné l’alarme quant aux effets pervers d’une surmédicalisation du social chez les jeunes québécois. Selon les propos rapportés, parmi la génération alpha (2010) âgée de 6 à 8 ans, des jeunes auraient perdu le goût de vivre. Face à ce constat, des psychiatres suggèrent l’ajout d’un cours en santé mentale dès la maternelle.


En tant que travailleuse sociale, je me sens interpellée. Qu’est-ce qui crée cette détresse psychologique chez les jeunes ? Sans avoir recensé le corpus scientifique sur la question, certaines hypothèses sont soulevées.


Est-ce que la fragilité des noyaux familiaux expose les enfants à plus de détresse ? La pression de performance est-elle suffisamment mise en cause dans les analyses ? De nos jours, c’est la course folle à la performance et les enfants sont contraints de développer des compétences au même rythme. Ils n’ont donc plus le temps de prendre le temps d’apprendre.


À ce registre, s’ajoute la tendance des parents à surprotéger les enfants. Des parents eux-mêmes anxieux et continuellement à la course. Pourtant, être exposés à l’adversité est un mal nécessaire au développement, forge l’expérience et construit la résilience. À ces hypothèses, s’ajoutent enfin la variable numérique et le temps passé devant les écrans.


Virage


De nombreuses préoccupations demeurent. Par exemple, est-ce que la société, incapable de s’ajuster aux changements rapides et aux exigences de la vie moderne, jette le blâme aux enfants ? Certes, le Québec a de sérieuses questions à se poser en matière de santé psychologique et d’éducation.


En outre, quels sont les projets éducatifs d’avenir pour les enfants québécois ? Est-ce d’éduquer la prochaine génération de jeunes qui vivent de l’anxiété dès 6 ans, qui réussissent scolairement sous psychostimulants, qui sont pointés du doigt pour les ratés actuels d’une société de performance, et dont l’avenir incertain dépend de réussites aux examens du ministère de l’Éducation ?


Force est d’admettre que l’éducation, les familles et les enfants sont mis à mal. Et ce sont essentiellement ces derniers qui en paient le prix. Ils sont porteurs des symptômes créés par les maux sociaux modernes.


Il apparaît urgent de s’engager dans un virage socio-éducatif. Revoir le curriculum scolaire, les exigences, les modalités d’évaluation, le soutien aux élèves. Les conditions de travail des enseignants. Et surtout, il faut réfléchir davantage aux choix actuels de nos sociétés et à ce qui perturbe tant la quiétude psychologique des adultes en devenir. Arrêtons-nous. Écoutons-les.









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